Wednesday, February 28, 2007

Citation du 1er mars 2007

Autrefois on cherchait des armées pour les mener combattre dans un pays. A présent on cherche des pays pour y mener combattre des armées.

Montesquieu - Réflexions sur la monarchie universelle en Europe (1734)

D’où vient la guerre ? Résulte-t-elle d’un complot des militaires qui rêvent d’aller « jouer au petit soldat », et qui poussent les politiques à engager les hostilités lorsqu’ils ne disposent pas de ce pouvoir eux-mêmes. Est-ce vrai ? Est-ce toujours vrai ?

Par exemple, la guerre en Irak est-elle l’œuvre des « faucons » proches de Pentagone ? Est-ce cela que les historiens retiendront ? N’évoqueront-ils pas plutôt l’hypothèse d’une recherche de conquêtes plus politiques, ou économiques ? Ou bien ne mettront-ils pas en cause la personnalité des dirigeants, le fils-Bush qui veut montrer à son père qu’il est capable de « finir le boulot » en Irak ? Qui saura répondre ?

Peut-être la question est-elle mal posée : ne devrions-nous pas nous demander si le hasard ne joue pas un rôle prépondérant en histoire, au quel cas aucune cause précise ne devrait être assignée à un tel fait historique - et surtout pas pour une guerre.

Qu’est-ce que le hasard en histoire ? Reprenons le cas de la guerre contre l’Irak.

- Premier type de hasard : en histoire, lorsque une cause infime produit un effet disproportionné avec elle, alors on parle de hasard : on évoque comme exemple, le grain de sable dans l’urètre de Cromwell qui le tua (1), facilitant le retour au pouvoir des Stuart. Il en va de même pour l’élection de Georges W Bush en novembre 2000. S’il est vrai que Al Gore aurait fait autre chose que la guerre en Irak, alors les quelques milliers de voix d’écart entre les candidats qui est une quantité négligeable, prend une importance extrême.

- Deuxième type de hasard : on a déjà évoqué ici (13 novembre 2006) le hasard tel que le définissait Cournot : « Le hasard est la rencontre de deux séries causales indépendantes ».Dans le cas qui nous préoccupe, on trouve cette « rencontre » avec la combinaison des intérêts divergents des USA et des pays du Cartel pétrolier : le premier voulant organiser sa domination sur une région essentielle stratégiquement et économiquement ; les seconds ayant tout intérêt à maintenir à l’écart un concurrent sur la marché du pétrole.

La guerre n’est donc pas toujours une fatalité ; mais elle reste une probabilité.

(1) Est-il mort d’un calcul rénal ou de la malaria ? A moins que sa mort soit due au poison. Mais alors là ce n’est pas le fruit du hasard. Consulter

Tuesday, February 27, 2007

Citation du 28 février 2007

Pour qu’on ne puisse point abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. […] - Montesquieu Esprit des lois, XI, 4

Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d'exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. - Montesquieu Esprit des lois, XI, 6


Il faut m’excuser de revenir à 3 jours d’écart (cf. le message du 26 février) sur la division des pouvoirs : les élections du printemps prochain me titillent les neurones…

Dans ces formules d’une étonnante concision, Montesquieu pose le principe de la séparation des pouvoirs. Il est dans la nature de ceux qui détiennent le pouvoir d’en abuser, c’est à dire de l’employer à des fins qui ne sont pas les siennes. Pour contenir le pouvoir à l’intérieur de ses limites d’application, il faut un autre pouvoir, et celui-ci ne peut résulter que de la division d’un pouvoir initialement absolu. Que le pouvoir de faire des lois puisse endiguer celui de les appliquer ; que le pouvoir de juger des délits soit indépendant de celui de faire les lois (vous retrouvez ici la base de ce qui fera contestation lors de la commission parlementaire sur l’affaire d’Outreau.). Que les hauts fonctionnaires de l’exécutif soient indépendants et des juges et des députés.

Il semblait que ces principes soient gravé dans le marbre de nos constitutions depuis plus d'un siècles. Or les élections prochaines nous rappellent que la réalité est toute autre.

Les élections présidentielles concernent le chef de l’exécutif ; les élections législatives concernent le pouvoir législatif. Par principe, ces deux élections doivent être absolument indépendantes l’une de l’autre ; or on voit combien elles sont confondues dans les faits. Et non pas par un quelconque dévoiement politique ou partisan : « on » a voulu qu’elles le soient en fusionnant dans le calendrier les dates de ces élections. Il faut, nous dit-on, que le chef de l’Etat fraîchement élu ait le pouvoir de gouverner : ça veut dire qu’il ait une majorité à l’Assemblée (cf. la dissolution de 81). Vous ne voudriez pas tout de même lui imposer une cohabitation à 4 semaines d’écart ?

D’accord, mais alors acceptons l’idée que l’abus du pouvoir devienne un risque un peu plus grand. Nous oublions l’essentiel quand nous nous interrogeons pour savoir si tel ou tel candidat représenterait un danger par son goût de l’autorité. Mais comment ne voit-on pas qu’avec de telles dispositions constitutionnelles, n’importe quel présidentiable peut devenir dangereux une fois élu ?

Parce que tout serait perdu si le même homme, exerçaient ces trois pouvoirs , ou même seulement deux !

Monday, February 26, 2007

Citation du 27 février 2007

Baise m'encor, rebaise-moi et baise;
Donne m'en un de tes plus savoureux;
Donne m'en un de tes plus amoureux,
Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise.

[…] Ainsi mêlant nos baisers, tant heureux,
Jouissons-nous l'un de l'autre à notre aise.

Louise Labé - Sonnets, XVII

Quelle différence entre le baiser que Louise Labé prodigue à son amant et l’objet (petit-a ou pas) que Freud attribue au désir (cf. citation du 25 février : on se rappelle que celui-ci affirmait que l’objet aimé était indéfiniment remplaçable, parce qu’aucun ne conviendrait jamais tout à fait) ?

Donne m'en un de tes plus amoureux, / Je t'en rendrai quatre : alors que ce vieux ronchon de Sigmund compte les désirs déçus, Louise échange les baisers sur la base de quatre pour un. L’amour c’est ça : donner à profusion parce que donner, c’est jouir.

Jouissons l’un de l’autre à notre aise : c’est ça l’amour ! Tout comme Diogène prouvait le mouvement en marchant (1), Louise prouve l’amour en baisant (= en donnant des baisers ; un peu de romantisme que diable !).

Il faudrait prendre ça au sérieux : plutôt que de se demander indéfiniment si ce qu’on veut est possible, faisons-le, et puis on verra après. Kant dira même que chaque action entreprise suppose cette foi en sa réussite : si on le désire alors c’est possible (cf. message du 21 septembre).

Ainsi, le désir amoureux est par définition ce qui saute les obstacles : avant même de savoir ce qu’il est, il est cet élan qui me porte à faire. « Mon cœur soupire / La nuit et le jour / Qui pourrait dire / Si c’est d’amour » chante le Chérubin de Mozart (2). Encore enfant, déjà amoureux, il représente cette vitalité du désir qui n’attend même pas d’être conscient pour « travailler » la conscience.

La météo nous en prévient : le printemps promet d’être en avance cette année, et il sera plus chaud que d’habitude. Jeunes gens, n’hésitez pas : lisez Louise Labé.


(1) Des philosophes (les éléates) affirmaient que l’espace étant divisible indéfiniment, le mouvement était impossible. Ainsi, selon Zénon, Achille, le plus véloce des grecs ne pourrait pas rejoindre une tortue partie un peu avant lui, parce qu’il lui faudrait parcourir la moitié du chemin le séparant d’elle, puis la moitié de la moitié, puis la moitié de la moitié de la moitié, … et ainsi de suite indéfiniment : il y aurait toujours un espace séparant Achille de la tortue. On raconte que Diogène (le cynique) alla devant ces philosophes et se mit à marcher, prouvant ainsi que le mouvement était possible.

(2) C’est une traduction « libre » de la chanson de Chérubin à l’acte 2 des Noces, mais je la conserve parce qu’elle est connue de tous (oui ?), et qu’elle ne fausse pas l’idée qui s’y développe (Voi che sapete / Che cosa è amor, / Donne, vedete / S’io l’ho nel cor. / Quello ch’io provo / Vi ridio ; / E per me nuovo, / Capir nol so…)

Saturday, February 24, 2007

Citation du 26 février 2007

Ce n'est pas les médecins qui nous manquent, mais la médecine.

Montesquieu - Mes Pensées

Formule type pour fabriquer des Pensées sur ce modèle : ce ne sont pas "les XXX" qui nous manquent, mais la "XXX". Exemple : ce ne sont pas les politiciens qui nous manquent, mais la politique.

Mais quand même, ça marche mieux avec les médecins, vous ne croyez pas ?

Rappelons-nous en effet qu’au XVIIIème siècle la médecine est une science très en retard sur d’autres (y compris la chimie), et que ça commence à se savoir. Déjà, Descartes un siècle plus tôt (Discours de la méthode - 1637) déclarait que la médecine était la science dont le développement importait le plus pour le bien des hommes ; et quand, mourant (d’une pneumonie) le médecin de la reine Christine frappa à sa porte, il lui fit répondre que, tant qu’à faire de mourir, il mourrait plus heureux de ne pas l’avoir vu. Sur ce il se soigna avec du vin chaud et il mourut comme chacun sait.

Mais je crois que le plus utile à noter ici c’est que, quelque soient ses échecs, dans toute société la médecine a eu sa place : partout elle a été l’objet de recherches ; dans tous les cas et de tous les temps les hommes ont cherché à soigner leurs maladies. Que les médecins aient été d’abord des prêtres ou des sorciers (ce qu’ils sont peut-être encore dans une certaine mesure) ne fait que vérifier ce propos. Et si les Blancs ont impressionnés les Indigènes partout où ils débarquaient, c’est parce qu’ils guérissaient ceux que leurs sorciers laissaient mourir.

Alors, en effet, la formule de Montesquieu, ça marche bien mieux avec la médecine qu’avec la politique. Nous avons des politiciens, d’ailleurs nous les payons pour faire ce « métier », ce qui suppose que nous croyons en leur efficacité. Mais en même temps, la politique, nous n’y croyons plus : elle ne nous manque même pas, au point qu’après nous être battus pour le droit de vote, nous n’allons même plus voter. Ou que nous votons pour les présidentielles et puis nous nous étonnons d’avoir encore à voter pour les législatives (1) : le chef de l’exécutif, il pourrait bien se débrouiller sans nous !


(1) Vous avez remarqué ? Qui donc parle des législatives aujourd’hui ? Pourtant elles auront lieu quelques semaines seulement après les présidentielles, et elles sont déjà l’enjeu de tractations entre les partis. Et nous les citoyens, est-ce que nous protestons contre ces marchandages (du genre : « Je te laisse l’Indre et Loire, mais tu m’abandonnes la Lozère et la Creuse ») ?


Citation du 25 février 2007

Nous ne savons renoncer à rien. Nous ne savons qu'échanger une chose contre une autre.

Sigmund Freud

1 - Nous ne savons qu'échanger une chose contre une autre - Considérer l’échange comme une façon de conserver ce qu’on a et non comme une façon d’acquérir ce que nous n’avons pas : voilà une idée qui pourrait sembler bien étrange celui qui considérerait l’échange comme une réalité strictement économique. Ce qui n’est pas le cas pour Freud, bien entendu.

Voyez le petit enfant qui vient d’entrer dans la cuisine : il s’est s’emparé d’un couteau qui traînait sur la table et il repart en serrant son butin sur son cœur. De toute évidence il ne va pas vous le rendre sans violence. Vous allez dans sa chambre, vous ramassez une petite voiture qui traîne dans un coin, et vous lui dites : « Mon chéri, regarde la jolie voiture. Elle roule vite et elle fait du bruit quand on pousse le bouton (l’enfer !). Tiens, je te la donne en échange de ce couteau ». Ce n’est pas sûr que ça marche, mais ça peut marcher, car nous ne savons qu'échanger une chose contre une autre, un objet désiré contre un autre objet désiré. Facile…

… Trop facile : votre ami Bob vient juste de se faire plaquer par sa femme : elle est partie avec un homme plus jeune et plus brillant que lui. Vous lui dites : « Te bile pas Bob, un de perdue, dix de retrouvées. Ecoute, je t’en ai pas parlé, mais Sandra - tu sais la petite stagiaire de la comptabilité - j’ai remarqué comment elle te regarde… Je suis sûr que tu as ta chance. » Là, c’est sûr, le mari éploré va vous envoyer promener.

C’est donc plus compliqué qu’il n’y paraît. L’objet véritablement désiré n’a pas d’équivalent, du moins selon Freud : car il n’est que fantasme, nourri du souvenir d’une jouissance passée (la première, c’est toujours la meilleure). Il est donc inaccessible, et pour notre satisfaction, la réalité n’a que des substituts à nous offrir. Je peux en effet remplacer ce substitut par un autre. Mais s’il se fait que l’un de ces substituts l’emporte sur les autres (« Ma femme adorée…, mon Bébé… »), alors il sera très difficile de lui trouver un équivalent.

2 - Nous ne savons renoncer à rien : mais aussi nous n’obtiendrons jamais rien, puisque l’objet de notre désir n’existe que dans notre imagination (1), : de substitut en substitut, notre vie s’épuise à courir après des satisfactions que nous abandonnerons dès que nous les aurons obtenues.

Finalement, la bonne règle,c’est : « Pas de compromission avec la réalité, tant qu’à faire de ne jamais être réellement satisfait, désirons ouvertement l’inaccessible : là au moins on n’est jamais déçu. »

Le mieux c’est de ne désirer que l’idéal (2)

(1) …et que pour l’obtenir il faudrait en plus redevenir le petit enfant que nous avons été : «rétablir la situation de la première satisfaction [=première dans l’existence] … est ce que nous nommerons désir ; la réapparition de la perception [d’une satisfaction] est l’« accomplissement de désir » Freud - L’interprétation des rêves (c’est moi qui souligne)

(2) Voir message du 21 février 2007

Friday, February 23, 2007

Citation du 24 février 2007

Les oiseaux ne laissent qu'un chant éphémère; l'homme passe, mais sa renommée survit.

Proverbes chinois

La renommée… Comme les chinois, les grecs pensaient que c’était là la seule immortalité qui vaille. Survivre dans la mémoire des générations futures : voilà ce qui peut nous sauver de notre condition d’être mortel, beaucoup plus que la survie de l’âme dans les ténèbres du royaume des morts.

Seulement, voilà : la renommée, nous ne la contrôlons pas. Non seulement nous ne sommes pas sûr d’y avoir accès (se rappeler des efforts de François Mitterrand pour laisser une trace inaltérable dans le marbre de l’histoire..), mais encore, nous ne sommes pas sûr de laisser la trace que nous aurions voulu si nous l’avions choisie.

L’exemple déjà cité ici est celui de Cambronne (cf. message du 12 février 2007) : croyez-vous que le « mot de Cambronne » soit le plus glorieux souvenir que nous puissions avoir d’un brave général luttant héroïquement pour sa patrie ?

Et Bourdaloue, ça vous dit quelques chose ? Si vous êtes familier des Lettres de madame de Sévigné, vous savez combien ses sermons brillants et théâtralement déclamés produisaient d’émois auprès des dévotes - sinon voir ceci. Ces femmes, bloquées dans l’Eglise tout le temps de ces interminables prêches, utilisaient un urinoir caché sous leurs amples robes pour éviter l’inconfort de la rétention. Cet accessoire fut appelé « Bourdaloue » et le nom lui en est resté (1). Les sermons du jésuite sont oubliés ; si le nom de Bourdaloue est resté familier, c’est auprès des collectionneurs de pots de chambre (oui, ça existe).

(1) Vous trouverez l’image de l’objet en suivant le lien. (n’hésitez pas à vagabonder dans ces désopilantes listes en cliquant ici)

Thursday, February 22, 2007

Citation du 23 février 2007

De ce lieu et de ce jour, date une nouvelle époque dans l’histoire du monde.

Goethe - Campagne de France et de Mayence (à propos de la bataille de Valmy)

Deux observations :

- D’abord c’est en 1817 que Goethe publia cette remarque concernant la bataille de Valmy. Aurait-il dit la même chose le soir du 20 septembre 1792, date de la bataille ?

- En suite, y a-t-il eu quelque part dans l’histoire des ruptures aussi franches, provoquant le basculement d’une époque et l’arrivée d’une autre ?

Nous avons connu le même sentiment que Goethe en 1989, dans la nuit du 9 au 10 novembre, quand le mur de Berlin tomba. Nous aussi nous aurions pu dire : De ce lieu et de ce jour, date une nouvelle époque dans l’histoire du monde. De pareils événements existent-ils vraiment ? Oui si on admet qu’ils signalent une rupture ; mais peut-être pas si on pense qu’ils l’ont provoquée.

Que ce soit la chute du mur qui marque ce passage d’une époque à l’autre importe peu dans la mesure où il s’agit bien entendu d’un symbole. Ce qui compte c’est que le bloc soviétique cessait d’exister et que les régimes politiques se vidaient de l’intérieur, ne conservant qu’une apparence : la « révolution de velours » en Tchécoslovaquie en est le témoignage. Ce ne sont donc pas les événements qui font l’histoire, c’est l’histoire qui fait l’événement. Les ruptures sont des phénomènes des surface, liés à des résistances superficielles aux changements permanents et profonds : comme le tremblement de terre.

Peut-on aller plus loin ? Ces changements existent-ils vraiment ? Oui, bien sûr : le « nouvel ordre mondial » est une réalité, mais est-ce que ça change quelque chose ?

Je me rappelle…. Le lendemain de la chute du mur, un élève d’extrême droite me dit « Ça fait chier… Maintenant on n’a plus d’ennemis ! ». Mais il se trompait.

Wednesday, February 21, 2007

Citation du 22 février 2007

Celui qui a soif, n'a pas d'argent, et celui qui a de l'argent, n'a pas soif !

Adolphe Matthis

Alors, ou bien cet auteur (Poète français 1874 -1944) est un parfait crétin, car qui a soif dans le désert peut bien avoir tout l’or du monde, il n’en mourra pas moins desséché, ou bien il veut dire que la soif d’argent est la seule qui ait de l’importance. Mais prenons-le au mot, et supposons que la question qu’il faut poser devant n’importe quelle proposition, c’est : « combien ça coûte ? ».

La réduction des prélèvements obligatoires de 5% ? Combien ça coûte ? Le SMIC à 1500 euros ? Combien ça coûte ? Toutes vos promesses, qui va les payer ? Chiffrez, budgétez, sinon je dirai que vous êtes un bouffon.

Vous fâchez pas, je vais vous dire tout ça dans pas longtemps et vous serez content, parce qu’il n’y a que l’argent qui fasse problème.

Là, on y est : c’est l’erreur. Tout ne s’achète pas et parmi les promesses de nos candidats aux élection présidentielles, ce sont peut-être les plus importantes qui ne coûtent rien. Voyez un peu : supprimer les discriminations à l’embauches, combien ça coûte ? Hein ? Vous dites qu’il y a déjà des lois, qu’il y a des organismes pour lutter contre (la Halde : voir le lien). Demandez à Mouloud, qui avait le profil pour se faire embaucher comme barman : le patron lui a dit : « Va te plaindre à qui tu voudras, du moment que tu débarrasses le plancher, c’est bon. » Et pour le logement : pareil, et pour toucher le même salaire qu’un homme si vous êtes une femme : idem…

Ce que ça coûte, c’est un changement de mentalités, c’est une habitude de regarder l’autre comme un quelqu’un de simplement normal.

Bref : le chiffrage des programmes, d’accord. Mais d’abord, faisons le tri, et dégageons les changements de société qui ne relèvent pas d’une logique comptable pour en faire une nouvelle orientation « sociologique ».

Remettre debout la « maison-France » : combien ça coûte ?

Tuesday, February 20, 2007

Citation du 21 février 2007


Suivre son désir pour ne pas le rencontrer -

Une citation - Deux pochoirs - Deux interprétations - Deux significations.

Je laisse de côté les observations pourtant pertinentes concernant les techniques utilisées, et le rôle si essentiel du support. Nous sommes dans le domaine de l’esthétique et je laisse à d’autres plus compétents que moi le soin d’en parler.

Je passerai rapidement sur le message. Si on admet que la formule a un sens freudo-lacanien (le désir de l’objet-a (1)), on dira que vivre le désir comme tel c’est faire l’expérience d’un inextinguible besoin de l’autre qui est lié au nécessaire oubli de ce qu’il est réellement. Si je le rencontre dans la réalité, alors le désillusion est totale : parce que je te désire, alors je ne te veux pas.

En revanche je me concentrerai sur l’illustration mise en œuvre.

Observez les Miss de l’illustration : l’une nous interpelle, c’est une injonction qu’elle nous adresse (du genre : « Il faut suivre son désir etc… »). L’autre a un regard intense qui ne regarde personne ; c’est un bloc de volonté et c’est à elle-même qu’elle s’adresse.

Ces deux illustrations sont bien dans la lignée des pochoirs de Miss.Tic, qui déclare quelque part (où ?) que ces dessins ont pour rôle d’enraciner dans la vie quotidienne, dans le vécu, ses formules qui pourraient paraître sans cela des aphorismes sentencieux. Avec eux, c’est toi, c’est moi, c'est nous qui sommes confrontés à un art de vivre (encore une formule qu’il faudrait discuter). Mais il y a une différence notoire :

La première Miss est en marche : elle me fait signe, mais bof… que je lui réponde ou non n’a pas d’importance. Elle part d’un pied léger.

La deuxième Miss émet un message dont l’importance est signifiée par l’expression tendue de son visage. Elle ne s’adresse à personne, mais son idée est suffisamment essentielle pour être son véritable objet. S’agit-il d’une expérience vécue ? On devine que son âme est tourmentée, peut-être même déchirée par la contradiction (« Suivre son désir et pourtant ne pas le rencontrer »). Ou alors, son désir, elle vient de le rencontrer et elle se promet que plus jamais ça n’arrivera.

Alors, la première ou la deuxième ? … Y a pas photo : je vote pour la première.

(1) En psychanalyse, l’objet-a désigne l'objet correspondant au désir, ne pouvant être désigné par aucun objet réel . Lire la suite

Monday, February 19, 2007

Citation du 20 février 2007

Monsieur Neandertal, avec trente grognements signifiants, dix consonnes et trois voyelles, pourrait aujourd'hui faire une carrière politique.

Boris Cyrulnik L'Ensorcellement du monde,

Si on ressuscitait monsieur Neandertal aujourd’hui, serait-il candidat à l’élection présidentielle ? Question oiseuse, que Boris Cyrulnik ne pose pas : ce qu’il veut dire, en réalité, c’est que l’usage de la parole en politique est devenu inutile. Qu’en penserons-nous ?

Disons d’abord que la question n’a d’intérêt que dans la démocratie : les «grognements signifiants » seraient bien évidemment suffisants dans une dictature militaire par exemple. En revanche, aucune démocratie ne pourrait survivre à la perte du langage. Dans l’Encyclopédie de Diderot & d’Alembert, la condition première pour que s’établisse la démocratie est définie ainsi : « qu’il y ait un certain lieu et de certains temps réglés, pour délibérer en commun des affaires publiques ». L’agora a été le premier de ces lieux ; le droit pour chacun d’y venir pour prendre la parole est le premier des droits du citoyen. (voir message du 27 mars 2006)

Pourquoi la délibération collective est elle indispensable ? Parce que nulle rationalité pré-établie ne vaut en politique, sans quoi le despotisme éclairé suffirait - que dis-je ? ce serait le meilleur gouvernement possible, celui de l’expertise. Ce qui est vrai et bon en démocratie, c’est la décision prise en commun. Point final.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Cyrulnik est-il clairvoyant lorsqu’il nous décrit sous les traits d’une bande de primitifs rétrogrades ? Je devine que la réponse à cette question nous entraîne vers une critique des médias, et un éloge de … la démocratie participative.

Alors voilà : les limites de l’usage du langage en politique, ça tient au fait que les mots ont plusieurs sens (par exemple, on ne sait pas ce que signifie ici la « participation »), et qu’ils peuvent évoquer n’importe quoi, y compris des illusions, y compris des mensonges.

Au moins, quand mon chien grogne, je sais ce que ça veut dire.

Sunday, February 18, 2007

Citation du 19 février 2007

L'éternité, c'est long, surtout vers la fin.

Woody Allen

Alors, celle-là, j’ai longtemps (une éternité…) hésité à la mettre en ligne.

D’abord parce qu’on ne sait pas si elle est bien de Woody Allen : il y a quelques années une polémique dans les colonnes de Télérama s’était soldée par une déclaration de Woody Allen lui-même (il doit lire Télérama) déclarant qu’il ne se rappelait plus d’avoir dit une chose pareille.

Ensuite, parce que personne ne sait ce que c’est que l’éternité : comme le disait Descartes, on ne pourrait connaître l’éternité qu’à condition de l’être soi-même, or bien entendu nous ne sommes pas si sûrs d’être éternels, que nous puissions décrire avec objectivité un tel concept.

Reste qu’en quelques mots, la formule citée accumule deux paradoxes amusants (?) :

- D’abord, que l’éternité pourrait avoir une fin. C’est bien sûr absurde : ce qui a une fin n’est pas éternel (1). Mais surtout cela voudrait dire que l’éternité serait une durée. Sans revenir sur des considérations obscures sur la durée et l’éternité (voir message du 27 novembre), disons que la conception la plus évidente de l’éternité est celle d’un instant distendu indéfiniment dans les deux sens (vers le « passé » et vers l’« avenir », pour autant que ces mots aient un sens ici) : l’éternité ne connaît pas le changement, elle n’a ni début, ni -bien sûr - de fin.

- Ensuite, l’idée que l’éternité puisse nous paraître longue, sous entendu : trop longue. Comme si, faute de « connaître » l’éternité, nous en avions une expérience dans l’ennui « mortel » qui étire les jours à n’en plus finir (voir citation du 10 février 2006), dans le durée sans bornes parce que sans activités significatives. Or nous l’avons dit, l’éternité ne peut être assimilée à une durée ; elle ne peut donc ressembler à l’ennui, pas plus que la vie monotone de la routine quotidienne ne peut être confondue avec la vie éternelle.

Mais je vois que vous commencez à bailler en me lisant : ce billet faute d’être « éternel » serait-il donc « interminable » ?

(1) On dira : « Mais peut-être que l’Eternité n’a pas eu de commencement : elle existerait de toute éternité ». Mais alors sa fin n’arrivera pas, parce que son origine pouvant être indéfiniment reculée dans le passé, son terme est inassignable à un date précise.

Friday, February 16, 2007

Citation du 18 février 2007

Définition. - La vieillesse est l'âge où les hommes s'occupent davantage de leur nourriture que de la serveuse, même si elle est jolie.
René Pichon
Que faut-il pour continuer à vivre ? Avoir des récompenses, c’est à dire du plaisir.
Quels sont les plaisirs qui résistent à l’usure de l’âge ? Ceux qui sont liés aux saveurs.
La testostérone - aussi bien que les hormones féminines - disparaît avec l’âge (sauf brillante exception). La jouissance sexuelle s’en va avec - là encore sauf exception ou occasions particulières (1). Si vous êtes sourd, plus de musique ; si vous êtes aveugle, plus de télé, plus de lecture. Que reste-t-il ?
Le plaisir de la nourriture - et de la boisson - est le seul qui résiste au temps.
L’auteur de cette citation en fait un critère absolument discriminant. A-t-il raison ? Pour sortir de cette incertitude, posons-nous la question réciproque : les jeunes s’occupent-ils d’avantage de la serveuse surtout si elle est jolie ? Si nous devions définir la jeunesse dirions-nous que c’est la période de la vie où l’attrait sexuel joue un rôle prépondérant ?
Demandons cela à un jeune.
- Kévin, dis-moi : qu’est-ce qui compte le plus pour toi ?
- Qu’est-ce tu m’veux, bouffon ?
- Regarde Kévin , la jeune fille qui passe sur le trottoir en face, qu’est-ce que tu en penses ?
- Ouah !!! La meuf, comment j’kiffe trop son cul.
- Dis-moi Kévin, si je te disais que tu vas quitter tous tes copains pour partir sur une île déserte, sans aucun moyen d’en revenir, avec cette ravissante jeune fille, qu’est-ce que tu me répondrais ?
- Qu’est-ce qui m’raconte c’batard ? C’te meuf elle est chelou, j’vais pas quitter ceux d’ma race pour elle. C’t’un truc de ouf ça !
(1) Pour ne pas désespérer, voyez ce lien

Citation du 17 février 2007

Les mamelles convertissent dedans soy mesmes la nourriture que prennent les femmes, en lait que puis après elles rendent par les bouts.
Jacques Amyot
- Ça y est ! Encore son fétichisme mammaire qui le reprend ! Et la dernière attaque remonte à quelques jours seulement : les crises se rapprochent….
- Hé bien, non, vous n’y êtes pas du tout. Ce message a un but beaucoup plus élevé : il s’agit de méditer sur l’identité. Ça vous estomaque, hein ?
Le femmes sont des convertisseurs : avec les aliments - hétérogènes : leur substance n’est pas la nôtre - elles font du lait - homogène au mammifère que nous sommes. Autrement dit, on fait de l’identité avec de l’hétérogénéité. Nous ne sommes donc pas ce que nous mangeons, et il faut une certaine dose d’obsession religieuse pour penser le contraire (cf. message du 24 septembre).
Mais ce qui intéresse ici c’est qu’on prend la question de l’identité par un bout opposé à ce qu’on fait l’habitude. En effet, on se pose habituellement la question du contenu de l’identité : comme Pascal qui demande à partir de quand est-ce que je cesse d’être moi-même : quand je perds ma mémoire ? Ou ma beauté ? On n’arrive jamais à une réponse entièrement satisfaisante, et Pascal en profite pour glisser sa formule : « on n’aime personne que pour des qualités empruntées ». (lire le texte)
Ici, par contre, la question de l’identité est saisie du côté du pouvoir d’intégration. La personne, c’est ce qui transforme le non-moi en moi : par exemple qui transforme un côte de porc en neurotransmetteurs pour produire ces belles pensées que j’aligne dans mon texte ; ou qui assimile la Pensée de Pascal pour résoudre un problème qu’il ne se posait peut-être pas, mais que je peux utiliser néanmoins (1).
Alors, qu’est-ce que les « mamelles » convertisseuses ont d’intéressant ? Pourquoi Amyot prend-il la peine de nous décrire leur fonction ? Hé bien, ici la conversion est d’un genre particulier : elle consiste à transformer le « non-moi » de la nourriture en « non-moi » du lait (puisque la mère ne le consommera pas) ; mais ce dernier est le seul « non-moi » (=aliment) que l’enfant puisse convertir en « moi » (sa substance).
Vous ne comprenez pas ? Mais qu’est-ce qu’elle vous a appris votre nourrice ?
(1) Bien sûr, c’est une condition nécessaire mais non suffisante pour être une personne : le porc aussi est un convertisseur (les américains, autre fois, disaient que le porc est un animal qui convertit le maïs en viande - 4 kilos de maïs pour un kilo de porc). Ce n’est pas une raison pour dire que le porc est une personne, parce que ce qu’il fabrique, lui, c’est du porc et non pas de belles pensées…

Thursday, February 15, 2007

Citation du 16 février 2007

Le sort fait les parents, le choix fait les amis.

Abbé Delille - Malheur et pitié

On raconte que Napoléon III, reçoit un message de félicitation du Czar pour son couronnement : le Czar l’appelle « mon cher ami », ce qui est humiliant car l’usage pour les souverains était de s’appeler « mon cousin ». Napoléon rétorque : « on ne choisit pas sa famille, mais on choisit ses amis ».

Pouvons-nous espérer réconcilier famille et amis ? Faire que ce qui relève de la règle, deviennent aussi séduisant que ce qui relève du choix?

De ce point de vue, notre monde est sans doute mieux fait que celui de Napoléon : on choisit toujours ses amis, mais on peut choisir certains de ses parents : les couples se font et se défont au gré des amitiés/inimités ; et avec le conjoint qui s’en va, part aussi la « belle famille ». Ces parents là deviennent ainsi comme des amis dans la mesure où on peut cesser de les fréquenter.

Ce qui pourrait être encore mieux, c’est que les amis deviennent des parents. Ça se faisait autrefois par le biais du parrainage : parrains, marraines choisis dans le cercle des amis devenaient ainsi des « compères » et des « commères ». Bon, vous allez donc donner à votre meilleur(e) copain/copine le rôle de parrain/marraine du petit dernier. Si vous le voulez vraiment, rien ne vous en empêche. Mais, allez chercher des gens qui ont fait baptiser leur enfant et qui s’en rappellent encore l’année suivante…

Reste donc à épouser votre meilleur(e) ami(e). On a dit ici même (23 sept 2006) les doutes qu’on pouvait avoir à ce sujet.

Mais voilà la bonne idée : épousez la sœur (le frère) de votre meilleur(e) ami(e) !

Wednesday, February 14, 2007

Citation du 15 février 2007

Lorsqu'on est libre, ce n'est pas difficile de choisir pour soi-même ce qu'il y a de meilleur dans la vie. Mais qui donc a le choix?
Hermann Hesse - La scierie du Marbrier
Je trouve que Hermann Hesse est bien optimiste quand il dit : « ce n'est pas difficile de choisir pour soi-même ce qu'il y a de meilleur dans la vie ». Qui sait ce qui est le meilleur pour lui ? Vous connaissez le conte des trois vœux, où des lourdauds de paysans ayant la possibilité de faire exaucer trois vœux par un Génie, formulent d’abord des vœux tellement ridicules qu’ils sont bien heureux d’utiliser le dernier pour défaire ce qu’ils avaient obtenu des premiers.
Qu’est-ce qu'il y a de meilleur dans la vie ?
Deux exemples opposés, tous deux tirés de la pensée grecque (1) :
- Achille, l’homme qui a eu le choix de vivre une vie longue et obscure ou courte et héroïque. (2)
- Ulysse, l’homme qui au moment de choisir son destin, opte pour l’existence modeste d’un berger.
Et vous, qu’est-ce que vous en dites ?
- Votre patron vous dit : « Achille, vous faites du bon travail, je tiens à m’entourer d’hommes comme vous. Je vous propose un poste de chef des ventes du réseau sud-est. Vous aurez la responsabilité des commerciaux de la région Paca, avec voiture de fonction et Amex d’entreprise. Plus 3 kilo-euros de bonus par mois. Il y a une contrepartie : vous ne pourrez pas rentrer chez vous en dehors des week-ends, et vous aurez à organiser des séminaires à Davos qui vous prendront deux semaines chaque l’année. Bien sûr, vous pourrez y emmener votre épouse, en plus de votre secrétaire. »
Et vous, vous répondez : « Vous vous trompez, monsieur. Je ne m’appelle pas Achille. Je m’appelle Ulysse ». C’est ça ?
(1) L’Iliade d’Homère pour l’un ; Platon (La République) pour l’autre
(2) Sur le choix d’Achille : voir message du 18 mars 2006

Tuesday, February 13, 2007

Citation du 14 février 2007

Après t’avoir eue je n’ai pas senti la lassitude que les hommes prétendent être infaillible, et j’ai été poussé vers toi de tout mon cœur et de tout mon corps.

Flaubert - Lettre à Louis Collet - 7 novembre 1847

Alors Valentin, comment ça va depuis l’an dernier ? Et Valentine ? Toujours aussi belle ? Tu l’aimes toujours autant ?

Bof ??? On dirait que ce n’est plus le grand amour, je me trompe ?

Ça y est : j’ai compris. Tu commence à te lasser de son corps. Tu n’as plus le ressort d’il y a un an : on en est aux mollesses du vieil abonné.

Mais ça, Valentin, c’est normal. Tu n’as pas à avoir honte de ton manque d’élan ; ce n’est pas toi qui perd ta virilité, tu sais. Non, c’est dans ton couple que ça se passe : il faut le rénover.

Oui, tu m’as bien entendu : ré-no-ver l’amour ; ça veut dire non pas changer de partenaire, mais avoir de nouvelles façons de procéder. Comment faire ?

Là, Valentin, c’est à toi de trouver ce qui te conviens le mieux. Emmènes-là un après midi à l’hôtel pour un 5 à 7 canaille ; ou bien coince-là dans la cuisine entre l’évier et le vide-ordure ; ou encore achète-lui pour la Saint-Valentin de la lingerie spécialisée pour les Eros-Centers.

Quoi ? Tu as déjà essayé et ça ne t’inspires pas plus ? Alors là, Valentin, il faut passer à l’étape suivante. Sur Internet, il y a des sites spécialisés dans la vente d’accessoires stimulants pour amoureux fatigués. Tiens, regarde la belle carte que je t’envoie pour la fêtes des amoureux : est-ce que ça ne t’inspire pas ?

Monday, February 12, 2007

Citation du 13 février 2007

Les veuves vivent plus longtemps que leurs conjoints.

Jean-Pierre Raffarin - 2005.

Ah, là là ! Qu’est-ce qu’on peut dire comme bêtise quand on parle tout le temps… Et puis il suffit de tronquer la citation, d’isoler ce qui n’est qu’une formule maladroite pour en faire aussitôt une raffarinade de la plus belle eau…

Mais ne soyons pas trop sévère : de tout temps, les veuves ont excité la verve de nos auteurs, à commencer par notre Rabelais national. Dans le Gargantua, ch.3, il affirme que les veuves qui sont enceintes portent leur enfant 11 mois ; et donc, pendant les 3 mois qui suivent le décès de leur mari, «les femmes veuves peuvent librement jouer du serrecroupière ». Elles ne se contentent pas de vivre plus longtemps ; la vie, elles en jouissent mieux et plus longtemps.

Et cela, c’est un thème constant dans la littérature et dans l’histoire. La Veuve joyeuse n’est pas seulement un titre d’opéra comique, c’est une réalité dans la France d’ancien régime. On arrive ainsi à la condition féminine, dont on sait que ce Blog est un ardent défenseur.

La veuve est la seule femme libre dans la France d’ancien régime. La jeune fille est passée de l’autorité du père à celle du mari ; celle qui n’est pas mariée est au couvent, sous l’autorité de la Mère Supérieure. Mais la veuve, à supposer qu’elle ne soit pas contrainte à entrer dans les ordres, est libre de ses biens, et elle peut vivre conformément à sa volonté. En bref, la femme n’est libre que lorsque les hommes sont sortis de sa vie.

On n’imaginait pas la veuve se remarier. Imaginez un peu la veuve Clicquot, qui épouse en secondes noces Aristide Morin – l’amour, ça ne se discute pas – voilà son champagne rebaptisé : « Épouse Morin » ? Non, n’est-ce pas : il s’appellerait Aristide Morin, point final… Tout simplement, parce que la veuve a un prestige dont l’épouse ne peut pas jouir : elle a le pouvoir de gérer ses biens, ce que l’épouse ne peut pas faire.

Ah !... L’Ancien Régime, c’était le bon temps… Celui où on disait : « Jeunes filles, mariez-vous, et puis…trucidez votre époux ! »

Sunday, February 11, 2007

Citation du 12 février 2007

La garde meurt mais ne se rend pas!

…..Merde !

Cambronne - Waterloo 18 juin 1815

Les « gros mots », comment ça marche ?

Si vous voulez l’histoire du « mot de Cambronne », cliquez ici. Si vous vous étonnez de l’usage de ce mot comme réponse impatientée aux anglais, réfléchissons ensemble.

Ici, pas de difficultés : il s’agit d’un terme dépréciatif parce qu’il est lié aux fonctions inférieures et donc impures du corps humain : en l’occurrence, la défécation. D’ailleurs, les anglo-saxons emploient pour désigner ce que nous appelons les gros mots, l’expression « dirty words » (1). Vous avez d’ailleurs peut-être remarqué dans les B.D. américaine d’autre fois, que la maman lave au savon la bouche de l’enfant qui vient de dire un mot « sale ». Le mot de Cambronne entre bien dans cette catégorie.

Mais il y a encore une difficulté. Supposez que Cambronne ait été béarnais ou quelque chose comme ça. Il eut traité des Anglais de « couillons », sans aucun doute. Comment ce mot, qui désigne originairement cette partie de l’anatomie virile dont les hommes sont si fiers, peut-il être dépréciatif ? Comment celui qui « en a » serait-il un pauvre type, incapable et crétin ? Réfléchissez un peu…

… Ça y est ? Vous donnez votre langue au chat ? Eh bien justement, considérez l’acte sexuel : du côté du mâle, vous avez l’organe de la génération (délicieux vocable…) qui s’active glorieusement, et puis deux espèces de pompons qui restent dehors à ballotter ridiculement : ce sont eux.

Donc, deux axes pour définir le champ sémantique du gros mot : le pur et l’impur d’une part. L’actif et le passif d’autre part. (2)

Foutre ! C’est beau la science. (3)

(1) Voir message du 9 mai 2006

(2) Je n’aborde pas ici cette catégorie de jurons que sont les blasphèmes (Sacré nom de Dieu !) qui sont situés sur un autre axe qui va du sacré au profane.

(3) Foutre : autre « gros mot » à valeur historique. Voir la formule de Hébert, en frontispice du Père Duchesne, le journal des Sans-Culottes : « Je suis le véritable père Duchesne, foutre »

Saturday, February 10, 2007

Citation du 11 février 2007

Il n'y a pas de moyen pour polir le hérisson.

Aristophane - La paix

Polir le hérisson, belle formule, en forme de proverbe. Néanmoins c’est bien une citation d’Aristophane.

- Madame, votre mari rentre du travail sans vous dire bonjour. Il sort illico sa canette du frigo et s’effondre sur le canapé devant les jeux télévisés. Et vous téléphonez à votre mère pour savoir comment faire pour le changer. Elle vous répond : « Autant essayer de polir le hérisson. »

- Monsieur, votre femme qui vient de passer une heure entière dans la salle de bains, reçoit un appel téléphonique, juste au moment de partir au cinéma : vous savez déjà quelle ne raccrochera que quand les batteries seront à plat. Et vous vous demandez comment faire pour ça change ? Autant essayer de polir le hérisson. Un hérisson sans ses piquants, ce n’est plus un hérisson, voilà tout. (1)

Vous tous, les hérissons qui me lisez, de quoi sont donc faits vos piquants ? Et si quelqu’un venait vous les arracher, vous laisseriez-vous faire ? Quelles sont les caractéristiques que vous ne voudriez pas changer en vous ? Celles qui vous identifient le mieux, celles qui constituent votre essence ? Tenez, un exemple : supposez que votre médecin vous dise : « Monsieur, vous avez une hérédité de pathologie cardio-vasculaire. Si vous voulez, je vais vous prescrire des hormones féminines pour vous mettre à l’abri de ce risque. Oh, bien sûr, vous allez constater quelques changements en vous : votre voix va muer, votre barbe va tomber, vous allez avoir des seins qui vont pousser ; quand à la bagatelle, inutile d’y penser. Mais je vous promet une existence confortable et une longévité accrue. » Alors, vous signez, ou bien vous craignez de vous sentir comme le hérisson qui serait devenu chauve ?

(1) A propose des piquants du hérisson, voir la fable inventée par Schopenhauer, message du 25 avril 2006

Friday, February 09, 2007

Citation du 10 février 2007

J'ai été de ces braves gens qui ont cru dur comme fer qu'il suffisait de changer le système de distribution des biens pour que disparaissent les vols, les assassinats, les malheurs de l'amour.

Louis Aragon - Article dans Le Monde du 13 septembre 1967

J’ai été de ces braves gens… en forme de confession, on a ici une profession de foi. Oui, Aragon croit encore en 1967 que la révolution marxiste est la solution à tous les malheurs de l’humanité - y compris, soit dit en passant aux malheurs de l'amour : tout est économique donc tout est politique, même ça !

Croit-on qu’aujourd’hui nous sommes plus lucides sur la réalité humaine et sur le cours de l’histoire ? Peut-on dire qu’aujourd’hui nous n’avons pas le même style de croyance, avec nos tris d’emballages et nos éoliennes ? Grand débat, actuellement en cours. Mais sans vouloir me défiler, j’aimerais revenir sur la période dont parle Aragon. 1967 : j’ai bien connu…

Ces braves gens qui ont cru dur comme fer, qui étaient-ils ? Des sectaires dangereux manipulés par des Gourous magnétiques ? Non, ils ont été des jeunes de 18-25 ans, des ménagères de moins de 50 ans, peut-être même des ouvriers-et-employés.

En 1967, les hippies tenaient le haut du pavé, on partait encore pour Katmandou, on tapait dans les mains quand les Krishna dansaient sur nos trottoirs et les Enfants de Dieu allaient bientôt trôner en haut du Top 50 - avant de tenir le haut de la rubrique des faits divers les plus sordides. Tout ça, ce n’est pas méchant. Mais, ça aurait pu le devenir ; voyez un peu :

- on croyait aussi que la révolution prolétarienne devrait inexorablement produire une société sans Etat, autogérée par les travailleurs ; sur ce thème, on disait aussi que la Révolution Culturelle chinoise devrait bien faire un tour par chez nous, que Mao était un grand homme parce qu’il avait su faire marcher au pas le peuple chinois. Un peu plus tard on allait admirer que Pol Pot supprime l’argent et vide les villes…

Inexcusable, soit, mais explicable. Les croyances sectaires ne sont que la limite d’un processus d’identification qui commence dans chaque groupe humain : ce qui est vrai, c’est ce qu’affirment les membre de mon groupe, de ma mouvance, de ma chapelle. Pire encore : ce qui est vrai, c’est ce que notre chef - Gourou ou tout ce que vous voudrez - affirme que nous devons croire. Et la réalité n’est rien en face de cette croyance.

Alors, Aragon victime de sa naïveté ? Peut-être, mais, ce qui me désole, c’est qu’il écrive cela en 1967 : il a 70 ans. Et il ne sait pas encore qu’en changeant le système de distribution des biens, il ne va pas supprimer les vols, les assassinats, les malheurs ; il va en créer de nouveaux.

Si les vieux ne servent même plus à démystifier le monde pour les plus jeunes, alors à quoi pourraient-ils encore servir ?

Thursday, February 08, 2007

Citation du 9 février 2007

Les actualités d'aujourd'hui, c'est l'histoire de demain.

Raymond Queneau - Les Fleurs bleues (1965)

Les actualités d'aujourd'hui, c'est l'histoire de demain : une chance pour que ça soit vrai, et deux pour que ça soit faux.

1 - Vrai : parce que logiquement tout ce qui sera présent dans l’histoire, aura bien été présent dans l’actualité ; sans quoi aucun document ne pourrait exister pour l’historien.

Mais le journal contient-il de pareils documents ?

2- Faux : parce que si vous faites l’expérience de reprendre les journaux d’il y a un an, pour voir quels étaient les gros titres, vous constaterez que la plupart de ceux qu’on trouve ont été oubliés comme non événement, et que parmi ceux qu’aujourd’hui on retient comme important pour l’époque concernée, bien peu y sont commentés avec exactitude. Voyez les pronostiques et les jugement définitifs qu’on porte aujourd’hui sur les chances de tel ou tel candidat aux élections.

3 - Faux encore : parce que l’histoire se fait de moins en moins avec les événements susceptibles d’être repérés par les journalistes - ni même par quelque témoin vivant l’époque considérée. L’histoire se fait avec des tendances et des mouvements profonds qui n’affectent pas la forme d’un « fait » observable. Tels sont les changements sociologiques ou économiques, l’apparition d’une nouvelle classe moyenne, l’appauvrissement de tel groupe humain, le déplacement d’une population rurale vers la ville, la hausse continue des prix, etc..

- Bilan : je ne rejetterai pourtant pas la proposition de Queneau, parce que, dire que la presse ne contient rien d’utile pour comprendre les changements qui affectent la société, c’est dire qu’il n’y pas de différences entre lire Le Monde et lire Métro ou France soir (au fait, ça existe encore ?).

Mais, que je suis bête ! « Actualité », aujourd’hui ça veut dire journal télévisé... Là, ça marche, parce que le 20 heures ne relate pas l’événement : il l’invente, et il peut même arriver à influer sur l’histoire (s’il fait campagne pour un candidat à la présidentielle par exemple…)

Wednesday, February 07, 2007

Citation du 8 février 2007

Et pétrole et charbon s'en allaient en fumée
Quand le chimiste vint qui eut l'heureuse idée
De rendre ces nuées solides et d'en faire
D'innombrables objets au but utilitaire.
En matériaux nouveaux ces obscurs résidus
Sont ainsi transformés. Il en est d'inconnus
Qui attendent encor la mutation chimique
Pour mériter enfin la vente à prix unique.

R. Queneau. La chant du Styrène (commentaire pour un film documentaire d’Alain Resnais - 1957) Pour lire la totalité du poème : cliquez ici

Faut-il cesser d’exploiter les ressources de la planète ? Faut-il renoncer aux bienfaits de la science et des techniques ? Les matériaux synthétiques obtenus par la chimie sont-ils dangereux au point qu’il faille revenir aux objets de pierre et de bois ? L’âge de la pierre taillée est-il le modèle de développement durable ?

Le poème de Queneau, en alexandrins romantico-lamartiniens nous persuade du contraire : en 1957, il nous révèle ce qui 50 ans plus tard devrait être une évidence pour nous. Brûler le pétrole dans nos voitures ou nos chaudières est une hérésie : fumée polluante mise à part c’est un gâchis à nul autre pareil. La pétrochimie doit avoir le monopôle de l’exploitation des ressources pétrolières.

Pourquoi faut-il le lyrisme du poète pour nous révéler cela ? Parce que grâce aux mutations chimiques, d’obscurs résidus adviennent à la gloire d’objets au but utilitaire. Arracher ainsi aux ténèbres des entrailles de la terre ces déchets pour les hisser au niveau d’une existence utile à l’humanité, voilà qui est digne de l’épopée humaine.

Alors, et la suite ?

Et l’électron et le proton, éternellement,
Dans l’obscurité moite de la matière,
Gravitaient, l’un autour de l’autre,
De leur danse inutile et obstinée,
Quand le physicien dans un effrayant fracas
Les carambola pour en tirer l’étincelle électrique…

… C’est nul ? Bon, bon j’arrête !

Tuesday, February 06, 2007

Citation du 7 février 2007

Les seins et les trains électriques sont faits pour les enfants et ce sont les hommes qui jouent avec.

Jean Cazalet

Le saviez-vous ? (1)

Pourquoi les femmes ont-elles des seins ? Peut-être que votre petit dernier vous a posé la question et que vous n’avez répondu que des banalités. Les anthropologues eux, ont fait mieux. Selon eux, en effet, l’espèce humaine est la seule de toutes les espèces mammifères dans la quelle les femelles ont des mamelles apparentes même en dehors des périodes d’allaitement. Ils en ont tiré la conclusion que les seins sont un élément déterminant pour la reproduction, un peu comme la queue chez le paon. Les seins ne sont donc pas nécessaires seulement pour alimenter les enfants ; ils sont nécessaires aussi pour en faire.

Bien sûr vous vous demandez encore comment va se faire le partage pour que le père et l’enfant ne se disputent pas les seins de la mère.

Voyez ce tableau :



Ecole de Fontainebleau - Gabrielle d’Estrées et la duchesse de Villars

La duchesse de Villars annonce par son geste que sa sœur, Gabrielle d’Estrées, est enceinte : elle lui pince en effet le téton droit, celui de l’enfant, alors que le gauche est celui de l’amour.

Donc à chacun le sien (le sein), et le proverbe arabe qui dit : « Le paradis de la terre se trouve entre les seins d'une femme, sur le dos d'un cheval, dans les pages d'un livre. » et abusif et erroné.

(1) La citation du jour ouvre aujourd’hui une nouvelle rubrique : Le saviez-vous ? On abandonnera, uniquement ce jour-là, le questionnement philosophique pour se consacrer aux réponses de la science.

Monday, February 05, 2007

Citation du 6 février 2007

Défintion - « Or l'art, c'est l'idée de l'oeuvre, l'idée qui existe sans matière. »
Aristote - Des parties des animaux
Avez-vous un critère simple pour définir une œuvre comme « œuvre d’art » ? Non ? Alors lisez ce qui va suivre (si ça vous prend la tête, allez directement à l’avant dernier paragraphe).
L’art est pris ici dans son sens large, correspondant à l’ensemble des productions artificielles des hommes ; l’art, l'idée de l'oeuvre, signifie qu’on fait un plan avant de réaliser l’objet. L’art au sens de production esthétique en fait certes partie, mais pour le désigner on devrait préciser « beaux arts ». N’empêche que la phrase d’Aristote a aujourd’hui un poids plus particulier pour réfléchir à la production de l’artiste.
C’est ainsi que l’art conceptuel paraît concerné par cette citation d’Aristote. Pour cette tendance de l’art, l’œuvre est une chose de l’esprit, quelque chose de « spirituel » qui se révèle dans la production artistique, ce qui veut dire que celle-ci ne doit plus être simplement représentative, comme dans la peinture, ou évocative, comme pour la musique. On sait que Platon écartait l’art de la cité idéale dont il trace les plans dans la République, soit parce qu’il n’est que la copie de ce dont l’idée (eidos) est le modèle, soit parce que, comme la musique, il stimule les affects et non l’intellect. Bref, l’art est mineur parce qu’il n’est pas spirituel.
De nos jours, l’art minimaliste et l’art conceptuel ont repris l’idée que l’œuvre n’a pas de compte à rendre à la représentation du réel, et que finalement ce qui importe, c’est la part de création de l’esprit pour l’esprit (on parle d’œuvre « tautologique » en l’occurrence). Bien entendu je n’entrerai pas dans le détail, mais ce qui me semble intéressant ici, c’est de reprendre une tendance qui se fait jour au sein de cette mouvance, et c’est précisément l’idée que l’œuvre n’est qu’un pont jeté entre le spectateur et l’idée qu’elle véhicule. Qu’un tas de charbon dans un coin d’un musée puisse être une œuvre (au même titre d’ailleurs que l’urinoir de Duchamp) voilà qui répond à la formule d’Aristote : la matière est un support qu’on présente faute de mieux pour rendre accessible le sens.
J’ai, quant à moi, un critère de l’œuvre d’art très simple : c’est celui de l’iconoclaste. L’œuvre d’art qu’on pourrait détruire sans rien perdre, n’est pas une œuvre d’art. C’est qu’elle peut être réduite à une idée, et que rien de ce qu’elle contient n’échappe au langage. Et même qu’on peut la dire complètement, sans qu’un résidu indicible ne fasse appel, pour se signifier, à la matière dont elle est faite.
Là dessus, n’essayez par de détruire une œuvre d’art dans un musée pour voir si c’est vraiment de l’art : ça a déjà été fait : voyez le cas Pinoncelli.

Sunday, February 04, 2007

Citation du 5 février 2007

L'homme est par nature un animal politique, et celui […] qui n'est pas capable d'appartenir à une communauté ou qui n'en a pas besoin parce qu'il se suffit à lui-même […] est soit une bête soit un Dieu.

Aristote - Les politiques - (I, 2, 1252a-1253a)

L’homme est une animal politique, entendez « issu de la cité (polis) ». Cette citation d’Aristote, célèbre entre toute, rend sensible ce qui était évident pour les grecs : chaque homme est un produit de la société telle que les lois et les coutumes l’ont façonnée.

Autrement dit, l’humanité a une histoire qui est diversification : il n’y a qu’une manière d’être une bête, il n’y a qu’une façon d’être un Dieu ; mais il y a un nombre indéfini de façons d’être un homme.

Une bête est intégralement définie par son espèce : un chien, votre Labrador par exemple, est strictement identique à tout autre Labrador (laissons de côté le sentimentalisme de la ménagère de plus de 50 ans).

Un Dieu est différent de tout autre Dieu, certes : mais il n’est pas devenu ce qu’il est ; voyez les représentations de l’enfant Jésus : ce tout petit est surnaturel, il est déjà le divin enfant, du moins c’est ce que s’efforce faire ressentir l’artiste.

On le sait depuis longtemps : un homme n’est d’abord rien, ce sont les autres hommes qui le font : les enfants sauvages, retrouvés dans la compagnie des loups étaient incapables de comportement humain. Mais ce qui est original dans la citation d’Aristote, c’est la référence à la cité : elle signifie que la société humaine est elle-même une invention des hommes. Aucun personnage n’est plus important que le législateur (Solon, Lycurgue), parce que ce sont leurs lois qui ont déterminé la manière d’être des citoyens, et que si quelques chose parvient à durer dans l’ordre social, c’est à la bonté des lois qu’on le doit.

Nous voilà parvenus au terme de ces remarques : le citoyen pour un grec, ce n’est pas simplement celui qui ramasse les crottes de son chien et qui respecte son voisin : c’est celui qui est le produit de son pays, qui plus qu’une patrie est pour lui une « matrie » (voir la prosopopée des lois dans le Phédon).

Saturday, February 03, 2007

Citation du 4 février 2007

Une femme qui zozote est d'autant plus charmante que, quand elle réclame un bijou, on peut se contenter de lui offrir un bizou.

Anonyme

- Messieurs, la Saint-Valentin est proche. Si vous cherchez encore la tendre amie qui vivra ce jour à vos côtés, prenez une femme qui zozote, ça vous coûtera moins cher.

Est-ce pour avoir un prétexte hypocrite à dire une goujaterie que j’ai choisi de parler des « zozoteuses », ou parce que c’était le dernier mot dans mon encyclopédie des citations ?

Croyez ce que vous voulez, moi je veux vous parler d’autre chose : après l’exposé très technique donné récemment ici sur le baiser (1), je m’efforcerai de réfléchir sur le « bisou », ou plutôt les niveaux de langage et l’information que véhicule ce terme.

Le bisou ou la bise relèvent du langage enfantin : la zozoteuse est une femme enfant, c’est ce qui fait son charme. L’enfance, c’est l’age de l’apprentissage du langage, et surtout de l’apprentissage des comportements. On demande à l’enfant de nous « donner un bisou », tout simplement pour qu’il prenne à son compte cette opération. Le tout petit reçoit la baiser, il ne le donne pas spontanément, parce que ça ne fait pas partie de son équipement instinctif, comme l’est le fait de téter. Pourquoi apprendre le baiser à l’enfant ?

Je ne sais si on embrasse dans toutes les civilisations, ce qui est sûr, c’est que chez nous sa signification est multiple. Puisque nous parlons du « bisou », observons qu’il est souvent l’occasion d’un jeu où le baiser simule la morsure : le petit enfant est bien tentant pour l’ogre qui l’embrasse. Le bisou est-il autre chose qu’on simulacre de dévoration ? En particulier le bisou dans le cou qui fait tant rire le petit, n’a-t-il pas quelque chose de troublant ? D’ailleurs, Freud considérait l’anthropophagie comme l’un des désirs partout répandu et partout réprimé (ou : canalisé) chez l’enfant. Le fait que l’anthropophagie rituelle ait servi à s’approprier les vertus de celui qu’on mangeait n’empêche pas que celle-ci ait été d’abord un désir (2).

Si vous êtes choqué par l’idée que le bisou soit un symbole anthropophagique, dites-moi, si vous deviez manger un petit enfant, par quelle partie vous commenceriez ? Hein ? Vous voyez…

(1) 9 novembre 2006

(2) A commencer par celui de la gourmandise - voir à ce propos la Chronique des Indiens Guayakis de Pierre Clastre, où en plus vous trouverez des recettes…

Friday, February 02, 2007

Citation du 3 février 2007

Deviens qui tu es (Genoi oios esti ).

Pindare

Que dit ta conscience ? « Tu dois devenir qui tu es. »

Nietzsche, Le Gai Savoir § 270

Deviens, ne cesse de devenir qui tu es — le maître et le formateur de toi-même

Nietzsche Fragments inédits § 11

Le célèbre paradoxe de Pindare – comment devenir ce que l’on est déjà – exerce toujours la même fascination sur l’esprit en particulier chez les plus jeunes qui y voient sans doute, comme Nietzsche, un encouragement à persévérer dans leur être – dans leur personnalité, dans leurs choix, etc… Que Pindare ait songé d’avantage à la nécessité de se découvrir soi-même (cf. l’injonction socratique) pour prendre conscience de ce qui nous sépare des Immortels a finalement assez peu d’importance : nous vivons le triomphe de l’individualisme, donc de l’individuation.

L’un de nos anthropologue (dont le nom m’échappe pour le moment) considère même que l’existence humaine est caractérisée par un processus d’individuation continu : de la naissance à la mort, c’est cela qui soutient l’évolution de l’individu.

Première conséquence, il n’y a pas de différence notables entre deux nouveaux nés, parce que celles-ci ne se sont pas encore développées. Mais il est certain qu’ils vont se distinguer l’un de l’autre de plus en plus au cours du temps (la question de savoir si c’est de l’acquis culturel ou un développement de caractères génétiques spécifiques n’étant pas posée ici).

Deuxième conséquence : la vieillesse n’a rien de spécifique, elle n’est que le prolongement de l’individuation. L’intolérance des vieux, leur refus de s’adapter pourrait donc venir de cette particularisation, développée et revendiquée : « J’ai bien le droit de vivre comme je l’entends, de dire ce que je pense, de faire ce que je veux ». Du coup, vieillir n’a rien d’effrayant, ce n’est pas une rupture, ce n’est surtout pas une involution. Et rester jeune n’est pas plus désirable que de retomber en enfance, puisque la jeunesse est l’époque de l’impersonnalité..

De Pindare à Nietzsche, cet aphorisme est apparu comme un précepte à suivre, comme un choix qu’il faut faire. En réalité, il se révèle ici comme la loi de l’existence, entendez : une loi indicative et non un précepte normatif. Si nous sommes si différents les uns des autres, c’est parce que nous sommes des individus différentiés. Chacun de nous est toujours plus authentiquement lui-même au cours de sa vie.

Oui mais du coup, si le grand-père est devenu en vieillissant super-chiant, vous êtes obligé d’admettre que c’était dans sa nature

Thursday, February 01, 2007

Citation du 2 février 2007

Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Charles Baudelaire - Les Fleurs du Mal

Eros et Thanatos, désireux de se réconcilier, se sont unis et ils ont engendré un fils. C’est ainsi que naquit Charles Baudelaire.

Il y a deux façons d’unir l’amour et la mort : de façon idéalisée comme chez Goethe (dans les affinités électives on meurt d’amour sans même avoir besoin de se suicider comme le jeune Werther). Ou bien avec perversité comme le fait Baudelaire unissant dans un même poème les jambes en l’air de la femme lubrique est le ventre putride de la charogne. Le vice et la vertu sont ainsi mobilisés pour le même combat : nous mener au-delà de nos limites, faire exploser l’expérience du vécu quotidien.

C’est Bataille qui a le mieux expliqué cette liaison de la lubricité et de la mort, sous le sceau du désir d’infinité (1), défini comme exigence d’excès. L’érotisme est, comme la religion le désir de franchir les limites de l’humain ; mais alors que l’expérience fusionnelle et mystique est le signe du divin, la jouissance et la souffrance est celui d’Eros. Ce sont des expériences strictement impensables et dissolvantes, qui conduisent au-delà des limites de la vie quotidienne.

Il y a deux sortes de limites, et donc deux types de ruptures, toutes deux réalisées par l’érotisme : la rupture est ascendante dans l’idéalisation de l'amour et de la mort (Goethe) ; et la rupture est descendante avec la souillure, le sang, l'amour et la mort matérialisés (Baudelaire). Le vice et la lubricité nous font ainsi franchir nos limites, grâce aux expériences sulfureuses du sexe et de la souffrance (le sado-masochisme étant ici uni à la sexualité comme expérience des limites).

Baudelaire montre que la fascination pour l’horreur relève de ce double mouvement : chercher à rompre les bornes de la vie quotidienne. L’horreur que nous éprouvons pour un spectacle se double alors de l’horreur que nous éprouvons pour nous-mêmes jouissant de ce spectacle.

Au fait, vous avez regardé la vidéo de la pendaison de Saddam Hussein ?


(1) Bataille joue sur l’ambiguïté de l’infini comme absolu et comme infini (l’apeiron des grecs)