L’homme doit être occupé de telle manière qu’il soit rempli par le but qu’il a devant les yeux, si bien qu’il ne se sente plus lui-même et que le meilleur repos soit pour lui celui qui suit le travail. Ainsi l’enfant doit être habitué à travailler. Et où donc le penchant au travail doit-il être cultivé, si ce n’est à l’école ? L’école est une culture par contrainte. (1)
E. Kant, Réflexions sur l’éducation, p.110-111.
Faut-il faire apprendre aux enfants des écoles des pages entières de Kant, comme on a fait autrefois apprendre les cours de morale ou les versets de la Bible ?
Pourquoi pas, à condition de leur apprendre aussi à critiquer ces textes.
Que fait Kant ? Il montre que le travail est une bonne chose, et pas seulement pour satisfaire les besoins humains. Si Dieu l’avait voulu, Il aurait pu, en effet, nous épargner le travail : il ne l’a pas fait, et on peut supposer qu’Il aurait donné du travail à Adam et Eve au cas où ils n’eussent pas été expulsés du Paradis.
Qu’est-ce qu’il y a de bon dans le travail ? Il détourne l’homme de lui-même, lui épargne la macération psychologique, le tourne vers l’action. Tout travail est bon - même de casser des cailloux sur les chemins - puisqu’il occupe l’esprit. L’homme qui fuit le travail doit être dressé à s’y soumettre, et l’école est là pour ça : il faut commencer jeune.
Alors, qu’est-ce que vous avez à redire à ça ? L’école est là pour épanouir l’enfant ? L’éducation se fait non par la contrainte, mais par l’éveil de l’intelligence ? Dites donc, vous ne seriez pas un peu contaminé par les retombées de Mai-68 ? Vous n’auriez pas eu un instit’ chevelu avec peau de mouton et guitare sur le dos ?
Soyons un peu sérieux : le travail, on en parle ici depuis assez longtemps pour ne pas être obligé de se répéter. Si je reprends la raisonnement de Kant, je dirai à peu près ceci : dans le pire des cas - labeur éreintant, travail contraint - le travail est encore une bonne chose parce qu’il engage l’homme dans l’action et le détourne de la macération psychologique. Nous n’avons donc pas grand chose de plus à espérer de la vie, sinon le repos après le travail.
Et c’est là que je ne suis plus d’accord. La véritable action, celle qui nous permet de nous régénérer, c’est la création, même si ce mot est un peu excessif. C’est par la production de ce qui n’aurait pu être fait par un autre, par ce qui n’aurait pas existé sans nous, que nous sortons de l’animalité (cf. Hannah Arendt). Alors effectivement, le travail peut nous apporter cela. Mais s’il ne le fait pas, alors pour éviter de devenir des bêtes de somme, nous devons en venir aux loisirs.
Au sens grec.
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(1) C’est moi qui souligne
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