Monday, October 12, 2009

Citation du 13 octobre 2009

Rien n'émancipe un homme autant que le jeu. Comme, dès que l'on a un peu joué, on se sent moins esclave de l'argent !

Tristan Bernard – Auteurs, acteurs, spectateurs

…on aime mieux la chasse que la prise.

Pascal – Pensées, fragment 142 (voir l’extrait en annexe ; et un début de commentaire dans ce Post)

On pousse des hauts cris à propos de l’ouverture de sites de jeux d’argent en ligne ; mais pourquoi donc ? Est-ce immoral ? Est-on d’un coup devenu si soucieux de préserver nos semblables d’une addiction de plus ?

Et si ce n’était que par peur d’y succomber nous-mêmes ? Si ce n’était que pusillanimité devant un plaisir que nous nous interdisons ?

Quel est donc ce plaisir du jeu – entendez du jeu d’argent ?

Posons plus clairement le problème : supposons le passionné de jeu sache qu’il va perdre ; s’il joue quand même, c’est que le plaisir et l’espérance sont malgré tout à son horizon. Qu’espère donc celui qui joue ?

Pour Tristan Bernard, l’espérance n’est rien, seul compte le plaisir : bien sûr, sa remarque est une boutade, mais on peut aussi la prendre au sérieux. Le joueur est capable de se donner au jeu au point que rien d’autre – et surtout pas l‘argent n’a d’importance.

Oui, mais qu’est-ce qu’il trouve de si exceptionnel dans le jeu ?

- C’est Pascal qui répond : dans le jeu on trouve le danger et la difficulté, qui vont nous faire perdre conscience de notre condition humaine – par exemple, le truc-à-gratter qui va me faire oublier que les rêves d’île-aux-cocotiers ne sont que des rêves, et que je vais rentrer dans mon HLM pourri avec mon ticket froissé au fond de ma poche. Alors bien sûr, la difficulté n’est pas au rendez-vous du grattage ; mais le danger, oui : celui de perdre tout l’argent du mois. Aucun joueur ne connaît de limites, c’est là le danger qu’il assume.

Le jeu est un puissant divertissement, qui par les risques qu’il nous fait prendre et/ou les difficultés qui met sur notre chemin nous dispense de penser à notre triste et banale existence.

Qu’est-ce qui pourrait nous distraire autant ? En dehors du jeu, quel danger pourrions nous courir, quels risque pourrions-nous prendre pour nous oublier nous-mêmes ?

Il n’y a que la guerre qui réponde à cette question ; les combats, les bombardements, les mitraillages, voilà qui nous dispenserait de penser à autre chose qu’à sauver notre peau.

… Finalement, je trouve plutôt rassurant que les jeux d’argents envahissent la toile.

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[...]
Ce n'est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu'on recherche ni les dangers de la guerre ni la peine des emplois, mais c'est le tracas qui nous détourne d'y penser et nous divertit. Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la prise.

De là vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement. De là vient que la prison est un supplice si horrible. De là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. Et c'est enfin le plus grand sujet de félicité de la condition des rois de ce qu'on essaie sans cesse à les divertir et à leur procurer toutes sortes de plaisirs. - Le roi est environné de gens qui ne pensent qu'à divertir le roi et à l'empêcher de penser à lui. Car il est malheureux, tout roi qu'il est, s'il y pense.
Pascal – Pensées, fragment 142


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