Friday, November 04, 2011

Citation du 5 novembre 2011

Si les gens savaient par quels petits hommes ils sont gouvernés, ils se révolteraient vite.

Talleyrand

Ne comptez pas sur moi pour ironiser sur les talonnettes de monsieur Sarkozy. En cette période de troubles politiques, il faut un peu plus de sérieux pour aboutir à une réflexion digne des circonstances.

Le peuple grec – du moins celui qu’on nous montre à la télévision – est un peuple qui a pris toute la mesure de la malhonnêteté de ses dirigeants politiques (qui ont triché avec les comptes publics), puis de leur incapacité à redresser la situation. Ils sont gouvernés par de petits hommes, qui n’ont pas su dominer leurs ambitions personnelles, et puis qui n’ont pas su susciter dans le pays une mobilisation nationale autour des efforts à consentir.

On pourrait peut-être tenter de les excuser : la petitesse est relative. On n’est jamais absolument petit ; on est simplement plus petit que... Les grecs sont donc gouvernés par de petits hommes simplement parce que ceux-ci ne sont pas à la hauteur des évènements. De même nous, Français, avons vu combien (sans remonter jusqu’à juin 1940) il était révélateur de voir des hommes politiques aux prises avec les évènements de mai 68. Comment Pompidou a dû se débattre pour retrouver un point d’appui alors que tous les leviers de commande du pays lui échappaient. Et combien même le Président – Le Général – à cru être acculé à la démission.

On en revient à la thèse de La Boétie, qu’on résumera ici de la façon suivante : le pouvoir des chefs (rois, tyrans, présidents) est un pouvoir fragile, qui ne tient que parce que le peuple qui lui est soumis le veut bien. La Boétie croyait y lire un désir de soumission. Talleyrand en fait plutôt le résultat d’une illusion. Soit

Reste que cette illusion se dissipe quand les évènements se compliquent et qu’il apparaît clairement que les dirigeants ne sont pas à la hauteur. C’est alors que leur petitesse apparait au grand jour.

Mais c’est alors qu’il leur faut plastronner, se montrer, briller.

Et comment briller quand les échecs ternissent leur image ? En se faisant acclamer dans des manifestations organisées à leur gloire.

Oui – la preuve de la petitesse des rois et des tyrans, c’est dans les acclamations qui montent vers eux depuis la rue qu’il faut la trouver.

On n’a jamais acclamé autant Bachar Al Assad que depuis quelques jours.

Thursday, November 03, 2011

Citation du 4 novembre 2011


Vous êtes très confus, Baruch Spinosa (sic) ; mais êtes-vous aussi dangereux qu'on le dit ? Je soutiens que non : et ma raison, c'est que vous êtes confus, que vous avez écrit en mauvais latin, et qu'il n'y a pas dix personnes en Europe qui vous lisent d'un bout à l'autre, quoiqu'on vous ait traduit en français. Quel est l'auteur dangereux ? c'est celui qui est lu par les oisifs de la cour et par les dames.
Voltaire – Dictionnaire philosophique - Article Dieu, Section III (Du fondement de la philosophie de Spinoza)
Quel est l'auteur dangereux ? c'est celui qui est lu par les oisifs de la cour et par les dames.
Autrement dit, l’auteur dangereux n’est pas l’auteur qui serait seulement pernicieux (comme le serait Spinoza en raison de son athéisme supposé à l’époque de Voltaire), mais l’auteur lu par les esprits faibles et crédules.
On peut être tenté de commenter ce jugement de Voltaire en contestant que les femmes fassent partie de ces faibles d’esprit comme il feint de le croire (1).
Mais on peut aussi raisonner sur l’absence de lecteur sérieux de Spinoza : n’est-ce pas également le cas aujourd’hui ? Qui donc a lu d’un bout à l’autre un livre comme l’Ethique ?
Toutefois, je préférerais m’en tenir à l’observation que fait Voltaire : ce qui compte, c’est le couple réalisé par le livre et son lecteur. Ou plutôt, c’est ce que le lecteur fait du livre qui importe.
Oui, plutôt que de considérer le couple auteur-livre, ou auteur–et–son–œuvre, ce dont les critiques littéraires font leur fonds de commerce, essayons de penser à ce qu’il advient du livre quand il se retrouve entre les mains du lecteur.
Imaginez un peu : vous êtes sur un plateau télé, un journaliste-animateur est là et il vous questionne :
- Monsieur X***, vous avez lu le livre de Michel H***. Qu’en avez-vous pensé ?
- Euh… C’est que je ne l’ai pas lu en entier, parce qu’il m’a glissé des mains quand je me suis endormi et que depuis je ne l’ai pas retrouvé.
- Soit. Mais, comme vous le savez, le style de notre auteur se caractérise par une importance du métalangage, avec l'emploi régulier de l'italique typographique. A votre niveau de lecteur, ce choix est-il pertinent ?
- Je vais vous dire ce que j’en pense, monsieur : aucun choix de l’auteur ne peut-être pertinent parce que seul mon choix à moi est décisif. Je suis capable de sauter 50 pages parce que c’est là mon bon plaisir, ou même de commencer par la fin. Il m’arrive, quand j’aime beaucoup un livre, de ne pas lire les 50 dernières pages, uniquement pour que mes héros continuent de vivre indéfiniment.
- Mes chers auditeurs, vous constatez que nous avons devant nous un adepte du Plaisir du texte - du moins tel que nous le décrit Roland Barthes.
Merci encore.
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(1) Comme le proclame le titre du livre de Laure Adler : Les femmes qui lisent sont dangereuses. Qu’en aurait dit madame du Chatelet ?

Wednesday, November 02, 2011

Citation du 3 novembre 2011

La laideur est un mécompte de la nature, mais la femme qui en est affligée en rend responsable chacun de ceux qui la remarquent.

Marquise du Châtelet – Correspondance

1° Emilie du Chatelet était-elle laide ?

2° Si oui, ses contemporains l’ont-ils remarqué ?

--> Voici deux jugements sur la marquise du Chatelet :

1° Par la marquise du Deffand « Représentez-vous une femme grande et sèche, le teint échauffé, le visage maigre, le nez pointu, de petits yeux vert de mer, sans hanches, la poitrine étroite, de gros bras, de grosses jambes, des pieds énormes. Le rire glapissant, la bouche plate, les dents clairsemées et extrêmement gâtées. »

2° Par madame de Créquy : « C'était une merveille de force ainsi qu'un prodige de gaucherie. Elle avait des mains et des pieds formidables ; elle avait déjà la peau comme une râpe à muscade. Enfin la belle Émilie n'était qu'un vilain cent-suisse… »

--> Et voyez le portrait de la belle Emilie :

Quel nez… Si Voltaire – qui en avait un également fort bien dimensionné – a jugé que la marquise du Chatelet était une belle femme (au point d’en faire sa maitresse –durant 15 années !), ce ne peut être qu’en raison de ce qu’il disait du crapaud et se sa crapaude

On dira que la question importe peu et que madame du Chatelet est universellement connue et glorifiée pour avoir été la première à traduire en français Newton.

Oui – quoique…

Si la laideur est un mécompte de la nature, c’est la laideur en tant qu’elle afflige les femmes, évidemment - pas les hommes. D’ailleurs à part Socrate, que savons-nous de la laideur des philosophes ou des savants ? Mais ce qu’on remarque inévitablement chez une femme, c’est sa beauté ou sa laideur. Et si l’on veut la ridiculiser, on voit bien que c’est sur ce point qu’on va l’attaquer, ce qui nous laisse supposer que la marquise du Châtelet parle ici de son cas personnel.

Comme d’habitude, on se demandera ce qu’il en est aujourd’hui : laissons-nous les femmes d’esprit être laides tant qu’elles le veulent – sans même nous en apercevoir ?

Hum…

Restons-nous comme autrefois insensibles à la laideur masculine – s’agissant des hommes d’esprit ?

Peut-être, mais on est tout de même très attentif à leur beauté : un philosophe, brillant, intéressant et beau mec, ça ne laisse pas indifférent.
Surtout quand son nom s’écrit avec 4 consommes et 3 voyelles. (1)

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(1) Si par hasard vous ne voyiez toujours pas de qui on veut parler, cliquez ici.

Tuesday, November 01, 2011

Citation du 2 novembre 2011

La société est comme un navire ; tout le monde doit contribuer à la direction du gouvernail.

Ibsen Un ennemi du peuple

« Tous délibèrent ; un seul décide »

Maxime (Cité le 26-02-2006)

On imagine un peu une embarcation où les passagers se battent pour tenir le gouvernail et où finalement ils parviennent tous à en tenir un petit bout : un vrai bateau ivre, et le naufrage est inéluctable.

On doit donc comprendre que la formule « tout le monde doit contribuer à la direction du gouvernail » signifie qu’il ne s’agit pas de faire du peuple entier le timonier du navire, mais plutôt celui qui fixe le cap – à charge justement pour le barreur de tenir ferment le gouvernail et de manœuvrer comme il faut pour arriver au bon port.

Seulement voilà : certains estiment que même cette décision du cap est trop confuse lorsqu’il s’agit de le définir à partir du brouhaha populaire – à moins qu’on ne mette en avant ses passions et ses ignorances qui vont le précipiter les récifs.

La démocratie disions-nous (ici) consiste non à décider du cap à choisir mais à choisir qui va décider. La légitimité du chef élu va jusque-là : je veux dire qu’il n’est pas seulement l’exécutant d’un programme défini à l’avance par les électeurs, mais qu’il est aussi celui qui, en fonction de principes (certes avalisés par l’élection), va choisir les bonnes orientations du bateau.

Et que se passe-t-il quand le peuple ne se reconnait plus dans les orientations du chef ? Il le chasse et en appelle un autre qui à son tour aura la charge de légiférer selon ses convictions – et ses compétences.

Mais il arrive que, comme en Grèce, ce soit le chef lui-même qui reconnaisse qu’il n’est plus capable de fixer par lui-même le cap à suivre. Et qui demande au peuple de le faire démocratiquement – à sa place.

Et là : stupeur internationale !