Sunday, May 13, 2007

Citation du 14 mai 2007

Article I : Premièrement que la mémoire de toutes choses passées d’une part et d’autre depuis le commencement de mois de mars 1585 jusqu’à notre avènement à la couronne, et durant les autres troubles précédents, et à l’occasion d’iceux, demeurera éteinte et assoupie comme de choses non advenues…

Edit de Nantes ( 30 avril 1598)

A côté du devoir de mémoire dont on nous rebat les oreilles ces temps-ci (repentances en tous genre inclus), voici le devoir d’oubli.

Devoir surprenant si l’on estime que l’oubli est un fait psychique qu’on ne saurait provoquer à volonté (voir Post du 2 février 2006) : si Henri IV peut ordonner d’oublier, c’est qu’en fait ce devoir ne vise pas le souvenir psychologique ; il s’agit d’un décret juridique interdisant l’évocation de certains souvenirs.

C’est la même chose lorsqu’on parle du devoir de mémoire ; on comprend assez facilement ce que cela veut dire : c’est la commémoration, le rassemblement d’un peuple dans la remémoration d’un événement. Pourtant, la commémoration non plus n’est pas uniquement faite pour conserver la mémoire du passé : elle a aussi pour rôle d’affirmer quelque chose comme une responsabilité vis à vis des héros ou des victimes (1).

En face des commémorations du devoir de mémoire, voici donc l’anti-commémoration du devoir d’oubli.

Il y a quatre façons de considérer le passé :

- soit il n’est pas passé, il continue d’exister dans le présent : c’est la rumination de la faute inexpiable (voir Nietzsche). C’est cela que vise le discours du politique qui assimile la repentance à la haine de soi (expression qui d’ailleurs vient en droite ligne de Nietzsche)

- soit on nie son existence et il est isolé, muré dans un lieu interdit de la mémoire : c’est le refoulement du souvenir, avec son cortège de pathologie (voir Freud) ; ce sont aussi les manipulations staliniennes, rappelées par Orwell et son « ministère de la mémoire » (1984)

- soit on l’oublie, ce qui veut dire qu’on se dissocie du passé. L’oubli, implique donc ici une rupture dans le flux temporel, les hommes qui ont oublié n’ont plus aucun rapport avec ceux dont on oublie les crimes. L’Edit de Nantes, c’est la révocation des responsabilités. Pour vivre ensemble laissons de côté le fait que notre père a peut-être été massacré par notre voisin (2).

- soit on le relie au présent pour le transformer par l’action que nous y développons : c’est la temporalité historique (reprise par Sartre). Le propre de l’histoire est de mettre en évidence des filiations, des généalogies, des causalités : pour elle il n’y a pas de « trou » dans le temps ; chaque époque est fille de l’époque précédente. Mais aussi, chaque époque s’invente, crée quelque chose de nouveau. Les Antillais sont fils d’esclaves ; nous sommes fils de propriétaires d’esclaves. Mais ni eux ni nous n’avons plus rien à voir avec l’esclavage

Sommes toutes, avec les hommes politiques d’aujourd’hui, nous autres philosophes, nous ne sommes pas prêts d’être au chômage.


(1) Sur ce sujet, la référence c’est Ricœur - La mémoire, l’histoire, l’oubli - édité au Seuil, p. 105-111 en particulier

(2) C’est toute la problématique de la réconciliation après l’apartheid en Afrique du Sud, après les massacres au Rwanda. Problématique réactivée en Pologne avec la « lustration ».

4 comments:

Anonymous said...

Devoir d’oubli, j'ai déjà entendu cette expression de la bouche d'un professeur de droit pour expliquer la nécessité de la prescription en droit pénal, nécessité qui est loin de sauter aux yeux de prime abord.

Anonymous said...

L'expression "devoir d'oubli" est-elle appropriée dans ce cas ?
Dans le cas de la prescription en droit pénal, il s'agit de la perte d'un droit (celui de la victime ou du ministère public de porter plainte) et non d'oublier. On n'oublie pas par exemple le crime (ce qui voudrait dire que le crime n'a pas eu lieu), mais on perd le droit d'obtenir réparation. Le crime a donc eu lieu et peut être reconnu comme tel (donc pas d'oubli au sens strict).

Anonymous said...

Enterrez les Euménides, sous peine d'assister aux vendetta corses et kosov'ariennes.
Ce besoin a créé l'usage et le droit n'a fait que le transcrire: nécessité faite (sic) loi.
Il est vrai que les Grecs étaient un peuple doué de raison.

Anonymous said...

En quelque sorte il s'agit dans ce cas précis d'enterrer la hache de guerre. Mais en réalité, un édit même royal n'efface pas les rancoeurs...