Monday, September 14, 2015

Citation du 15 septembre 2015

Quel Dieu derrière Dieu, tisse la trame : / poussière et temps et songe et agonies ?
(¿Qué Dios detrás de Dios la trama empieza / de polvo y tiempo y sueño y agonías?)
Jorge Luís Borges – Echec II
Comme souvent avec Borges on pourrait discuter la traduction qu’on nous propose de ses textes, mais il y a plus urgent à faire ici : réfléchir à ce qui fait qu’il n’y a pas de Dieu derrière Dieu, entendez de puissance supérieure à Lui.
Ce n’était  pas les cas dans l’Antiquité : les Dieux de l’Olympes obéissaient à Zeus, mais celui-ci avait un autre maitre : c’était l’anankè – la fatalité ; la mythologie grecque considère qu’anankè est antérieure à Zeus, et qu’elle déroule une nécessité sur la quelle il ne peut rien. Au contraire, la religion chrétienne fait de la Nécessité une force immuable mais seulement au sein de la Création ; par contre elle n’a pas de prise sur la volonté de Dieu – c’est du moins ce que je comprends de l’article de Dominique Hernandez (voir ici). On comprend que Dieu peut, s’Il le veut, faire des miracles, alors que même Zeus ne pouvait pas en faire.
Bref, on peut dire que dans notre civilisation la Fatalité n’existe pas de façon absolue, mais seulement à l’échelle humaine, justement, comme dit Borgès, dans la poussière et le temps, et le songe et l’agonie. La Fatalité gouverne un monde sans miracle, c'est à dire lorsque Dieu s’en est retiré. C’est ce qu’on nomme « le désenchantement du monde », formule reprise de Weber par Marcel Gauchet (1) indiquant que le monde magique où Dieu était présent et intervenait selon qu’il exauçait ou non les prières des hommes a disparu, laissant dans la société politique l’homme aux prises avec l’homme.
Ce qui ne signifie pas que désormais la démocratie règne partout, mais seulement que personne ne peut se revendiquer comme le faisaient les Rois de France, d’être les « lieutenants de Dieu » sur terre (2).
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(1) « le christianisme est donc bien « la religion de la sortie de la religion », ce qui ne signifie pas pour autant « sortie de la croyance religieuse », mais « sortie d'un monde où la religion est structurante, où elle commande la forme politique des sociétés et définit l'économie du lien social. » Marcel Gauchet – Lire ici

(2) « Dieu établit les rois comme ses ministres et règne par eux sur les peuples. Les princes agissent comme ministres de Dieu et ses lieutenants sur la terre. C'est par eux qu'il exerce son empire. Le trône royal n'est pas le trône d'un homme mais le trône de Dieu même. Il paraît de tout cela que la personne des rois est sacrée et qu'attenter contre eux est un sacrilège. Il y a donc quelque chose de religieux dans le respect qu'on rend au prince. Il n'y a que Dieu qui puisse juger de leurs jugements et de leur personne. » Bossuet – Politique tirée de l'Écriture sainte.

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