Friday, December 12, 2008

Citation du 13 décembre 2008


[...] la nature féminine est un abandon sous forme de résistance.

Sören Kierkegaard – Le Journal du séducteur, trad. F. et O. Prior et M. H. Guignot, p.156 (voir Ou bien… Ou bien… Tel, p.235 et s.)

Une jeune fille est faible quand elle a tout donné, – elle a tout perdu ; car l’innocence chez l’homme est un élément négatif, mais chez la femme c’est l’essence de sa nature. A présent toute résistance est impossible, et il n’est beau d’aimer que tant qu’elle dure, lorsqu’elle a pris fin, ce n’est que faiblesse et habitude.

Idem – p. 251

Il en va du Journal du séducteur comme d’Un amour de Swann : c’est le seul passage de l’œuvre qu’on cite parce qu’on n’a pas eu le courage de lire le reste. Et pourtant si la séduction est importante pour Kierkegaard, ce n’est qu’à titre de révélateur de ce qu’est l’étape érotique de l’existence.

Sans entrer dans des détails qui n’auraient pas leur place ici, disons que ce qui caractérise cette étape – et donc la séduction – c’est la transitivité, l’instabilité. Oui, c’est bien cela : le séducteur vit au plus haut degré cette instabilité comme désirable, et il veut séduire un objet lui-même instable : la jeune fille remplit parfaitement cet objectif, puisqu’elle va de la résistance à la capitulation. Dès qu’elle a été séduite (= déflorée) elle est abandonnée par ce qu’elle n’a plus rien à défendre – et donc plus d’occasion de résister.

Que serait Don Juan s’il revenait aujourd’hui ?

Serait-il plus proche de Molière – celui qui crache au ciel ? Ou plus proche de Mozart – avec l’air du catalogue (1). Bien que Kierkegaard y fasse explicitement référence (Ou bien… Ou bien… p. 103), on reste dubitatif devant cette liste en se demandant comment un homme si peu soucieux de garder le souvenir de ses conquêtes aurait l’envie de les cataloguer. Quand à célébrer sa performance, on en doute encore plus, sauf à rappeler que c’est Leporello qui tient la comptabilité de cette liste. (2)

Puisque aujourd’hui la virginité n’est plus une « qualité essentielle de la femme » (3), Don Juan devrait d’abord résoudre cette question : quel abandon caractérise chez une femme le don de soi ?

Que les Don Juan qui me lisent répondent, parce que, quant à moi, je ne saurais le faire.


(1) Chanté par Leporello, le valet de Don juan à Dona Elvira son épouse, cet air récapitule les conquêtes de son époux, consignées dans un catalogue :

Madamina, il catalogo è questo / Delle belle che amò il padron mio; / un catalogo egli è che ho fatt'io; / Osservate, leggete con me.
In Italia seicento e quaranta; / In Alemagna duecento e trentuna; / Cento in Francia, in Turchia novantuna; / Ma in Ispagna son già mille e tre.

(Traduction : Belle dame, regardez cette liste / des conquêtes que fit mon, bon maître, / catalogue dressé par moi-même ! / Je vous prie, lisez avec moi : / Italie, voyez, six cent trente ! / Allemagne, deux cent trente et une ; / cent pour la France, et soixante en Turquie ! / Mais en Espagne, déjà mille et trois.) – Ne pas oublier que le livret est de Lorenzo Da Ponte.

(2) De fait l’air du catalogue comme le fait observer Kierkegaard a surtout pour rôle d’humilier Elvire.

(3) Voir Post du 20 novembre 2008

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