Wednesday, October 14, 2015

Citation du 15 octobre 2015

Hélas, je n'ai jamais eu les yeux aussi ouverts. Je suis atteinte de lucidité comme d'une sale maladie qui ne veut pas guérir. C'est douloureux, la lucidité. On voit les choses exactement comme elles sont, non comme elles devraient être.
Tahar Ben Jelloun – Les Raisins de la galère (1996)

On voit les choses exactement comme elles sont : quelle prétention ! Ainsi donc il y a aurait une faculté qui, nous débarrassant de nos illusions, nous livrerait la réalité sans voile ?

- Oui, pourquoi pas ? Et d’ailleurs, si cette réalité n’était pas si cachée que cela et qu’elle s’annonça par des signes non équivoques : alors la lucidité au lieu de nécessiter un don de clairvoyance consisterait simplement à ne pas en détourner le regard.
Et si on disait qu’elle pourrait être utile dans tous les cas, c’est à dire aussi pour des choses pas désespérantes ? En effet, Tahar ben Jelloun ne parle de lucidité qu’à propos de la douloureuse réalité, mais pourquoi pas aussi de l’heureuse. Certes, on peut supposer que les évènements malheureux, la maladie incurable, la séparation inévitable, s’annoncent par des signes qu’il faut  savoir capter. Mais pourquoi cette même lucidité ne serait-elle pas concernée par les évènements heureux qui nous sont peut-être eux aussi annoncés par des signes – l’hirondelle au retour du printemps, les illuminations de rues avant Noël ?

- On suppose que la lucidité ne concerne que les évènements malheureux parce qu’ils nous sont cachés par un écran d’illusions et qu’il nous faut une faculté particulière pour vaincre ces résistances. Allons plus loin : et si nous ne voyions la réalité dans son ensemble qu’à travers le filtre de nos illusions ? Alors ou bien ce filtre ne la déformerait pas trop, et alors la lucidité serait facultative ; ou bien il la masquerait et alors la lucidité serait nécessaire. Le seul problème serait de savoir quand convoquer la lucidité, et quand on pourrait la laisser de côté.

Et s’il arrivait que la lucidité nous trompe ? On a l’habitude depuis l’histoire de Cassandre de considérer que les prophètes de malheur sont extralucides et que ce sont les optimistes qui se trompent. Et si c’était l’inverse … de temps en temps ?

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