Sunday, February 19, 2012

Citation du 20 février 2012

J'en avais averti Pierre Quint, lui signalant un fâcheux lapsus : il me fait dire : « Je ne suis jamais ce que je crois que je suis », tandis que j'avais écrit tout différemment et avec beaucoup plus de sens : « Je ne suis jamais que ce que je crois que je suis ».

Gide, Journal, 1933

Les lapsus ne se produisent jamais par hasard, et Freud a écrit là-dessus des choses bien connues.

Ainsi du personnage dont nous parle Gide, qui croit, intuitivement, que la phrase « Je ne suis jamais ce que je crois que je suis » est beaucoup plus évidente que «Je ne suis jamais que ce que je crois que je suis ». Comme si la connaissance de soi n’était jamais conforme à la réalité, cette connaissance étant sans doute dévolue à autrui qui a le privilège de nous voir de l’extérieur – comme en surplomb.

Or c’est précisément le contraire, et Gide n’hésite pas à dire qu’on a là une idée beaucoup plus signifiante. Si je peux affirmer que je me connais tel que je suis, c’est que je me fais tel que je crois être. Et ça, en effet, c’est fort !

Ainsi, poser à propos de soi-même la question « Que sais-je ? » revient à se poser la question « Que suis-je ? ».

Mais attention à l’ordre dans lequel on prend ces questions. Pierre Quint suppose qu’on part de la réalité objective (ce que je suis) pour aller vers la connaissance (ce que je sais) – comme si le moi à connaitre était une réalité au même titre que la souris ou la grenouille qu’on s’apprête à disséquer. Pour Gide en revanche, le moi dépend de l’effort que je fais pour le connaitre.

On sait que nos désirs ou nos émois, dès que nous les éprouvons, forment notre réalité et en même temps nous en informent. Mais chez Gide, ça va beaucoup plus loin, et on peut établir deux possibilités :

- soit que je sois malléable au point de me conformer à ma représentation,

- soit – plus probablement – que je me limite à être ce que je crois être, éliminant au moins provisoirement, les autres possibilités.

Mais alors, que suis-je quand je ne me cherche pas spécialement ? Quand je suis occupé à vivre et non à (me) connaitre ?

Eh bien, je suis comme le chat de Schrödinger avant qu’on ait ouvert sa boite. Et voilà tout.

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