Friday, April 22, 2016

Citation du 22 avril 2016

A se dire tous ces petits riens qui ne valent pas la peine d’être dits, mais qui valent la peine d’être entendus.
Jean Giraudoux

Voilà un joli paradoxe : quelle étrange mutation transforme le vil plomb des mots ordinaires en or des sublimes déclarations indispensables à la vie ? A quel moment ces mots, dans leur voltige qui les mène des lèvres qui les prononcent aux oreilles qui les entendent, viennent-ils à changer de nature ?
La poésie … que faire de la poésie ? N’est-ce pas elle qui opère cette transmutation en faisant jaillir de leur choc les étincelles de la vérité comme disait Descartes (1) ? Ah… Peut-être bien faut-il de la poésie pour donner à entendre certaines de ces vérités, oui. Mais c’est trop compliqué, trop lointain pour être entendu de tous instantanément. De fait il ne s’agit pas forcément de faire  jaillir la vérité : il faut aussi montrer que la chose dont on parle existe, dans l’instant même où on la dit. Il nous faut des performatifs (voir ici).

Les mots d’amour sont des performatifs : dire « Je t’aime » c’est aimer ; ces mots-là, qui normalement ne devraient pas être dits – ou du moins pas être répétés indéfiniment – sont des manières d’être de l’amour. « Je t’aime » produit une vibration de l’air qui est solidaire de l’amour – dans certaines circonstances du moins. Par exemple entre jeunes amoureux qui se sont prouvé leur amour par maintes caresses ou baisers, et qui maintenant échangent des serments d’amour sur un fond de soleil couchant ou sur un quai de gare. Bref, certains mots sont bien plus que des signes linguistiques. Leur banalité n’a aucune importance, leur répétition ne les prive pas de leur force.
Oui, mais du coup, dire « Je t’aime » sans y penser c’est prendre un gros risque, celui d’être entendu comme l’amour-qui-parle.
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 (1) « Car il ne croyait pas qu'on dût s'étonner si fort de voir que les poètes, mêmes ceux qui ne font que niaiser, fussent pleins de sentences plus graves, plus sensées, et mieux exprimées que celles qui se trouvent dans les écrits des Philosophes. Il attribuait cette merveille à la divinité de l'enthousiasme, et à la force de l'imagination, qui fait sortir les semences de la sagesse (qui se trouvent dans l'esprit de tous les hommes, comme les étincelles de feu dans les cailloux) avec beaucoup plus de facilité, et beaucoup plus de brillant même, que ne peut faire la Raison dans les Philosophes. » - Descartes, Olympiques (Récit de Baillet)

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