Wednesday, February 24, 2010

Citation du 25 février 2010

Si tu pouvais par un seul désir tuer un homme à la Chine et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu'on n'en saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce désir?

Chateaubriand – Le génie du christianisme (I, Livre 6, ch.2)

On consultera en annexe la longue histoire du « mandarin assassiné » pour se convaincre qu’il s’agit là d’un questionnement moral assez fondamental.

L’essentiel est en effet de relever que depuis 2500 ans la même affirmation demeure : sans les lois répressives, jamais le sentiment de l’injustice ne suffirait à empêcher le crime. Même le remord qui, dit-on, est le châtiment le plus douloureux (voir ici l’histoire de Caïn) n’empêche rien du tout : quand il s’instaure, le mal est déjà fait, et sa crainte n’a jamais empêché aucun criminel de commettre son forfait.

Cela, tout le monde le sait, et je ne vais pas continuer à enfoncer des portes ouvertes.

Simplement on est certain que l’assassin de Mandarin, c’est toujours le voisin – ce salaud ! – et jamais soi-même (même Chateaubriand écrit : « Si tu pouvais… », et non « Si je pouvais… ».

Alors passons aux travaux pratiques.

- Dis-moi, cher lecteur, qui serait ton Mandarin à toi ? Suppose que tu revêtes la cape d’invisibilité de Harry Potter, n’y a-t-il pas un homme quelque part dans le monde dont tu accaparerais les biens, les palais, les femmes ? Allez dis un nom !

…Non ? Personne ? Je sais que tu mens, mais qu’en toi-même tu as déjà l’image d’un beau salopard dont la disparition soulagerait l’humanité et dont la fortune serait mieux dans ta poche…


Mais je vois que tu hoches la tête, brave lecteur : l’impunité ne t’intéresserait que pour satisfaire quelques uns de tes plus brûlants désirs, ce qui n’implique pas du tout l’assassinat de quiconque. C’est d’ailleurs ce que nous suggère l’image ci-contre…

En effet, je l’admets : ça peut suffire – pour commencer…





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Annexe : l’histoire du mandarin chinois

1 - L'histoire du mandarin remonte à Platon, La République : l'anneau de Gygès.

2 - Que l'on retrouve ensuite dans Cicéron –Traité des Devoirs

3 – Puis Montaigne, Essais, L.II, chap 16 ;

4 – Et La Bruyère Caractères Chap.6

5 – Rousseau " Les crimes non commis sont déjà dans le fond des cœurs, et il ne manque à leur exécution que l'assurance de l'impunité" (Narcisse ou l'amant de la vérité).

Idem (dans le Discours sur l'origine de l'inégalité) :" il n'y a peut-être pas un homme aisé à qui des héritiers avides, et souvent ses propres enfants, ne souhaitent la mort en secret."

6 – La main passe ensuite à Diderot. "Je ne doute point que, sans la crainte du châtiment, bien des gens n'eussent moins de peine à tuer un homme à une distance où ils ne le verraient gros que comme une hirondelle, qu'à égorger un bœuf de leurs mains" Lettre sur les aveugles.

7 – Balzac et Le Père Goriot dans lequel Rastignac demande à Bianchon : "Te souviens-tu de ce passage où il [Rousseau] demande à son lecteur ce qu'il ferait au cas où il pourrait s'enrichir en tuant à la Chine par sa seule volonté un vieux mandarin sans bouger de Paris ?"

8 – Phrase qu’on trouve en réalité chez Chateaubriand : O conscience ! ne serais-tu qu'un fantôme de l'imagination, ou la peur des châtiments des hommes ? Je m'interroge ; je me fais cette question : « Si tu pouvais par un seul désir tuer un homme à la Chine et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu'on n'en saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce désir ? (Le génie du christianisme)

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