Saturday, April 17, 2010

Citation du 17 avril 2010

L'amour, c'est que tu sois pour moi le couteau avec lequel je fouille en moi.

Franz Kafka – Lettre à Milena

On comprend un peu que la liaison entre Franz Kafka et Milena Jenska n’ait pas duré très longtemps, mais l’ironie serait ici totalement déplacée. Car ce dont il s’agit, ce n’est pas d’une conception de l’amour, mais bien d’une philosophie de la vie. Pour Kafka, vivre, c’est comme il le dit ailleurs : croître de l’intérieur vers l’extérieur (1). Il ne s’agit pas simplement de mettre ses tripes sur la table (comme Céline), mais de porter à l’existence ce que l’on a enfoui en soi.

Dit comme ça, ça n’a rien d’inquiétant. Et pourtant…

Pourquoi doit-il fouiller avec un couteau en lui-même, dans ses entrailles ?

Et surtout pourquoi faut-il que ce soit l’amour qui opère ce travail de boucherie ?

Pour Kafka, à l’intérieur de soi il ne règne que les ténèbres et rien de ce qui existe dans ces abysses ne parviendrait à la surface sans un effort particulier, qui appelle des circonstances exceptionnelles. Passons sur celles qui sont en liaison avec la création littéraire ou poétique. Mais l’amour est aussi une de ces circonstances.

L’amour joue ici comme révélateur, comme un regard lucide – extra-lucide même. En face de l’être qui nous aime (car c’est de cela qu’il s’agit : Kafka nous parle non pas de la femme qu’il aime mais de celle qui l’aime, lui, Franz Kafka), point de replis, point d’intériorité. Son regard fouille au plus profond de notre âme.

– Comme Dieu-qui-voit-tout si nous sommes croyant.

– Comme un couteau si nous sommes Kafka.



(1) La croissance de l'homme ne s'effectue pas de bas en haut, mais de l'intérieur vers l'extérieur.


2 comments:

Anonymous said...

Si c'est avec sa femme-couteau que l'homme amoureux fouille en lui, n'est-ce pas aussi et surtout un besoin de se livrer de manière brute à l'être aimé qui ferait mal? La vie en société est le jeu des apparences et du paraître, et se montrer tel que l'on est fait peur et fait mal. La peur est celle de ne pas être aussi bon intérieurement que l'imagine sa femme tout comme le mal est celui de se découvrir.
Malgré tout, l'amour vrai, passée la passion, pousse l'homme à se révéler en se charcutant l'intérieur afin de tout partager avec Madame.
On peut peut-être aussi voir le couteau les sentiments qui nous retournent l'estomac, qui nous enivrent (et Dieu sait que l'alcool peut faire sortir les tripes).
Après tout, ma connaissance de Kafka est terriblement limitée.

Fabrice.

Jean-Pierre Hamel said...

Voilà : toutes ces hypothèses sont concevables, et celles que Kafka a pu imaginer - à supposer qu'elles aient été différentes - ne sont que des possibilités de plus. Mais rien ne dit qu'elles soient plus importantes