Sunday, October 11, 2009

Citation du 12 octobre 2009

Si l'on faisait une sérieuse attention à tout ce qui se dit de froid, de vain, de puéril dans les entretiens ordinaires, l'on aurait honte de parler ou d'écouter, et l'on se condamnerait peut-être à un silence perpétuel, qui serait une chose pire dans le commerce que les discours inutiles. Il faut donc s'accommoder à tous les esprits, permettre comme un mal nécessaire le récit des fausses nouvelles, les vagues réflexions sur le gouvernement présent, ou sur l'intérêt des princes, le débit des beaux sentiments, et qui reviennent toujours les mêmes…

La Bruyère – Les caractères (De la société et de la conversation 5 – IV)

Mieux vaut parler pour ne rien dire que de se condamner à un silence perpétuel. Autrement dit : ce n’est parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut se taire

…Cette exclamation qu’on croirait issue des propos en forme de coups de gueule, coups de cœur de nos semblables – et de nous-mêmes confessons-le – est le fonds de cette Remarque de La Bruyère.

Question : qu’est-ce que véhicule la parole, qu’est-ce qui passe par elle, même quant elle ne sert pas à transmettre de l’information ?

Pourquoi n’attend-on pas d’avoir à dire quelque chose pour ouvrir la bouche ? C’est que, quant on parle même pour ne rien dire, il se passe quelque chose qui est plus que rien du tout. La parole est un contact privilégié avec autrui, quelque chose qui devance le geste, qui vient alors même que la main ne peut serrer la main.

Et même quand cette rencontre est dématérialisée, quant par exemple elle a lieu via le téléphone, même quant celui qui parle dans l’appareil n’a strictement rien à dire, il passe quelque chose, qui relève de la rencontre entre les personnes. Moi qui n’utilise jamais de portable, je suis par contre toujours impressionné par ceux qui s’en servent en public, dans la rue, dans le bus. Je trouve très émouvant le sourire qui se dessine sur le visage (des jeunes femmes en particulier) et qui s’adresse à la personne qui parle à son oreille depuis le portable dissimulé dans le creux de sa main. La rue, les gens qu’elle y croise n’existent plus ; seules existent ces vibrations qui filtrent entre ses doigts…

Les pédiatres le disent aussi : parlez à votre petit enfant, même s’il est si petit qu’il ne risque pas de vous comprendre ; ce qui compte c’est que ce comportement va lui apporter ce contact sans le quel l’être humain ne serait pas ce qu’il est – un être pétri de symboles.

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