Friday, October 20, 2017

Citation du 21 octobre 2017

La jeunesse sait … qu’elle n’est que le temps de l’ennui, du désordre ; pas un soir à vingt ans où l’on ne s’endorme avec cette colère ambiguë qui naît du vertige des occasions manquées.
Paul Nizan – La conspiration


On est habitué à ne retenir qu’une citation de Nizan, c’est celle-ci : « J'avais vingt ans et je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. » Encore heureux si on se soucie de la phrase qui suit : « Tout menace de ruine un jeune homme : l'amour, les idées, la perte de sa famille, l'entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie dans le monde. » Et puis on passe à autre chose.
--> Qu’est-ce que cette jeunesse dont parle Nizan redoute ? En quoi la perspective de l’âge adulte la menace-t-elle ? Craint-elle l’avenir ou regrette-t-elle le passé ?
Nous proposons donc aujourd’hui notre Citation-du-jour qui met les choses en ordre : « La jeunesse sait … qu’elle n’est que le temps de l’ennui, du désordre ; pas un soir à vingt ans où l’on ne s’endorme avec cette colère ambiguë qui naît du vertige des occasions manquées. »
Détaillons :
            - La jeunesse redoute l’avenir parce qu’elle sait qu’elle ne construit rien, et surtout pas l’avenir. Elle est l’âge du dérisoire, du désordre, de la destruction – mieux : de la déconstruction comme on dirait aujourd’hui. Cet âge au lieu d’être insouciant est en réalité soucieux des responsabilités qui lui incombent. (1)
            - Mais si la jeunesse est l’époque de la « conscience malheureuse » (pour paraphraser Hegel), c’est aussi qu’elle est conscience des exigences de l’avenir : parce que si les adultes se moquent de cette période qu’ils ne vivront pas (ainsi que le montre le dessin de Wolinski), elle se sent, quant à elle, un peu plus concernée. Pour elle, rien ne sera possible sans les transfigurations dont elle ressent le besoin et qu’elle se croit incapable de produire : vertige des occasions manquées. La jeunesse selon Nizan est grave parce qu’elle a oublié l’insouciance de l’enfance, lorsqu’elle croyait aux contes de fées et aux bons génies. Mais maintenant elle sait qu’il n’y a aucune force surnaturelle dans le monde, que tout ce qui peut le modifier devra être produit par les hommes en lutte contre les autres et contre eux-mêmes.
Voilà pourquoi il est si difficile d’être jeune : le jeune a en charge le monde de demain. Plus tard, devenu adulte il n’aura plus à changer le monde, seulement y améliorer sa place. Devenu vieux il n’aura plus qu’à la sauvegarder.
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(1) Il est vrai que nous avons connu un renversement de perspective au tournant des années de crise. Je conserve pieusement ce dessin de Wolinski datant de 1977 : heureuse époque !


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