Thursday, October 08, 2015

Citation du 9 octobre 2015

Le mur interdit le passage; la frontière le régule. Dire d'une frontière qu'elle est une passoire, c'est lui rendre son dû: elle est là pour filtrer.
Régis Debray – Eloge des frontières (2010)

Dessin de Willem – Libération du 6 octobre 2015

On retrouve dans ces deux citations (je compte en effet le dessin de Willem) les deux conceptions de la frontière : le filtre et le rempart.
Régis Debray d’abord : il apporte l’éclairage de l’historien : les frontières ont d’abord été destinées non à empêcher, mais à contrôler le passage entre le territoire national et l’extérieur. On dit même qu’elles furent d’abord instituées pour vérifier que ceux qui sortaient du pays avaient bien acquitté leurs impôts ; comme quoi l’évasion fiscale ne date pas d’aujourd’hui ! L’expression « frontière passoire » n’est en effet péjorative que si on entend le terme de « frontière » dans son sens de rempart.
Willem ensuite : les frontières y sont celles de la peur – peur des autres qui eux mêmes ont peur de nous, etc. Pas besoin de beaucoup de réflexion pour saisir que ces frontières-là fragmentent, qu’elles isolent mais qu’elles ne relient pas. La représentions la plus claire des frontières est alors le domicile privé, porte fermée, volets clos et police dans la rue pour s’assurer qu’elle est bien déserte – ou comme dans le dessin de Willem, chacun enfermé dans une tôle roulée serrée autour de lui.
--> Est-ce bien ça que nous voulons ? Si on n’est pas trop pointilleux pour définir le « nous » en question, je répondrai: plus ou moins, mais l’important est de comprendre de qui avons-nous peur ?
La frontière nous protège des étrangers, ce sont eux qui font peur,  parce qu’il y a trop d’étrange dans l’étranger ; parce que, comme disait Freud, il y a une « inquiétante étrangeté » (Das Unheimliche).
Une anecdote que Freud nous raconte pour expliquer cette inquiétude devant l’étranger : « Alors qu’il voyageait dans un train, il se leva de sa banquette pour interpeller le contrôleur. Lorsqu'il se leva, il vit un homme, à l'extérieur de son compartiment, à la silhouette antipathique, désagréable, voire inquiétante. Cet homme qu'il apercevait sans réellement distinguer ses traits était en fait son reflet que lui renvoyait la vitre de la porte. »

Et alors ? Peut-être avons-nous raison de nous méfier des étrangers dans la mesure où ils sont des hommes comme nous « Il n’y a point de bête au monde tant à craindre à l’homme que l’homme. » disait Montaigne (Essais II, 19)

Mais ça, c’est une autre histoire…

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