Wednesday, July 11, 2012

Citation du 10 juillet 2012


On ne jouit bien que de ce qu’on partage.
Madame de Genlis – Les mères rivales



[Extrait du livre de madame de Genlis, reproduit par Googlebooks ici]

Il faut lire la citation « développée » (ici : le fac-simile) pour comprendre son intérêt.
C’est en effet une opinion générale qu’on ne puisse jouir de quoi que ce soit sans le partage. Et on nous recommande d’y voir une expression de la charité chrétienne, voire même de l’amour du prochain. « Partagez, mes frères, car c’est en vous détournant de vous-mêmes que vous vous retrouverez le mieux. » Etc…
Moi qui ai horreur des sermons et des sermonneurs, j’apprécie beaucoup madame de Genlis – du moins ce qu’elle écrit ici.
Car, voilà la vérité : nous voulons partager pour être approuvé, c’est donc une expression non de la générosité, mais de l’amour-propre (1).
On pourrait encore juger mon ravissement comme une exagération, parce qu’on est en fin de compte en présence d’un avertissement rappelant La Rochefoucauld : tout altruisme est en réalité le déguisement d’un égoïsme. Communiquer nos pensées serait alors une sorte de générosité narcissique, mais qui ne consisterait pas à dire : « elles sont tellement belles, mes pensées, que je ne peux sans pécher les garder pour moi seul ». Mais bien : « regardez comme elles sont belles, ces pensées ! Et dites-moi que vous m’admirez de les avoir produites. »
Oui, c’est vrai. Reste que madame de Genlis ajoute : ce plaisir [du partage] est le seul sentiment utile produit par l’amour-propre. Parce que, quand même, ce partage produit quelque chose de positif en nous permettant de penser avec les autres et non de rester limité à soi-seul.
Même ce que je fais par égoïsme peut être justifié moralement si son résultat est souhaitable. Ça c’est du pragmatisme ! (2)
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(1) Madame de Genlis connaissait Rousseau. On peut admettre qu’elle donne à l’« amour-propre » le sens qu’il lui confère : amour de soi.
(2) Nous sommes dans le cas de la distinction entre éthique de la responsabilité et de l’éthique de la conviction de Max Weber. Cf. ici

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