Wednesday, December 06, 2006

Citation du 7 décembre 2006

Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l'esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite. Ce sont des jeux ; il faut d'abord répondre. »

Albert CAMUS - Le mythe de Sisyphe

Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. C’est avec cette phrase que bien des philosophes ont été vus comme un danger pour la jeunesse : quand j’étais jeune prof de philo j’ai reçu ce conseil de l’inspecteur (1) : « Méfiez-vous du suicide ; n’en parlez pas à la légère ; nos jeunes élèves sont fragiles, et nous passons pour être ceux qui les poussent à l’acte. »

Toutefois, si on se donne la peine de citer in extenso le passage où Camus évoque le suicide, on voit alors qu’on a affaire à tout autre chose qu’au désespoir. Le suicide n’est d’ailleurs même pas un problème : il est une solution. Pour Camus, le suicide est l’aboutissement d’un processus d’évaluation de la vie : Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue. Autrement dit, le suicide n’est qu’une conséquence - peut-être parmi d’autres (2) - de cette évaluation.

Alors ce qui frappe surtout dans cette pensée de Camus, c’est que l’évaluation de la vie se fait dès son commencement. Je dois d’abord décider si la vie vaut ou pas la peine d’être vécue, et ensuite, me lancer dans l’activité de mon choix. Comme si la vie avait une valeur indépendante de son contenu, ou bien comme si ce contenu était défini à l’avance, un peu comme dans les contes de fées où les enfants reçoivent des dons ou des maléfices de la part de la fée Carabosse ou de l’Enchanteur Merlin. Hé bien, non ; ça ne marche pas comme ça….

… ça ne marche pas comme ça, mais on y croit tout de même ; particulièrement quant on est jeune. On se croit alors défini, une fois pour toutes par ce qu’on a fait, ou par ce que les autres disent de nous. On a une essence - définitive comme toute essence - coïncidant avec l’existence instantanée. Si quelqu’un sait ce que vaut la vie, c’est le vieillard qui évalue son passé. Et puis, il y a celui qui croit le savoir : c’est le jeune qui croit être, définitivement, ce qu’il est, pour l’instant.

Plus que les cours de philo c’est sans doute cela qui explique la fréquence du suicide des jeunes gens.

(1) Pour ceux qui le connaissaient, il s’agissait de L.L. Grateloup

(2) Cioran disait que le suicide est l’acte des optimistes, déçus par la vie. Les autres qui savent que la vie est sans espoir, ne peuvent être déçus par elle ; pourquoi se suicideraient-ils ?

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