Thursday, March 04, 2010

Citation du 5 mars 2010

Le principe de la démocratie se corrompt non seulement lorsqu’on perd l’esprit d’égalité, mais encore quand on prend l’esprit d’égalité extrême, et que chacun veut être égal à ceux qu’il choisit pour lui commander.

[…] La démocratie a donc deux excès à éviter : l’esprit d’inégalité, qui la mène à l’aristocratie, ou au gouvernement d’un seul ; et l’esprit d’égalité extrême, qui la conduit au despotisme d’un seul, comme le despotisme d’un seul finit par la conquête.

Montesquieu – De l’esprit des lois (Livre 8, Chapitre 2)

Permettez que je me souvienne : il y a de ça 4 ans, je publiais un Post sur l’égalité qui m’a valu un commentaire critique au quel je ne répondis pas, parce qu’au fond j’étais d’accord avec lui et que je ne pensais pas avoir dit autre chose dans mon texte. Mais on peut quand même se dire que l’égalité, concept absolument central dans notre démocratie, et de plus en plus sollicité maintenant que les gouvernants agissent selon les sondages d’opinion, mérite encore un petit effort de réflexion – ce qui nous est facilité par l’extraordinaire abondance de la littérature philosophique à son sujet, comme l’Esprit des Lois.


L’esprit d’égalité extrême : il peut donc y avoir trop d’égalité ? Mais dans quel cas ?

Montesquieu répond à cette question : l’égalité est extrême quand elle suppose un nivellement par le bas, ce qui veut dire non seulement aligner les plus forts sur les plus faibles, mais aussi les plus vertueux sur les vicieux. Quand le paresseux devient aussi louable que l’industrieux, quand le libertin vaut autant que l’homme fidèle.

On l’aura compris : le vice de la démocratie est dans la corruption morale plus encore que dans l’incompétence d’un peuple de gueux accédant au pouvoir suprême. Si l’égalité est dans le droit qu'ont tous les hommes à la vie, l’égalité extrême est dans le pouvoir donné à tous de jouir comme bon leur semble.

Or, ce pouvoir nous dit Montesquieu ne peut être qu’illusoire : la réalité c’est l’inégalité, et l’inégalité doit être prise en compte pour que la société soit structurée de façon viable. C’est pour cela que l’usurpateur a besoin de la démocratie pour s’épanouir : il doit obtenir la délégation du pouvoir de la part du peuple qui ne sait comment gouverner ; et il l’obtient par le clientélisme. Voilà : tout ça est bien connu. Mais Montesquieu ajoute un point qui peut nous intéresser encore aujourd’hui : il ne s’agit pas seulement de favoriser les intérêts de tel ou tel groupe. Il s’agit aussi de flatter ses vices et de l’aider à se corrompre en lui donnant à croire que c’est ça qui est son droit le plus strict : c’est ainsi que les romains ne se contentaient pas seulement du panem, mais qu’ils réclamaient aussi les circenses.

Ce n’est pas en disant qu’il faut nourrir ceux qui ont faim et protéger ceux qui ont froid qu’on va tomber dans l’égalité extrême. C’est en disant que tous les plaisirs se valent et que la société doit y pourvoir.

Ça nous ressemble bien, ça – sauf qu’aujourd’hui ce ne sont pas les dirigeants politiques qui le disent et qui en tirent profit ; ce sont les marchands qui en tirent du profit.

La société capitaliste est passée par là.

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