Thursday, June 01, 2017

Citation du 2 juin 2017

Ainsi est-il des esprits. Si on ne les occupe à certain sujet, qui les bride et contraigne, ils se jettent déréglés, par-ci par là, dans le vague champ des imaginations
Montaigne – Les Essais livre 1, chapitre 8 De l’oisiveté.

Allez, je vais être sympa avec vous : aujourd’hui je vous propose la lecture d’un chapitre entier des Essais de Montaigne pour un effort très limité, puisque qu’il est l’un des plus court de tout l’ouvrage : vérifiez par vous-même sur ce site – et lisez-le en entier !
- Donc : ce chapitre aborde la question de la liberté et de ses dérives. Laissez votre esprit, la bride sur le cou, vagabonder à son aise ; et voyez ce qu’il va produire – c’est cela que nous propose Montaigne.
L’oisiveté dissipant sans cesse l’esprit (1), aucune construction ne peut se développer, et le nouveau chassant le nouveau, aucune œuvre digne de ce nom ne peut naitre. Tout juste peut-on s’attendre à voir surgir ces rêveries informes qu’il compare aux résidus de fausses couches issus du corps de femmes (2)
Bref : il semble que Montaigne déteste ces produits de l’esprit d’où l’effort de la raison aurait disparu – esprit qui, profitant de l’oisiveté où on l’aurait laissé,  donnerait libre cours à l’incohérence et à l’improductivité. Seulement, voilà :
« Dernièrement je me retirais chez moi (c’est Montaigne qui parle) , résolu autant que je pourrais, ne me mêler d’autre chose que de passer en repos, et à part, ce peu qui me reste de vie : il me semblait ne pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit, que de le laisser en pleine oisiveté, s’entretenir soi même, et s’arrêter et rasseoir en soi : ce que j’espérais qu’il peut désormais faire plus aisément, devenu avec le temps plus pesant, et plus mûr. » (Texte légèrement modifié)
Mais alors, si ce ne sont que des chimères, pourquoi les stimuler ? Et plus encore, les enregistrer puisqu’on sait qu’il n’y a rien de bien à en attendre ? Tout simplement parce que, dit Montaigne, « j’ay commencé de les enregistrer, espérant avec le temps lui en faire honte à lui même ». Exercice de mortification ? On n’y croit bien sûr pas un seul instant : c’est que Montaigne va nous entretenir durant des années de ces productions spontanées de l’esprit en les soutenant par les citations des plus grands penseurs pour en tirer ce que Rabelais aurait appelé « la substantifique moelle » : curieuse façon de « faire honte » à l’esprit qui les invente !
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(1) Traduction de la citation de Lucain proposée ici par Montaigne. En latin, ça fait : variam semper dant otia mentem, Lucain – Pharsale (IV, 704)

(2)  « Nous voyons que les femmes produisent bien toutes seules, des amas et pièces de chair informes, mais que pour faire une génération bonne et naturelle, il les faut embesogner d’une autre semence » Ces femmes étaient supposées non fécondées – mais ça, ça faisait partie des fantasmes de l’époque.

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