Thursday, December 16, 2010

Citation du 17 décembre 2010

…très sournois s'approchent / la ride véloce / la pesante graisse / le menton triplé / le muscle avachi / allons cueille cueille / les roses les roses / roses de la vie / et que leurs pétales / soient la mer étale / de tous les bonheurs/

Raymond Queneau Si tu t'imagines (Chanté par Juliette Gréco)

- Retrouvez ici Juliette Gréco qui raconte comment Sartre lui a confié le texte de cette chanson et écoutez en prime son interprétation de La rue des Blancs-Manteaux, la chanson de Huis-clos.

La confrontation de ces deux portraits de Juliette Gréco confirme-t-elle l’avertissement contenu dans la poésie de Raymond Queneau ?

Déjà, observons que la Gréco « contemporaine » sur la photo de droite n’a pas les stigmates de la vieillesse recensés par Queneau : où la graisse ? Où le triple menton ? Où le muscle avachi ?

Certes il s’agit peut-être de petits miracles obtenus à la pointe du bistouri ; et on rappellera que Gréco a toujours « triché » avec son visage, qu’elle l’a fait modifier dès sa jeunesse, à commencer justement par son nez. Mais on risquera alors de passer à côté de l’essentiel.

C’est que la photo d’un visage, comme le disait Deleuze, est un moyen de faire affleurer la personnalité (1), et j’ajouterai qu’au fond, l’âge n’est rien d’autre que la succession des personnalités. C’est à juste titre qu’on dit qu’à 60 ans on a le visage que la vie nous a fait. Mais pourquoi ne pas en dire autant à 20 ans ?

Chacune de ces photos révèle en réalité une donnée psychologique, mise en scène par le portraitiste :

- A gauche, la Gréco photographiée par Harcourt ( ?), sure d’elle, qui n’a pas besoin d’avoir des bottes noires et un fouet pour qu’on sache qu’elle est une dominatrice. Celle-là a disparu avec le nez raccourci et avec une technique du chant plus sophistiquée.

Disparue ? Peut-être ne s’est-elle que transformée et qu’elle se dit à présent autrement – comme par exemple dans la chanson Déshabillez-moi (voir ici).

- Et à droite, la Gréco plus âgée, certes, mais pleine de vitalité, les cheveux dans le vent et le sourire ouvert à l’autre – la Gréco qui, à son âge encore, cueille cueille les roses les roses – roses de la vie.

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(1) « On reconnaît au visage trois fonctions : il est individuant (il distingue ou caractérise chacun), il est socialisant (il manifeste un rôle social), il est relationnel ou communicant (il assure non seulement la communication entre deux personnes, mais aussi, dans la même personne, l’accord intérieur entre son caractère et son rôle). » Gilles Deleuze, Cinéma 1 L’image-mouvement (éd. de Minuit, p. 141). On lira aussi la suite sur l’image « gros plan » du visage.

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