Wednesday, July 11, 2012

Citation du 9 juillet 2012

Nous ne savons jamais si nous ne sommes pas en train de manquer notre vie.
Marcel Proust
Quel âge Proust avait-il quand il écrivit ces lignes ? Parce que ce qu’il évoque, c’est l’angoisse de la jeunesse. Ce n’est pas à 70 ans qu’on éprouve cette inquiétude – ce qui ne veut pas dire qu’on soit serein : simplement, à cet âge on se demande plutôt si on sera encore en vie pour voir le soleil se lever demain matin.
Mais on peut quand même généraliser : Proust nous livre une clé pour comprendre pourquoi les hommes – et plus particulièrement les jeunes – ne sont jamais tranquilles devant les choix de l’existence, pourquoi ils ont conscience de risquer de « manquer leur vie ». Ecrasante responsabilité.
Toutefois, il y a deux inquiétudes différentes devant ce risque.
- L’une consiste banalement à se demander si on fait le choix le plus efface, compte tenu des objectifs qui sont les nôtres. Par exemple, je suis un sportif de haut niveau, pour moi, la vie c’est la compétition. Ne pas manquer ma vie, c’est alors faire le choix du bon coach.
- L’autre, plus fondamentale, consiste à se demander si on a choisi la bonne direction en choisissant le but ultime de notre existence. Faire de la  compétition sportive (ou autre) la valeur qui doit orienter ma vie, est-ce le bon choix ? N’y a-t-il pas un risque, une fois ce but atteint, de me sentir déçu parce qu’alors quelque chose de plus essentiel apparaitrait ? Quelque chose qui serait désormais hors de ma portée ?
En réalité, il y a ici un dilemme qui est la marque de tout choix moral. Dilemme parce qu’à la fois nous  ne pouvons éviter de choisir, et qu’en même temps le choix fait s’accompagne toujours d’un renoncement à autre chose – que nous pouvons aussi regretter (1).
Je sais bien que certains diront qu’ils peuvent parfaitement éviter de choisir, que leur vie se « gère » au coup par coup, au jour le jour, évitant ainsi les affres de la vie morale et sa prétention à nous éviter de « manquer  notre vie ». Mais je n’y crois pas, parce que les choix qui sont faits alors (on dirait aujourd’hui : les arbitrages) sont dans le court terme, ils supposent une jouissance immédiate du résultat (sinon pourquoi faire quoique ce soit ?). La valeur qui oriente donc la vie existe : c’est le plaisir.
Mais à la différence du plaisir épicurien, ici on n’a pas une « économie du plaisir », puisqu’on reste dans le court terme. On peut donc parfaitement rater sa vie en sacrifiant le plaisir lointain  et continu  à un plaisir immédiat et destructeur.
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(1) Ominis determination est negatio. (Spinoza) – Voir ici

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