Friday, January 29, 2010

Citation du 30 janvier 2010

Mais au moment que j'étais prêt à me pâmer sur une gorge qui semblait pour la première fois souffrir la bouche et la main d'un homme, je m'aperçus qu'elle avait un téton borgne. […] je vis clair comme le jour que dans la plus charmante personne dont je pusse me former l'image, je ne tenais dans mes bras qu'une espèce de monstre, le rebut de la nature, des hommes et de l'amour.

Rousseau –Confessions 2ème partie livre VII (1)

Voici la situation : Jean-Jacques Rousseau, le jeune et séduisant secrétaire de l’ambassadeur du roi de France à Venise, vient de monter dans la chambre de Zulietta, une courtisane à la beauté sublime. Jean-Jacques au lieu de se jeter sur elle, se met à gamberger : Pourquoi, se dit-il, accepte-t-elle de faire l’amour avec moi alors qu’elle doit avoir les plus beaux et les plus riches hommes à ses pieds. Naïf, mais méfiant quand même, le Jean-Jacques ! Il en vient à supposer quelques défauts cachés : Ou mon coeur me trompe, se dit-il, fascine mes sens et me rend la dupe d'une indigne salope, ou il faut que quelque défaut secret que j'ignore détruise l'effet de ses charmes et la rende odieuse à ceux qui devraient se la disputer.


Cherchez et vous trouverez… Il découvre que la belle Zulietta a un téton borgne, entendez un téton invaginé. Ce défaut qui n’aurait pas dû suffire à freiner l’élan d’un homme jeune et ardent, dégoûte totalement notre héros, au point qu’il s’en ouvre à la belle qui l’abandonne en lui disant : Zanetto, lascia le donne, e studia la matematica. Laisse tomber les femmes et fais plutôt des mathématiques (2)

Et pourquoi ce trouble ? Parce que Jean-Jacques déjà persuadé que cette femme devait être dégoûtante, ne faisait que chercher un indice le prouvant.

Beaucoup de nos aversions portent sur des détails physiques qui sont en réalité comme le téton borgne de la belle Juliette : repoussant parce que choisis comme preuve que notre dégoût a une véritable explication.


(1) Lire le passage ici

(2) Que mes lecteurs mathématiciens m’écrivent pour me dire si effectivement on ne peut aimer en même temps les mathématiques et les femmes.

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