Thursday, May 24, 2012

Citation du 25 mai 2012


J'ai pour me guérir du jugement des autres toute la distance qui me sépare de moi.
Antonin Artaud, Correspondance avec Jacques Rivière, 1924
On sait combien la schizophrénie dont souffrait Antonin Artaud l’a torturé. On trouve dans sa correspondance avec Jacques Rivière les déchirements de son humanité et l’expression de sa douleur – comme d’une amputation à vif.
Ce que la schizophrénie fait éprouver à Artaud est relativement simple à décrire : Artaud souffre d’une déperdition de son être. Il sent ses facultés lui échapper, et en même temps sa conscience, au lieu d’en être diminuée ou obscurcie, reste parfaitement lucide et aiguë. Ce moi misérable, qui lui semble si éloigné de ce qu’il est – ou du moins de ce qu’il veut être – c’est bel et bien son moi réel, non seulement tel que les autres le voient – mais (peut-être plus encore si on en croit Jacques Rivière) tel qu’il le ressent.
Cette souffrance témoigne de l’existence au sein même de la personne d’un être qui ne s’identifie pas à cette épave morale et psychique ; et elle permet aussi de relativiser le jugement des autres : ils n’ont pas le pouvoir d’anéantir cet être qui de l’intérieur se juge et souffre.
Si nous ne sommes pas schizophrènes, nous ne pouvons faire l’expérience de cette souffrance. Par contre nous pouvons tenter de comprendre ce que le jugement des autres sur nous nous apprend de ce dédoublement.
L’idée qu’on peut en tirer est d’abord que, quand on nous juge, on se demande d’abord de qui on parle :
- Est-ce de moi ? Je ne m’y reconnais pas.
- Est-ce d’un individu qui passe par là et qu’on interpelle tout en me parlant ?
- Mais non : c’est bien de moi qu’il s’agit et je dois admettre que moi, vu de l’extérieur, c’est précisément ce type que je ne connais pas – et surtout dans lequel  je ne me reconnais pas.
C’est non seulement une blessure narcissique – encore que le jugement d’autrui puisse être extrêmement laudateur – mais surtout c’est l’expérience d’un dédoublement de soi-même (1), qui recoupe celle qu’éprouvent les schizophrènes.
Reste que nous ne sommes pas schizophrènes et qu’on ne peut donc expérimenter le dédoublement de notre être à partir de nous-mêmes. Il faut donc que nous l’expérimentions à partir de la présence des autres -  présence qui peut n’être accompagnée d’ailleurs d’aucun jugement, si l’on en croit l’analyse de Jean-Paul Sartre.
Sartre décrit ce dédoublement est comme l’expérience de la honte : le moi-sujet se découvre moi-objet sous le regard d’autrui. Ici, nulle pathologie dans le dédoublement. Par contre autrui est devenu l’indispensable médiateur entre moi-même et moi.
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(1) Je est un autre, dit Rimbaud (Lettre du Voyant – à lire ici) : encore un poète…

2 comments:

FRANKIE PAIN said...

mon cher jean pierre votre billet m'émeut beaucoup , car Artaud comme vous le dites si bien est une amputation à vif.Le lire me chavire
et bravo pour l'explication que je reformulerai mais que je me relirai
si juste si piétinante, merci vous philosophe de portant votre attention jusqu'à la schizophrénie d'ailleurs je vais me permettre de la communiquer à mon ami dont le fils est atteint de la maladie dont vous parler cela va lui faire du bien de lire quelque chose d'aussi sensé.
moi aussi je vous souhaite un bon week end de pentecôte. je vous embrasse tendrement. merci de votre petit mot aprés l'abstinence , un beau sourire pour commencer la journée , et le soleil est là.

FRANKIE PAIN said...

Merci de tous ces mots sur Artaud et du conte des deux branches, parabole de la schizophrénie : la mauvaise branche est partie intrinsèque de l'arbre et se sont les fruits empoisonnés qui permettent a l'autre branche d'en faire de si succulents...
Si Artaud n'avait été malade, ses écrits auraient-ils été si brillants ?
de mon amie solle de toulouse