Saturday, November 10, 2007

Citation du 11 novembre 2007



Maudite soit la guerre

Monument aux morts de Gentioux-Pigerolles (Creuse)

Alors, oui ; c’est un peu facile de partir en guerre contre la guerre aujourd’hui, de dénoncer une fois encore la boucherie de la Grande Guerre, l’effarant gâchis de vie et de ressources. Oui, c’est facile presque 90 ans après…

Mais c’était sûrement un peu moins facile en 1920 lorsque de partout sortaient de terre les monuments aux glorieux morts que chacun pleurait encore, de faire un monument « pacifiste » comme celui de Gentioux (et il n’a pas été le seul). Mais justement, s’agit-il bien de pacifisme ?

En fêtant la victoire - du temps où on la fêtait - que fêtait-on ?

Sûrement pas les généraux ni les politiciens qui ont « fait » la guerre depuis leur PC ou leur bureau. Car si l’on s’en tient au « témoignage » des monuments aux morts, sur aucun d’entre eux n’apparaissent les généraux, et que l’armée française est, en tant que telle, absente. On y trouve des poilus morts ou blessés (« navrés » selon le mot en usage), des veuves et des orphelins (comme ici à Gentioux). Pas de quoi pavoiser. Mais surtout, on trouve des représentations allégoriques de la Victoire.

Car on peut fêter le mythe de la victoire, en la considérant comme un mouvement unique qui anime la guerre : du début à la fin, on a marché vers elle (et c’est ainsi qu’on peut se glorifier d’avoir gagné la guerre même quand on a perdu des batailles). De plus, la victoire est mythique, parce qu’elle se partage sans se diviser : elle appartient en totalité au moindre soldat - même si les généraux sont les seuls à en tirer de la gloire. Du coup, elle est celle de la Nation toute entière, elle exalte les qualités immémoriales du peuple et sa suprématie sur les peuples vaincus (ici : les boches).

Mais on peut aussi fêter la victoire à travers ce qu’on ressent : et il est clair que cela ne nous appartient pas, nous qui venons 90 ans après. Qu’on se reporte donc aux témoignages des poilus qui ont survécu. Par exemple les Carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918 (Ed. La Découverte). Le 11 novembre 1918, pour lui, c’est seulement le retour à la vie, la certitude d’être encore en vie le lendemain (1). Et c’est sans doute ça qu’on fêtait quand on avait vécu cet enfer. Et ce n’est pas rien.

La virulence de ce témoignage - parmi d’autres - contre les gradés, contre les politiques, qui ont sacrifiés sans sourciller, inutilement pour la victoire et dans un seul souci de gloire personnelle, des milliers - voire même des centaines de milliers - de vies humaines est éloquent.

Qu’on ne croie pas qu’il s’agisse de pacifisme naïf. Louis Barthas sait que la guerre est inévitable lorsqu’il part au front. Ce qu’il y découvre, c’est le massacre inutile, c’est l’indifférence devant la mort d’êtres humains, sacrifiés sans aucun bénéfice, comme on sacrifie des pions aux échecs ; c’est aussi l’effroyable mépris de l’ennemi. La guerre pour Barthas, c’est le triomphe de l’immoralité.

Etre contre la guerre sans être pacifiste : c’est ça qui est fort.


(1) Témoignage perso : mon grand père - que je n’ai pas connu - a fait comme Louis Barthas toute la guerre comme poilu, et comme lui il s’en est tiré. J’ai retrouvé dans les archives de ma grand mère sa correspondance du front. Un grand nombre de cartes postales, signées de sa main, ne comportaient aucun texte. Expédiée au jour le jour, elles témoignaient simplement qu’il était encore en vie.

2 comments:

Anonymous said...

"Ce qu’il y découvre, c’est le massacre utile".
Il fallait lire "le massacre inutile" je pense.

Jean-Pierre Hamel said...

"Il fallait lire "le massacre inutile" je pense."

- En effet ! Merci de m'avoir permis de corriger le lapsus