Tuesday, July 26, 2011

Citation du 27 juillet 2011

Et il faut bien avouer qu'ils [les Anglais] ont abusé de la situation, s'ingéniant avec une froide malice à compliquer, voire à décourager, les tentatives de rapprochement. Je ne parle que pour mémoire du système métrique qu'ils se refusent obstinément à adopter, des œufs à la coque qu'ils entament par le petit bout et de la circulation à gauche qui vous précipite à chaque coin de rue sous les roues d'un autobus.

Antoine Blondin – Ma vie entre des lignes

La circulation à gauche… On connait la boutade : dans un document destinés aux voyageurs britanniques embarquant pour la France, on mentionne : Sur le continent les voitures roulent du mauvais côté.

C’est aussi le sens de la remarque de Blondin : les Anglais s’ingénient à faire le contraire de ce qu’il faudrait faire…

Ici, les érudits sourient avec commisération : il y a effectivement un bon côté pour circuler du moins c’est ce que savaient nos ancêtres.

Un homme même à pied circulait autrefois sur le côté gauche de la chaussée, de façon à pouvoir dégainer sa rapière du bras droit et à se défendre en cas d’attaque soudaine. On a parlé récemment ici de l’assassinat du Duc de Guise : il eut lieu dans un corridor étroit où ses assassins l’attendaient installés de chaque côté. On sait aussi que dans les forteresses médiévales, les escaliers à vis qui montaient dans les tours tournaient tous dans le sens inverse des aiguilles d’une montre (qui n’existait certes pas à l’époque, mais ça ne fait rien), de telle sorte que les assaillants (= montants) soient bloqués par le mur du côté droit. (1)

Reste bien sûr que la circulation automobile n’a plus rien à voir avec les combats médiévaux, et que la circulation à droite ne nous expose pas au danger de prendre par traitrise un coup de poignard assassin. Mais faut-il changer une habitude qui est déjà acquise ? Je ne sais pas, je l’avoue pourquoi on circule à droite en France – et ailleurs – alors que les règles de la prudence devaient à l’origine être les mêmes qu’en Angleterre.

Et si c’était justement le besoin de changer les habitudes, si le désir de renouveau – comme en période révolutionnaire – allait s’incarner justement dans des détails semblables ?

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(1) Pour l’anecdote, certains « spécialistes « (de quoi ? Je ne sais plus) expliquent que l’usage du côté droit du corps comme coté dominant vient de la longue habitude de porter le bouclier du côté gauche – en protection du cœur – et donc d’utiliser le bras droit pour manier l’arme. Une sorte de lamarckisme qui explique donc que la fonction crée l’organe, et que l’habitude répétée pendant des milliers de générations devient disposition acquise.

Monday, July 25, 2011

Citation du 26 juillet 2011

Le manque de discipline est un mal pire que le défaut de culture, car celui-ci peut encore se réparer plus tard, tandis qu'on ne peut plus chasser la sauvagerie et corriger un défaut de discipline

Kant – Traité de pédagogie, Introduction

Il suffit de lire l’extrait (publié ici) du texte de Kant pour vérifier qu’il parle bien de la discipline au sens courant, celui qui renvoie à la « règle de conduite imposée (par qqn ou qqc.). » (TLF) Oui, Kant veut qu’on impose aux enfants dès le plus jeune âge la stricte observance des règles de vie, scolaires ou familiales.

J’ai écrit « dès le plus jeunes âge » ; j’aurais dû dire : « essentiellement au plus jeune âge », car il est essentiel de comprendre qu’il y a un âge pour apprendre à se discipliner.

Je peux apprendre la musique, le chant, le dessin, les mathématiques et la philosophie à tout âge ; il y a des universités du temps libres qui sont remplies d’Anciens. Mais apprendre qu’il y a des règles de vie et qu’on doit leur obéir avant même de savoir si elles sont bonnes ou pas, simplement parce que les adultes sont là et les imposent, voilà ce qui est impossible si on ne l’a pas appris étant jeune.

J’hésite pourtant : car si ces règles doivent être admises sans discussion ne risque-t-on pas de cautionner n’importe quelle manipulation ? On sait que les dictatures les plus féroces se sont appuyées sur les enfants, soit en les embrigadant, soit – pire encore – en les conditionnant par l’éducation comme on l’a vu en Chine à l’époque de la Révolution culturelle.

-->Peut-on faire le chemin en sens inverse, se défaire de la discipline acquise, une fois passé l’âge de l’acquérir, c’est-à-dire quand on est plus vieux ? On imagine facilement que certains au moins ne seront pas « récupérables » (1)

Et si ces règles de discipline doivent être contrôlées, par qui le seront-elles, étant entendu que les enfants n’y peuvent rien ?

Kant le sait bien : la tâche la plus difficile est de trouver des hommes indemnes des défauts de l’humain pour conduire d’autres humains (2). Mais l’idée est suffisamment importante pour qu’on essaie…

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(1) « Non récupérable » : on se rappelle que c’est le dernier mot de Hugo, le héros des Mains sales (Sartre) qu’on veut rééduquer à la suite d’un changement de ligne du Parti.

(2) Kant – Idée d’une histoire universelle… 6ème proposition

Sunday, July 24, 2011

Citation du 25 juillet 2011

Le désert est la seule chose qui ne puisse être détruite que par construction.

Boris Vian

L’existence du désert est l’existence d’un rien du tout qui pourtant n’est pas rien.

Après cette ébauche à la Raymond Devos (1), on se gratte la tête et on se dit : « Il y pourtant bien quelque chose d’un peu plus original à dire ! »

Oui – l’essentiel reste à dire : on peut détruire en construisant ! C’est même probablement la façon la plus courante de détruire. Nos villes sont construites sur des mètres et des mètres de remblais, ruines de l’ancienne ville. Mais aussi, la « proto ville » (je veux dire la première construction, le premier état de la ville) a été faite par destruction de la nature, des bois, des champs.

Qu’on se rappelle comment Rome a été fondée : Romulus trace à la charrue le périmètre de la future cité (2), ce qui veut dire qu’on est sur une terre arable que la ville va stériliser en se construisant.

Nous qui ne fondons plus tellement de villes, mais qui étendons dans leur périphérie des Supermarché avec leurs parkings envahissants, nous en entendons parfois parler : combien d’hectares de betteraves – ou pire encore : combien de pieds de vignes prometteurs de vendanges – sont arrachés pour permettre de bitumer les champs ?

Faut-il le regretter ? Après tout, toute espèce vit en détruisant peu ou prou le milieu dans lequel elle vit, et seule sa limitation par des prédateurs permet sa survie et la conservation du milieu : c’est ce qu’on appelle l’équilibre écologique.

Si nous traduisons en terme concret, ça veut dire que l’espèce humaine va produire des famines terribles en détruisant les surface cultivables, et que ce faisant elle va réguler elle-même ses besoins.

Mais en attendant, voyez comme la Chine s’affaire pour acheter des terres cultivables en Afrique, à Madagascar et sûrement ailleurs.

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(1) A écouter ici, avec en bonus le final prémonitoire sur la catastrophe politique.

(2) A lire ici

Saturday, July 23, 2011

Citation du 24 juillet 2011

C'est le triomphe de la liberté, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particulière du crime. Tout l'arbitraire cesse; la peine ne descend point du caprice du législateur, mais de la nature de la chose; et ce n'est point l'homme qui fait violence à l'homme.

Montesquieu – De l’esprit des lois, livre XII, chapitre 4 (Que la liberté est favorisée par la nature des peines et leur proportion)

Notre époque est obsédée par la sécurité. Toujours plus de rigueur contre les délinquants, voilà le souci essentiel de nos concitoyens. Toutefois, il faut aussi se demander comment cette rigueur peut être compatible avec l’exigence de liberté individuelle sur la quelle est fondée notre société.

Tout le problème est qu’on s’en tient à la première partie de la réponse : on dit que la victime doit être prise en considération et que sa liberté doit être garantie contre la menace des criminels. Et si la liberté des criminels devait aussi être prise en considération ?

J’entends d’ici les protestations des bonnes gens : que les malfaiteurs commencent par respecter les libertés des honnêtes gens, et on verra alors si on peut respecter la leur (1).

--> Les principes sont les principes : ils n’admettent pas d’exception, et tant qu’on admettra qu’un criminel est aussi un homme, il aura des droits qu’il faudra respecter.

Bon – Venons-en à l’essentiel. Qu’est-ce qui menace la liberté d’un criminel, c’est-à-dire d’un homme qu’on se prépare à priver de liberté ? C’est que cette sanction devienne une violence arbitraire, car si c’est l'homme qui fait violence à l'homme, alors il n’y aura plus de différence entre la violence du crime et celle de la punition.

Respecter la liberté du criminel, c’est donc faire que la sanction qui lui est infligée ne dépende point de l’arbitraire du juge (et encore moins de l’esprit de vengeance de la victime, ni de la pression de l’opinion publique). Pourtant, le juge, tout juge qu’il est, n’en reste pas moins homme avec ses limites, ses passions et ses petitesses.

Pour éviter cela, il faut que chaque peine [soit tirée] de la nature particulière du crime, afin qu’elle ne descende point du caprice du législateur, mais de la nature de la chose.

C’est alors que le criminel serait condamné non pas selon la volonté du juge, mais selon sa volonté propre : « Tu as voulu faire ceci ? C’est donc toi qui te condamne toi-même à cela ».

On dira qu’à ce compte c’est la loi du Talion qu’il faut ressusciter. Peut-être pas forcément.

Voyez les propositions du ministère de l’Education nationale, qui vise à établir un système de sanction contre les élèves qui troublent la vie scolaire : on veut qu’il y ait un barème des punitions qui soit appliqué automatiquement, sans que la délibération des enseignants ne puisse venir la modifier.

Et les retraits automatiques de points sur les permis ?

- Tu veux dépasser la vitesse autorisée ? Donc tu veux perdre un point et payer l’amende. (2)

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(1) On se rappelle peut-être la répartie d’un député de la 3ème république lors d’un débat à l’Assemblée où il était question de supprimer la peine de mort : Que messieurs les assassins commencent !

(2) Version immorale et incivique (réservée aux anarchistes) :

- Tu veux décrasser les bougies de ta BM ? Va sur les autoroutes allemandes.

Citation du 23 juillet 2011

L'idéal du calme est dans un chat assis.
Jules Renard. Journal – 30 janvier 1889
L'idéal du calme est dans un chat assis. Curieuse idée… Pourquoi pas plutôt dans le chat couché, dormant, ou bien jouant avec insouciance ?
D’abord, je me suis dit que décidément les chats sont l’occasion de bien des observations curieuses (comme celle des chinois de Baudelaire). Et puis j’ai consulté mon Google-Images et j’ai constaté que parmi la myriade d’images de chat il y en a très peu qui représentent le chat assis. Et je me suis dit que si c’était si peu intéressant c’est peut-être, justement, parce que ça représente le calme.
Voyez ce chaton : il ne dort pas, il ne somnole pas – d’ailleurs un chat si maigre ne peut pas se permettre un tel relâchement. Il est dans la nature (= les fleurs) sur une souche (= position élevée), et il est vigilant (= voir les oreilles). En quoi consiste son calme ?
Si on s’en tient aux quelques observations que je viens de faire, on suggérera que le calme est avant tout dans la domination des éléments, dans l’harmonie qu’on a su instituer entre eux. Le chat est parfaitement relâché, mais on devine qu’il est capable de mobiliser toute la mécanique de son corps pour bondir dans l’instant si nécessaire. De même, on le devine complètement à l’affut des signes évoquant une proie possible, et pourtant sans tensions ni attention forcée. Car le calme du chat a ceci de particulier qu’il est à la fois vigilant et infatigable. Le chat est même capable de veiller en somnolant, ce que nos sentinelles ne sauraient pas faire…

Citation du 22 juillet 2011

Personne ne se repose jamais vraiment, on imagine qu'on se repose ou qu'on va se reposer mais c'est juste une petite espérance qu'on a, on sait bien que ça n'existe pas, ce n'est qu'une chose qu'on dit quand on est fatigué.

Jean Echenoz Je m'en vais

Notre nature est dans le mouvement, le repos entier est la mort

Pascal Pensée 544

Requiem æternam dona eis, Domine,

Missa pro defunctis (Liturgie catholique) (1)

Se reposer : voilà donc la finalité des vacances ? Est-ce si sûr ?...

Nous sommes toujours pris dans l’ambiguïté du mot : le repos comme arrêt du mouvement est sans cesse confondu avec le repos comme arrêt du travail (ou d’une activité fatigante comme le dit le TLF). Le repos total est impossible, parce qu’il n’est pas le simple arrêt du travail, mais qu’il suppose aussi l’immobilité de l’âme. Le repos de l’âme serait en réalité la cessation de toute pensée (au sens d’état de conscience) et comme le dit Descartes, l’âme pense toujours.

Mais alors que chez Pascal l’impossibilité de rester en repos est la preuve de la misère humaine – liée au péché et à la nature corrompue de l’homme – ici, c’est au contraire une simple observation : ne cherchons pas le repos, parce que nous ne pourrions le trouver que dans la mort. Requiescat in pace.

Ça ne fait pas envie… N’y aurait-il pas une autre solution ?

- La paix de l’âme, son équilibre qui seul peut conférer à l’âme humaine une véritable immobilité est bien sûr une forme de repos – seulement voilà : elle n’est accessible qu’aux plus grands sages, et c’est même à leur sérénité qu’on les reconnait.

- Reste que ce n’est peut-être que par une opinion fausse qu’on oppose le repos au travail : Kant considérait que le repos de l’âme est plus proche de nous quand nous travaillons, quand une activité aussi prenante nous empêche de penser à nous : L’homme doit être occupé de telle manière qu’il soit rempli par le but qu’il a devant les yeux, si bien qu’il ne se sente plus lui-même et que le meilleur repos soit pour lui celui qui suit le travail. (Cité le 29 février 2008).

C’est pourquoi Kant considérait qu’il fallait le travail pour trouver un repos qui soit accessible à tous – un peu comme ces insomniaques qui ne peuvent trouver le sommeil que dans l’épuisement physique qui lamine leurs facultés intellectuelles et affectives.

Sinon, qu’est-ce qui ferait courir les marathoniens ?

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(1) Paroles latines :

Requiem aeternam dona eis, Domine ; / et lux perpetua luceat, luceat eis. / Te decet hymnus, Deus, hymnus Deus, in Sion, / et tibi reddetur votum in Jerusalem.

Exaudi orationem meam ; / ad te omnis caro veniet.

Requiem aeternam...

(Traduction) :

Le repos éternel, donne-leur Seigneur, et que la lumière éternelle brille sur eux. À Toi est due la louange, ô Dieu de Sion, et on accomplit les vœux qu'on te fait dans Jérusalem

Exauce ma prière, Que tout être de chair vienne à Toi

Le repos éternel...

(2) Toutefois, le repos qui suit le travail est en réalité le sommeil, image de la mort insinuée dans la vie.