Saturday, October 06, 2007

Citation du 7 octobre 2007

Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent.

La Bruyère - Caractères

Tous ceux qui apprécient les citations - et je suppose qu’il y en a quelques uns parmi les lecteurs de La citation du jour - doivent aussi apprécier cette formule de la Bruyère. Car une citation, est-ce autre chose qu’une pensée qui est certes ma pensée, mais qui a déjà été pensée et formulée avant moi ?

Toutefois, La Bruyère entendait surtout prendre position dans la querelle des anciens et des modernes : il s’agissait pour lui de soutenir que l’imitation des Grecs et des Romains était tout ce que les modernes pouvaient faire de mieux, les Anciens étant modèle indépassable. Puisque les hommes ne font que se répéter depuis leur origine (1), alors il n’y a plus qu’à continuer.

Tout cela pose le problème si contemporain du plagiat (2). Pour la Bruyère, le plagiat est lié à la nature même de la pensée humaine : faute de pouvoir produire quelque chose de neuf, elle ne peut que se reproduire. On n’a alors que deux possibilités : ou bien copier ; ou bien se taire.

Que répondre à cela ?

- Ou bien que la condamnation du plagiat est normale, non seulement parce qu’il existe une propriété intellectuelle, mais aussi et surtout parce que, contrairement à ce que dit notre citation, nous savons inventer, nous savons penser et dire ce que personne n’a jamais dit. La pensée est historique, et les hommes d’aujourd’hui ne peuvent pas penser comme ceux d’hier, ni comme ceux de demain.

- Ou bien, utiliser une autre citation : Tout ce qui a été bien dit par quelqu'un est mien (Sénèque, Lettres, LXXIX, 6). La pensée, la pensée vraie, n’est pas individuelle, ni collective : elle est universelle. Le théorème de Pythagore, n’est pas le théorème appartenant à Pythagore (cf. Post du 18 avril 2007). Le droit de propriété sur la vérité n’existe pas, tout comme on ne peut faire breveter le génome humain.

- Enfin, pour ce qui relève de l’imagination, effectivement ses produits sont bien la propriété de celui qui les a imaginés. Mais cette propriété est limitée : non seulement dans le temps (70 ans après le décès de l’auteur). Mais en plus l’œuvre appartient à chaque lecteur ou spectateur dans la mesure où ils sont libres d’imaginer ce qu’ils veulent à partir de là. De même que Duchamp avait le droit de faire des moustaches à la Joconde, j’ai le droit d’écrire la suite des Misérables, ou d’Autant en emporte le vent.

Ça a déjà été fait ? Tant pis.

Et Ulysse 2 - Le retour ?

(1) Lorsque la Bruyère dit « depuis plus de sept mille ans », il pense à l’origine biblique de l’humanité, dont l’acceptation était une quasi-obligation à son époque. Aujourd’hui, quelques intégristes fanatiques continuent à affirmer que la Genèse est la vérité et la science une fiction.

(2) Définition du plagiat : - Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. (Article L122-4 du code de la propriété intellectuelle) Voir aussi ceci

4 comments:

Anonymous said...

Sur la question du plagiat en musique, on peut par exemple aller voir ce lien :
http://gugifred.free.fr/blog/
?2007/02/28/20-musique-les-vrais-pirates

Jean-Pierre Hamel said...

D'excellents exemples de plagiat musicaux en effet.
Finalement, le plagiat a toujours été admis lorsque c'est l'auteur qui se plagie lui-même : exemple des retours insistants du thème du 4ème mouvement de la 9ème chez Beethoven, les "copies" du même tableau (exemple : les Tricheurs" de La Tour.
Par contre quand Gainsbourg a pillé Chopin, il aurait pu avoir l'honnêteté de le reconnaître.

Djabx said...

tout comme on ne peut faire breveter le génome humain.

Je pense malheureusement que ce n'est qu'une question de temps. Attendez que vous ayez un peu plus l'habitude d'entendre parler d'OGM et tous les gros groupes pharmaceutique fassent pression sur les politiques pour avoir ce droit. Un jolie monde en perspective, non?

Mais cette propriété est limitée : non seulement dans le temps (70 ans après le décès de l’auteur)

C'est une chose que je n'aie jamais compris. Quel est l'intérêt (à part pour les groupes genre Disney et autres) de protéger une oeuvre 70 ans après la mort de son auteur? C'est censé favorisé la créativité?

Jean-Pierre Hamel said...

Quel est l'intérêt (à part pour les groupes genre Disney et autres) de protéger une oeuvre 70 ans après la mort de son auteur?
Je suppose que c'est principalement pour que les héritiers perçoivent les droits d'auteurs. Ce qui suppose évidemment que l'œuvre continue d'être diffusée.