Monday, October 08, 2007

Citation du 9 octobre 2007

…je voudrois aussi qu'on fust soigneux de luy [=l’enfant] choisir un conducteur [précepteur], qui eust plustost la teste bien faicte, que bien pleine : et qu'on y requist [les rechercha] tous les deux, mais plus les moeurs et l'entendement que la science.

Montaigne - Essais I, ch. 26 (De l’institution des enfants) (1)

Mieux vaut avoir la tête bien faite que bien pleine : citation célèbre entre toutes, et tombée pourtant en désuétude, tant parce qu’on ne lit plus Montaigne (son scepticisme est passé de mode à l’époque de la science moderne) que parce que la philosophie morale que nous prisons est priée de faire une place d’honneur à tout ce qui nous promet de la consommation - de savoir comme du reste. On se goinfre d’information - la nouvelle idole de notre temps - ce qui nous dispense de réfléchir.

A quoi sert d’avoir une tête bien pleine ? A faire qu’elle soit bien faite ? Comment raisonner juste, si on ne sait rien ? L’homme de Cro-magnon peuplait la nature d’Esprits et de Génies, faute de savoir expliquer la tempête et les éclairs. Ecoutons Montaigne.

Son argument est que la tête bien faite ne provient pas de la tête bien pleine, et que, s’il est bon d’avoir les deux, au cas où on devrait n’en avoir qu’une seule, la première serait préférable. Ce qui revient, dit Montaigne, à préférer les mœurs et l’entendement à la science.

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » disait déjà Rabelais (cf. Post du 7 août 2006) : entendez que la tête bien pleine ne réglera jamais le moindre de vos problèmes existentiels. On le voit avec l’exemple de l’euthanasie : si votre médecin a la tête bien pleine, tant mieux. Mais en quoi vous sera-t-il utile pour savoir s’il faut abréger les souffrances de l’agonie ? C’est tellement vrai qu’il a pour code le serment d’Hippocrate : même actualisé (lire ici), il ne lève pas l’ambiguïté des choix moraux, et c’est bien.

Maintenant il ne faudrait pas en conclure hâtivement que l’étude ne sert à rien, et que mieux vaut suivre son intuition, la première opinion venue valant autant que n’importe quelle autre. Parce que, si vous n’avez pas la tête bien faite, et qu’en plus elle soit vide, alors le mieux pour vous c’est de vous taire.

(1) L’édition en ligne de ce texte (à lire ici) référence ce chapitre sous le n° 25, je n’ai pas eu le temps de rechercher pourquoi

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