Monday, December 17, 2007

Citation du 18 décembre 2007

Voici venir inévitable, hésitant, redoutable comme le destin, le grand impératif, la grande question : comment faudra-t-il gouverner la terre prise, comme un tout ? Et en vue de quoi l’humanité, prise comme un tout – non plus en tant que peuple ou race- devra-t-elle être dirigée et dressée ?

Nietzsche - La Volonté de puissance (1)

Nietzsche le visionnaire - du moins pensait-il l’être - avait-il pris la mesure de l’imminence de la mondialisation ? Ce monde de l’humanité que les stoïciens avaient appelé de leurs vœux (2), voici que Nietzsche le voit s’approcher - et il tremble.

Mais ce magnifique texte ne laisse pas l’ombre d’un doute : ce n’est pas ce rassemblement qui fait trembler ; c’est la recherche de la valeur qui devra rassembler, guider l’humanité. Et en permettre le dressage (3). Et si Nietzsche tremble, c’est parce qu’il ne voit aucun Dieu, ni aucune valeur de l’ancien monde capable de soulever un monde nouveau.

Quel nouveau Dieu serait capable de mobiliser l’humanité, de l’aimanter par les valeurs qu’il fait rayonner ? A quelle nouvelle table de la loi assujettir cette multitude qui n’est plus celle des esclaves soumis à un maître, mais celle des égaux animés par le même espoir ? Comme Nietzsche, nous savons que si Dieu est mort, alors le temps des idoles n’est pas loin. Nul horizon pour l’humanité.

Examinons l’histoire du XXème siècle : elle nous montre que nos grands empires - empires totalitaires en tête - n’ont cessé de chercher une réponse à cette question.

A présent, nous vérifions chaque jour d’avantage l’exactitude de la prophétie de Nietzsche : nous avons réussi à assembler les hommes. Et nous n’avons pas su leur dire pourquoi.

La mondialisation existe. La technique a réussi là où les politiques et les philosophes des siècles passés avaient échoué : mettre en interaction, en interconnexion, l’humanité entière. Seulement on a laissé l’objectif en blanc ; de fait, chacun y a mis ce qui préoccupe l’humanité depuis très longtemps : la sécurité et la puissance. Bref, cet instinct qui permet d’identifier notre espèce, et non l’humanité, prise comme un tout.

Demandons aux zoologues de nous éclairer : dans une meute, les loups se respectent parce qu’il faut se battre contre les autres meutes. Mais qu’adviendrait-il s’il ne restait plus qu’une meute ?

(1) La volonté de puissance est le titre d’un recueil de fragments posthumes, réunis par la soeur de Nietzsche. Les spécialistes de Nietzsche contestent la conformité de ce montage avec sa pensée ; pourtant cet ouvrage reste édité de nos jours.

(2) Rappelons que ce sont eux qui ont inventé le cosmopolitisme ( les « citoyens du monde »). Seulement pour eux il n’y avait pas à choisir de lois ni de valeurs : la nature l’a fait une fois pour toutes.

(3) Ça, c’est la signature de Nietzsche : quand bien même son nom ne figurerait pas à la suite de cette citation, on l’aurait deviné en lisant ça

5 comments:

Anonymous said...

A côté de Nietzsche le visionnaire, on peut mettre Kant. Deux siècles avant la mondialisation, il avait déjà tout dit (ou presque).
La fin de l'analyse me fait penser à ce que dit le controversé Carl Schmitt, lorsqu'il considère que la politique se fonde sur la distinction entre l'ami et l'ennemi, et qu'un monde où il n'y aurait plus d'ennemi par rapport auquel se définir (un monde où n'existerait donc plus qu'un seul groupe humain) serait un monde a-politique.

Jean-Pierre Hamel said...

Groupe a-politique, donc ...meute ou harde gouvernée par le croc et la griffe ?
En tout cas, je pensais aussi à Freud disant qu'on n'aimait son prochain qu'à condition de haïr le reste de l'humanité.

Djabx said...

Votre commentaire me fait penser à quelque chose, mais je n'ai plus la référence:

Les amis des mes amis sont mes amis

Je me souviens plus jeune, je me demandais comment si tous les humains respectaient juste ça, il pouvait y avoir la moindre guerre...

Jean-Pierre Hamel said...

Je me souviens plus jeune, je me demandais comment si tous les humains respectaient juste ça, il pouvait y avoir la moindre guerre...

On pourrait dire aussi que les ennemis de mes amis sont mes ennemis.
Mais c’est un peu superficiel.
Freud pense qu’il n’y a d’amitié - pour - que s’il y a aussi inimitié - contre.
Ou si vous préférez, qu’on n’est ami de qui que ce soit qu’à condition de pourvoir orienter notre agressivité contre ceux qui sont en dehors du cercle de nos relations.
D’ailleurs, parmi vos amis, n’y a-t-il pas quelques uns qui ont des relations franchement insupportables ?

Djabx said...

D’ailleurs, parmi vos amis, n’y a-t-il pas quelques uns qui ont des relations franchement insupportables ?

Oh si bien entendu. J'ai même des anciens "amis" qui maintenant me paraissent insupportables; mais c'est un autre problème.