Sunday, November 16, 2008

Citation du 17 novembre 2008


La mort de l'eau est plus songeuse que la mort de la terre : la peine de l'eau est infinie.

Gaston Bachelard – L'eau et les rêves (1)

Une eau « morte » est-elle plus morte qu’une morne plaine ?

Ou bien faudrait-il plutôt se demander s’il est différent d’être enseveli sous terre ou submergé par l’eau ?

Dans ce dernier cas, on devrait se rappeler que l’homme qui se noie n’est pas toujours aussi mort qu’on le croit. Les marins ont des légendes à n’en plus finir sur le destin des navigateurs tombés en mer. Jorge Amado en a fait l’élément décisif d’un premier roman : Mar morto. On aurait la même suggestion avec la fin du film de Luc Besson, Le grand bleu. Au fond dans tout ça, la mort est plutôt réjouissante.

En réalité, Bachelard ne pense sûrement pas à ce genre de légendes, puisqu’il y a dans la mort de l’eau une peine infinie.

- Nous revenons donc à la mort de l’eau.

La mort de l’eau c’est bien plutôt la mort mise en scène par l’eau que le noyé ; et s’il est présent, c’est plutôt pour mettre en relief le caractère mortifère de l’eau. Il faut que le mort noyé le soit dans une eau stagnante, dormante. Il faut des herbes aquatiques autour de lui, il faut des feuilles mortes dans l’eau… Bref, on l’a compris je crois que ce qu’il y a de songeur dans la mort de l’eau c’est l’eau elle-même. Une surface aquatique sans noyé peut tout aussi bien être une image de la mort.

D’ailleurs on aura noté que ce texte de Bachelard porte sur l’imaginaire de l’eau et non sur celui de la mort.

La mort de la terre, on l’imagine avec des labours et des corbeaux qui volent au-dessus. C’est la morne plaine (Waterloo), celle où rien n’arrive, pas même l’accident d’un relief. Rien qui accroche, rien qui éveille. C’est le sommeil de la nature pendant l’hiver (cf. le rapt de Cérès).

La mort de l’eau, c’est la peine infinie. L’eau parle, elle signifie le manque de la vie, l’absence de la couleur, l’immobilité (2). Mais elle n’est peine qu’à condition que tout cela apparaisse par contraste avec la vie enfuie. C’est le regret de la perte de la vie.

Elle rend sensible que ce qu’il y a d’embêtant avec l’idée de notre mort imminente, c’est qu’on regrette la vie qu’on va quitter.(3)

Dit comme ça, c’est moins bien que quand c’est Bachelard qui le dit. C’est que Bachelard est aussi un poète.

(1) Nous avions déjà (Post du 22 mars 2008) abordé le thème de la mort et de l’eau avec Ophélie, mais de façon indirecte puisque c’était alors la mort de la jeune fille qui nous occupait.

(2) C’est là que le tableau de Millais fait un curieuse erreur : Ophélie a les couleurs de la vie. Les fleurs autour d’elle la signifient également. On croirait qu’elle s’est noyée accidentellement et non par désespoir.

(3) Voyez dans l’Odyssée les ombres des morts venir vers Ulysse qui leur offre le sang frais, de la vie, pour les faire sortir de leur monde souterrain.

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