Thursday, August 16, 2012

Citation du 17 août 2012


ARGAN – Voyez-vous la petite rusée? Oh çà, çà, je vous pardonne pour cette fois-ci, pourvu que vous me disiez bien tout.
LOUISON – Oh! oui, mon papa.
ARGAN – Prenez-y bien garde, au moins; car voilà un petit doigt qui sait tout, et qui me dira si vous mentez. […] Voilà mon petit doigt pourtant qui gronde quelque chose. (Il met son doigt à son oreille.) Attendez. Eh! Ah! ah! Oui? Oh! oh! Voilà mon petit doigt qui me dit quelque chose que vous avez vu, et que vous ne m'avez pas dit.
LOUISON – Ah! mon papa, votre petit doigt est un menteur.
Molière – Le Malade imaginaire Acte II Scène 8
Le rapport des doigts aux oreilles est assez contradictoire : car si les doigts servent à boucher les oreilles pour qu’elles n’entendent pas, le petit doigt, lui, sert à leur faire entendre les secrets des autres, à condition qu’on l’introduise délicatement dans le conduit auditif. C’est même pour cela qu’on l’appelle l’auriculaire.


(Image trouvée ici)
Je laisserai aux spécialistes (O.R.L. ?) le soin d’éclairer cette mystérieuse contradiction et je m’en tiendrai au pouvoir du petit doigt des adultes de révéler le secret des petits enfants.
On dira avec Serge Tisseron (1) que cette histoire de petit doigt omniscient est quelque chose de ravageur : avant 2 ans l’enfant est convaincu qu’il ne peut avoir de secret pour l’adulte qui s’occupe de lui, que celui-ci a accès à toutes ses pensées. Il lui reste alors la tentation de se détourner d’eux et se replier sur lui-même. Si tout va bien, vers 3 ans il saura garder son secret en regardant l’adulte dans les yeux – en disant tranquillement « mon papa, votre petit doigt est un menteur ».
Si cette histoire de « petit doigt causeur » est exemplaire, c’est parce qu’elle révèle l’importance du secret : c’est par lui que la vie intime existe, c’est lui qui en garantit la sécurité. On peut bien sûr partager toutes nos pensées – pour autant que ce soit possible – avec l’ami ou la femme qu’on aime. Mais on est alors dans la liberté qui consiste à divulguer nos secrets. Non à en être privé.
La pire des dictatures n’est-elle pas celle de Big Brother, qui n’avait même pas besoin de « petit doigt » pour connaitre les pensées intimes de ses sujets – les télécrans suffisaient.
--> Mais reste encore la question : à quoi bon connaitre les pensées intimes des autres ? Qu’avons-nous à y gagner ?
Là encore, c’est Big Brother qui nous répond. Il ne cherche pas uniquement à assurer sa sécurité : il veut aussi gouverner leur intimité. Big Brother est le tyran qui veut être aimé de ses sujets.
Un peu comme le bourreau-sadique qui exige de sa victime qu’elle lui dise merci et baise la main que la moleste.
La main… ou le petit doigt ?
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(1) Serge Tisseron, psychanalyste, dans Télérama du 15 août 2012, numéro consacré au secret.

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