Friday, July 29, 2011

Citation du 30 juillet 2011


Bâiller c'est se délivrer de penser par se délivrer d'agir.

Alain – Les idées et les âges

Ceux qui n’aiment pas les philosophes affirment que ce sont des gens qui pérorent à perte de vue sur des choses sans importances, ou bien qui, comme Socrate, posent des questions oiseuses dont tout le monde connait déjà la réponse.

Tentons de vérifier cette hypothèse sur ce texte d’Alain consacré au bâillement (voir l’Annexe).

Quoi de plus insignifiant que le bâillement ?

Oh, certes, il est bien énigmatique : la contagion du bâillement par exemple, présente déjà chez l’animal est très curieuse ; mais à qui appartiendra-t-il de dissiper le mystère ? Au savant éthologue ? Au psychologue ? Au physiologiste ? En tout cas de très sérieux universitaires se sont penchés sur la question et leurs travaux sont l’objet de rapports aussi volumineux que passionnants (1).

Bon – Et les philosophes, me direz-vous : que viennent-il mettre leur grain de sel ici ?

Les philosophes – ou du moins Alain dans notre citation du jour – ont une habitude, qui est de donner du sens à ce qui parait ne pas en avoir : rien n’est pour eux tout à fait gratuit.

Ainsi, le bâillement est-il pour Alain une manière de nier toute attitude, de renoncer à toutes préparation à l’action. Et là où certains verraient l’absence de toute signification, puis qu’on a ici de degré zéro de l’emprise sur les choses et sur nous-mêmes, Alain voit un désengagement qui manifeste une confiance totale en notre sécurité. L’homme qui bâille a relâché tous ses muscles, il a abandonné toute vigilance, il est totalement détendu (relaxé dirait-on aujourd’hui). Lorsqu’on bâille, on est comme le cow-boy qui a fini sa mission : on dépose les armes et on retire les bottes. C’est pour cela que le bâillement est un prélude au sommeil.

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(1) Voir ce passage sur l’échokinésie du bâillement : c’est un extrait de cet étonnant site consacré au bâillement.

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Annexe :

« On sait que bâiller est une agréable chose, qui n'est point possible dans l'inquiétude. Bâiller est la solution de l'inquiétude. Mais il est clair aussi que par bâiller l'inférieur occupe toute l'âme, comme Pascal a dit de l'éternuement, solution d'un tout autre genre. Par bâiller on s'occupe un moment de vivre. C'est, dans le vrai, un énergique appel du diaphragme, qui aère les poumons profondément, et desserre le cœur, comme on dit si bien. Bâiller est pris comme le signe de l'ennui, mais bien à tort, et par celui qui n'arrive pas à nous plaire ; car c'est un genre d'ennui heureux, si l'on peut dire, où l'on est bien aise de ne point prendre intérêt à quelque apparence qui veut intérêt. Bâiller c'est se délivrer de penser par se délivrer d'agir ; c'est nier toute attitude, et l'attitude est préparation. Réellement bâiller et se détendre c'est la négation de défense et de guerre ; c'est s'offrir à être coupé ou percé ; c'est ne plus faire armure de soi. Par ce côté, c'est s'affirmer à soi-même sécurité pleine. » (ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960) p.10

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