Friday, May 17, 2013

Citation du 18 mai 2013



Un homme d'esprit de ma connaissance voudrait qu'on étudiât et qu'on enseignât l'histoire à rebours, c'est-à-dire en commençant par notre temps et remontant de là aux siècles passés; cette idée me paraît très juste et très philosophique.
d’Alembert –  Mélanges littéraires
Cette remarque de d’Alembert est non seulement pertinente mais aussi prémonitoire, puisque c’est Michel Foucault qui proposera cette démarche en la baptisant : généalogie.
Et en effet, si l’on veut faire de l’histoire pour mieux comprendre non pas le passé mais le présent, et si elle est censée non seulement nous signaler les erreurs à ne pas commettre, mais encore nous permettre d’en éviter le retour, alors la seule façon de l’apprendre est de remonter des effets présents vers leurs causes passées.
On objectera peut-être qu’à ce compte on risque bien d’avoir des programmes d’étude historique fort réduits. Par exemple, faire l’étude « généalogique » de notre crise économique en remontant au libéralisme anglo-saxon Reagan-Thatcher ; et en amont, vers le rôle de la spéculation financière dans le développement économique et sa récession – on arrivera sans peine en 1929. On peut si l’on veut être plus érudit étudier la naissance des banques à la fin du moyen-âge ainsi que leur développement… et leur ruine : exemple,  le système de Law à l’époque de Louis XV, etc…
Qu’est-ce qu’on aurait à perdre à étudier l’histoire comme ça ? On ignorerait peut-être les grands hommes et la magnificence dont ils se sont entourés qu’ont chanté les historiographes à leur solde ? Que nous importe ?
Par contre on perdrait forcément quelque chose : l’étude du fonctionnement d’une société du temps passé, par exemple la société française du 18ème siècle – ce qui permet de découvrir avec quelle naïveté elle s’est fourvoyée lors des premiers balbutiements de la finance. Ainsi : l’expérience de Law est révélatrice d’un monde qui n’a pas encore d’autres repères que les privilèges qui sont transmissibles par hérédité et pour qui l’enrichissement instantané par manipulation financière est une totale découverte. Comprendre du coup que, lorsque  Figaro fustige les nobles « qui se sont donné que le mal de naitre et voilà tout », il revendique cette mobilité sociale que le rêve américain rendra possible – et qui aboutira à la déconfiture de Fanny Mae.
Apprendre l’histoire, c’est aussi découvrir des mondes dans les quels nos cauchemars n’existaient pas encore.

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