Friday, December 01, 2017

Citation du 2 décembre 2017

Allez, vieux fous, allez apprendre à boire.  / On est savant quand on boit bien :  / Qui ne sait boire ne sait rien.
Boileau – Chanson à boire (Écrite à l’âge de 17 ans – Lire ici)
(Alcibiade demande qu’on verse à boire à son maître et dit) : « A l’égard de Socrate, ce n’est pas de ma part, bonnes gens, le moindre traquenard ; car, autant on lui dirait d’en boire, autant il en viderait, sans en être jamais plus ivre »
Platon –  Banquet, 214 a

Certains feront j’en suis sûr la fine bouche devant cette citation : « Boileau écrivait donc des chansons à boire à l’âge de 17 ans ? Eh bien ce n’est pas pour servir sa gloire ! S’il n’avait fait que ça, on ne se souviendrait sûrement pas de lui aujourd’hui. »
Alors, c’est vrai, nous le confessons. Mais en même temps, il faut retenir que le génie ne s’apprend pas et donc qu’il faut bien naitre avec lui. Qu’à 17 ans Boileau ne soit pas encore le rigoureux censeur du style qu’il deviendra, c’est certain ; mais est-ce une raison pour critiquer son jugement, lui qui devait, vu son âge, avoir une bonne descente et savait donc de quoi il parlait quand il composait des chansons à la gloire de l’alcool ?
Reste à dire en quoi consiste le fait de « savoir boire » ? Si les « vieux fous » ne le savent pas, peut-être est-ce que leur organisme est devenu intolérant à l’alcool ? Les hommes se sont fait une gloire de boire sans jamais être ivres : même Platon (dans notre Citation-du-jour) raconte que Socrate était capable de discourir de questions philosophiques toute la nuit en buvant plus que tout autre, sans jamais être ivre. (1)
Donc « savoir » boire ne serait rien d’autre que boire de l’alcool et faire comme si c’était de l’eau ? Mais alors, à quoi bon ?
Il faut que le buveur d’alcool trouve au fond de son verre quelque chose de plus que le buveur d’eau. Que dans l’ivresse, l’esprit se débonde, que l’imagination ou la démesure des passions en se libérant soient bénéfique à la  création humaine, que le poète soit plus inventif, le philosophe plus lucide, l’artiste plus créatif.
Ce dont il s’agit, ce n’est pas de l’absence d’ivresse, c’est bien plutôt la présence d’une ivresse particulière, celle qui ne rend pas malade, qui ne transforme pas le buveur en loque lamentable, mais bien plutôt en homme qui déclame sa prière aux étoiles.
Boire ainsi, sans jamais être ivre, ce n’est qu’un moyen pour arriver  à être un surhomme – encore que je ne me rappelle pas que Nietzsche ait jamais dit quelque chose de pareil.
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(1) « [223b] Alors Agathon se leva pour s'aller mettre auprès de Socrate ; mais en ce moment une foule joyeuse se présenta à la porte, et, la trouvant ouverte au moment où quelqu'un sortait, s'avança vers la compagnie et prit place à table. Dès ce moment, grand tumulte, plus d'ordre; chacun fut obligé de boire à l'excès. Éryximaque, Phèdre et quelques autres s'en retournèrent chez eux, ajouta Aristodème : pour lui, le sommeil le prit, [223c] et il resta longtemps endormi ; car les nuits étaient longues en cette saison. Il s'éveilla vers l'aurore, au chant du coq, et en ouvrant les yeux il vit que les autres convives dormaient ou s'en étaient allés. Agathon, Aristophane et Socrate étaient seuls éveillés, et buvaient tour à tour de gauche à droite dans une large coupe. En même temps Socrate discourait avec eux. [223d] … Aristophane s'endormit le premier, ensuite Agathon, comme il était déjà grand jour. Socrate, les ayant ainsi endormis tous les deux, se leva et sortit avec Aristodème, qui l'accompagna selon sa coutume: il se rendit au lycée, et, après s'être baigné, y passa tout le reste du jour comme à l'ordinaire, et ne rentra chez lui que vers le soir pour se reposer. » Platon – Le Banquet (dernières lignes du dialogue ; cf. ici)

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