Friday, June 05, 2009

Citation du 6 juin 2009

Cette apparence de verisimilitude qui les faict prendre plustost à gauche qu’à droicte, augmentez la ; cette once de verisimilitude, qui incline la balance, multipliez la de cent, de mille onces ; il en adviendra en fin, que la balance prendra party tout à faict, et arrestera un chois et une vérité entière.

Montaigne, Essais 2, 12 – Apologie de Raymond Sebond

Hier, j’ai utilisé le concept de verisimilitude sans prendre garde qu’il était peut-être inconnu de mes lecteurs. Ils ont pu croire qu’il s’agissait-là d’un mot barbare, étranger, importé de l’anglo-saxon par snobisme – du franglais comme on aimait dire du temps d’Etiemble.

Hé bien pas du tout : voyez ce texte de Montaigne.

Scepticisme. S’agit-il toujours de gens hésitant ou refusant de prendre parti dans toutes les circonstances de la vie ? Ou au contraire des gens qui agissent contre le bon sens en disant que celui-ci n’est pas plus vrai que le parti inverse, un peu comme on le raconte de Pyrrhon, qui était près à se jeter dans un précipice en disant qu’après tout il n’est pas sûr qu’il existe ?

Hé bien, non. Le sceptique est celui qui distingue entre la vérité et le parti à prendre dans la vie. Le fait que la balance penche d’un côté plutôt que de l’autre ne change rien à l’exactitude de la pesée, mais simplement que la balance est plus ou moins sensible.

Entre l’homme qui hésite perpétuellement à agir et celui qui s’engage il n’y a pas forcément une différence de savoir. Peut-être même que celui qui fonce est plus ignorant que l’autre.

L’oscillation de l’incertitude indique simplement que nous ne sommes pas capable de décision, mais non pas que la circonstance soit spécialement douteuse.

Allons plus loin : ce que suggère Montaigne, c’est que la vérité dépend non de la réalité des choses mais de la décision de la désigner comme telle.

Modernisons l’exemple de Pyrrhon risquant la chute dans le précipice : vous avez des gens qui montent dans un avion en disant qu’après tout il n’est pas certain qu’il va exploser en vol.

Reste que selon Montaigne, la sagesse eut consisté à rester sur le tarmac (1)


(1) Montaigne conclut en effet le passage cité ainsi : « Et la plus sure assiette de nostre entendement, et la plus heureuse, ce seroit celle-là, où il se maintiendroit rassis, droit, inflexible, sans bransle et sans agitation. »

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