Sunday, December 16, 2012

Citation du 17 décembre2012


Trop de lucidité dessèche; en sorte qu'une conscience délicate ne va jamais sans quelque aveuglement, sans l'ingénuité du cœur et la crédulité de l'esprit. C'est cette conscience que l'ironie des esprits forts impitoyablement pourchasse et neutralise.
Vladimir Jankélévitch – Philosophie morale, La Mauvaise Conscience
Crédulité II
Que peut l’enfant que l’adulte ne peut pas ? Poursuivant notre réflexion d’hier, disons avec Jankélévitch qu’il peut avec son ingénuité de cœur et sa crédulité d’esprit faire preuve d’une délicatesse de conscience qui reste inaccessible à l’esprit fort de l’adulte.
Sous le terme d’esprit fort, c’est l’attitude de l’ironiste qui est visée. En effet, l’ironie n’est pas ici exactement cette espèce de moquerie ou de fausse naïveté par la quelle on cherche à déstabiliser l’interlocuteur. C’est l’attitude de retrait de celui qui recherche le défaut de la cuirasse, le non-dit dont on peut douter ; mais c’est en même temps le manque de sérieux revendiqué qui autorise tous les excès (1).  
Bref – pour l’ironiste, toute affirmation est intéressante dans la mesure seulement où elle permet d’ironiser, un peu comme pour l’humoriste une situation ne vaut que si elle permet de placer un calembour (ou comme on dit aujourd’hui une vanne).
Jankélévitch suppose que nous savons tout ça. Et donc ce qu’il a à nous dire c’est autre chose : à l’opposé de l’ironie, la crédulité est ce qui accompagne une qualité de la conscience (pour ne pas dire de l’âme) dont on dira qu’elle est ouverte à l’imaginaire, au merveilleux quotidien : c’est à leur évidence que l’adulte se refuse. Les enfants par contre sont spontanément des poètes, c’est-à-dire des créateurs.
Vue comme ça, la crédulité est un effet secondaire de la poésie enfantine. Alors certes, à force de voir ce que nous, adultes, ne voyons pas et d’imaginer ce qui nous échappe, l’enfant oublie le réel qui est notre seul milieu : pour lui il est normal que les animaux parlent et que les bateaux aillent sur l’eau grâce à leurs jambes. Naïve crédulité ? Peut-être, mais c’est la condition pour libérer le potentiel de l’imagination. (2)
Et nous, pouvons-nous espérer cumuler le réalisme de l’adulte avec l’ingénuité de l’enfant ?
--> Bien sûr que c’est possible ! Vous n’avez qu’à écrire votre lettre au Père Noël, et mettre l’adresse du Percepteur sur l’enveloppe. Fastoche !
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(1) Notons au passage que Descartes avec son doute systématique (celui qu’il nommait « hyperbolique ») aurait pu être un ironiste. Mais le doute de Descartes est trop sérieux pour ça : il est une exigence de preuve, non un désir de l’emporter dans une joute orale.
… Et en plus, depuis Socrate, on sait que l’ironie, ça finit mal !
(2) Rappelons que Descartes voyait dans l’admiration l’autre caractéristique de l’âme enfantine qui porte à l’étonnement plutôt qu’à la crédulité (« L'admiration est une subite surprise de l'âme, qui fait qu'elle se porte à considérer avec attention les objets qui lui semblent rares et extraordinaires » Tr. Des passions de l’âme Art. 70 – voir ici). A la différence de la crédulité qui est liée à l’imagination, l’admiration est condition de la connaissance.

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