Sunday, August 26, 2012

Citation du 26 août 2012


Vous êtes son amour, craignez d'être sa haine.
Corneille – Tite et Bérénice

Nous avons déjà évoqué les différences – et les ressemblances – entre l’amour et la haine, nous n’y reviendrons pas ici.
D’autant que ce vers de Corneille nous invite à un autre étonnement : celui du retournement de l’amour en  haine. Comment celui qui aimait, au comble de la passion, peut-il d’un coup se mettre à haïr l’être qu’il chérissait l’instant d’avant ? Y aurait-il un « coup de foudre de la haine » comme il y en a un pour l’amour ?
Le coup de foudre amoureux survient dans un contexte neutre : l’instant d’avant je n’avais jamais vu cette personne. Je l’aperçois. J’en tombe raide-dingue. Ça, c’est le coup de foudre amoureux.
Vous êtes son amour, craignez d'être sa haine : cette haine soudaine survient dans un contexte un peu plus compliqué, qui suppose qu’avant d’abominer cette personne, nous la chérissions.
Et s’il fallait d’abord aimer avant de haïr ? Si la haine, pour se déclencher nécessitait une atteinte au plus profond de notre âme, quelque chose que ne peut réaliser que la personne à qui nous avions donné une place au tréfonds de notre cœur ? On connait la prière : Seigneur, protégez-moi de mes amis ! Il faudrait peut-être ajouter : … et de mes amours.
L’idée que suggère le vers de Corneille est donc que la haine des amants est plus terrible que celle de l’inconnu qui vient – on ne sait pourquoi – à nous détester. On vient de voir que cette haine est plus violente, plus implacable – à la hauteur de la blessure qui l’a provoquée. Mais il faudrait dire aussi qu’elle est sans doute plus efficace. L’inconnu qui veut me faire mal va m’ajuster de sa hargne un peu au hasard, il va tirer au jugé, comme on ferait sur une ombre dans la nuit.
Par contre l’amoureux déçu, lui, connait tout de mes faiblesses, la moindre faille, la moindre cicatrice mal fermée : c’est là qu’il va appuyer, enfonçant son poignard juste dans le défaut de la cuirasse. (1)
Il ne suffit pas de vouloir faire souffrir – il faut encore savoir le faire. L’amoureux trahi devenu haineux, lui (et lui seul), saura faire.

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(1) On parle parfois de la nécessaire empathie du bourreau pour sa victime

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