Monday, July 01, 2013

Citation du 2 juillet 2013


Mais les ouvrages les plus courts / Sont toujours les meilleurs. En cela, j'ai pour guides / Tous les maîtres de l'art, et tiens qu'il faut laisser / Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser.
La Fontaine – Les Lapins,  Livre X, fable 14
(Discours à Monsieur le duc de La Rochefoucauld)
Commentaire II
Mes lecteurs attentifs doivent être impatients de savoir comment je vais me justifier aujourd’hui. Comment je vais arriver à m’excuser d’avoir, dans mon Post d’hier, passé à l’as le dernier vers de notre citation ; d’avoir fait comme si La Fontaine  n’y expliquait pas que la brièveté de l’œuvre était conditionnée non par un travail de concentration de l’expression, mais au contraire par sa dispersion, sa dissémination – en bref, qu’elle était faite de lacunes.
Ces lacunes de l’expression sont parfois l’expression de l’embarras de l’esprit qui s’essouffle à dire ce qu’il pense confusément : d’où l’emploi dans le parler « djeun » de la préposition – voilà.
Mais nous n’en sommes pas là. Il s’agit, dit La Fontaine, de ces lacunes voulues et machinées pour permettre au lecteur de dire lui-même ce que l’auteur n’a pas voulu formuler. Il s’agit donc d’une ellipse, ménagée intentionnellement, qui devrait être notée à l’écrit par des points de suspension.
Mais la question est : pourquoi ne pas tout dire ? Pour renforcer l’argument, en demandant à l’interlocuteur de dire lui-même ce qu’on veut lui faire accepter ?
Peut-être – Mais là n’est pas l’essentiel. Ce qu’il faut c’est laisser / Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser. Ces lacunes ne sont pas des ruses rhétoriques. Elles sont une générosité philosophique : donner à penser et non contraindre la pensée.
C’est un peu comme ces compositeurs qui envoyaient un thème musical à leurs amis pour voir quelles variations ils allaient en tirer : les Variations Diabelli en sont un exemple (1).
En tout cas, il faut dire que le secret de la pédagogie de la philosophie est là : il faut laisser des trous dans l’exposé de la pensée non pour piéger le malheureux qui viendrait y buter, mais pour laisser une échappatoire à la pensée.
C’est donc bien ce qu’on disait : donner à penser et non contraindre la pensée.
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(1) « En 1819, Diabelli, un éditeur et compositeur bien connu, a écrit et envoyé une courte valse à tous les compositeurs importants de l'Empire d'Autriche leur demandant d'en écrire une variation… » (Wikipédia). Celles qu’a composées Beethoven sont les seules connues aujourd’hui.

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