[...] la beauté, c'est la bonté ; c'est la mer sur laquelle nous flottons. Nous sommes imperméables ; mais parfois le bateau prend l'eau.
Virginia Woolf – Entre les actes
…parfois le bateau prend l'eau : quand on sait qu’après avoir écrit ce livre, Virginia Woolf a rempli ses poches de cailloux et est allée de noyer dans la rivière, on frémit…
Et de toute façon, comment comprendre cette citation ?
Même si on devine le sens du début : la beauté, c'est la bonté qui sent son platonisme de loin (1), l’ambiguïté reste essentielle. Car ce n’est certes pas positif que d’être imperméable au bien et au bon ; mais ce n’est pas positif non plus de couler parce que le bateau prend l’eau.
Comme si il fallait à la fois que nous soyons portés par la beauté, mais qu’en même temps nous restions à distance, que nous évitions de venir nous griller dans la flamme de la bougie, comme le papillon.
Est-ce que nous gagnons quelque chose à glisser d’une image à une autre, du bateau au papillon ?
En tout cas, il s’agit bien d’une ambiguïté, de la même veine que celle que condamnait Boileau (cf. Post du 4 nov.). Car ou bien on ne peut vivre sans être soutenu par le beau-le bien ; ou bien ce sont des valeurs qui nous dépassent, qui sont trop fortes pour nous et que notre faible nature ne pourrait s’assimiler sans défaillir.
…Ça ne vous rappelle rien ? Mais oui, bien sûr : l’épisode biblique où Yahvé apparaît à Moïse dans le Buisson Ardent (2). On y raconte que les Hébreux ne peuvent survivre sans l’aide de Dieu ; mais aucun homme ne pourrait voir Dieu sans être consumé instantanément (3). Donc Dieu, pour apparaître à Moïse se cache dans le buisson qui brûle sans se consumer.
[Vous pouvez regarder sans crainte l’image qui représente la scène (4) : c’est un ange et non Dieu en personne qui apparaît au sommet du buisson.]
(1) Identification des valeurs : le Beau = le Bon = le Bien.
(2) Exode chapitre 3
(3) Idem avec Jupiter qui apparaît à Sémélée et qui du coup la carbonise (voir épisode de la cuisse de Jupiter dont nous parlions il n’y a pas si longtemps)
(4) Il s’agit d’une enluminure extraite de la bible en rimes de Jacob van Maerlant (voir détails sur ce fabuleux site de la Nef des fous.)
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