Monday, June 10, 2013

Citation du 11 juin 2013


Il n'y a pas au monde de pire malheur que la servitude.
            Sophocle – Ajax
…être [seulement] capable d'exécuter physiquement ces tâches c'est être destiné à être commandé c'est-à-dire être esclave par nature
Aristote – Politiques 2 (1252a) – Voir l’extrait en annexe
Si ce n’est pas l’intérêt du sujet, mais celui du maître qui est la fin de l’action, il est vrai que le sujet est esclave et inutile à lui-même
Spinoza – Traité théologico-politique – Chapitre XVI

Les mots ont une histoire, les idées aussi. Cette histoire est intégrée dans l’Histoire des hommes et de leur société : Sophocle appartient à une société esclavagiste, où la servitude – comme la liberté d’ailleurs – est d’abord une condition sociale, avant d’être un concept philosophique ou juridique.
On s’interroge donc sur la perception de l’esclave dans l’antiquité. Nous savons bien sûr que son sort n’était pas très enviable, mais enfin il pouvait dans certains cas accéder à des fonctions ou des métiers très supportables (comme celui qui devenait intendant d’un domaine dans la Rome antique). De plus ce qui lui manquait – à savoir le pouvoir de décider de son propre sort – lui était commun avec les femmes, qui pourtant étaient respectées – du moins devaient-elles l’être.
Faut-il donc avec Sophocle croire que l’esclavage est la pire des choses ? On voit que là-dessus Aristote diverge complètement : il est avantageux pour l’esclave d’être soumis à un maître qui décide pour lui. Il y a, nous dit Aristote (texte en annexe), des esclaves par nature : ce sont les hommes dépourvus du discernement les rendant capables de juger de ce qui leur est bon ou de ce qui leur est mauvais. Aujourd’hui encore nous avons la notion juridique d’incapacité entraînant la mise sous tutelle qui correspond à cet état privant les individus de leur liberté – sauf que nous essayons de préserver leur intérêt alors que ce n’était pas le cas du maitre par rapport à son esclave.
C’est bien ce qu’affirme Spinoza : Aristote se trompe lourdement s’il croit qu’il est avantageux à un esclave d’appartenir à un maître, car l’esclave est par définition utile à son maître et jamais à lui-même.
Une fois arrivé là, regardons autour de nous, et demandons-nous s’il n’y aurait pas encore quelques esclaves, c'est-à-dire des citoyens qui ne tireraient de leur travail aucun avantage autre que leur survie. Parce que, même du temps d’Aristote, il fallait bien nourrir les esclaves, puisque c’était la condition de leur capacité à travailler. C’était l’entretien de la machine.
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Annexe
« Ainsi, il est tout d'abord nécessaire que s'unissent les êtres qui ne peuvent exister l'un sans l'autre, par exemple la femme et l'homme en vue de la procréation (et il ne s'agit pas d'un choix réfléchi, mais comme aussi pour les autres animaux et les plantes d'une tendance naturelle à laisser après soi un autre semblable à soi) ; et celui qui commande et celui qui est commandé, et ce par nature, en vue de leur mutuelle sauvegarde. En effet, être capable de prévoir par la pensée c'est être par nature apte à commander c'est-à-dire être maître par nature, alors qu'être capable d'exécuter physiquement ces tâches c'est être destiné à être commandé c'est-à-dire être esclave par nature. C'est pourquoi la même chose est avantageuse à un maître et à un esclave ». (Aristote – Politiques 2)

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