L'inégalité du talent et du courage est dans la nature humaine, la justice n'est pas de le nier. Mais elle est de faire en sorte que, quel que soit le milieu d'origine, les personnalités de nos enfants puissent se développer et trouver dans la vie sociale, à mérite égal, des chances équivalentes. Une démocratie sincère doit fixer cet objectif.
Valéry Giscard
d'Estaing – La Démocratie française
« L'inégalité du talent et du courage [ne doit pas empécher] de trouver dans la
vie sociale, à mérite égal, des chances équivalentes » : ou bien
je lis mal, ou bien ça veut dire : « égalité des chances » à l’intérieur d’un groupe de gens dotés
d’un égal talent et d’un égal courage. On est donc bien dans une société de
castes, où le prolétaire ne peut revendiquer qu’un bonheur de prolétaire et non
celui d’un patron.
Voilà des propos dignes de l’aristocrate Giscard
d’Estaing. Mais sont-ils disqualifiés pour autant ? Peut-être bien quand
même, et si un prolétaire peut espérer par son mérite se hisser au niveau de la
plus haute classe, pourquoi ne pourrait-il pas en revendiquer le droit ? Demandons-nous
alors : où se trouve donc la justice équitable : dans le privilège
aristocratique ou dans le Rêve Américain ?
Car c’est bien à ça qu’on pense : l’Amérique nous a
révélé, voilà fort longtemps, que la répartition des talents n’a que faire du
lieu social de la naissance. Qu’un prolétaire mettre au monde un petit génie,
qui va parvenir à briller dans le monde et accéder à la considération et à la
fortune, voilà qui parait fort intéressant et stimulant. Mais qu’un riche
bourgeois enfante un parfait crétin, la justice est également qu’il dégringole
dans l’échelle sociale et qu’il se retrouve manœuvre dans l’usine de Papa… Heu…
pas sûr !
Mais qu’importe ! On veut rêver et notre rêve, c’est
le rêve américain de la réussite rapide ouverte à ceux qui ont le brillant de
l’intelligence et de l’audace.
o-o-o
Une remarque très subjective en passant : je
demandais à des amis comment ils comprenaient le succès étonnant du livre En finir avec Eddy Bellegueule, dont on
sait que l’auteur y raconte sa vie : issu de parents pauvres et enfermés
par leur culture et leur langage dans la position de dominés, il s’en est enfui.
Le voilà à 21 ans élève de Normal-Sup’, ayant publié un ouvrage sur Bourdieu
(édité aux PUF) et maintenant ce roman (au Seuil). Je ne comprends pas que ce
livre ait trouvé un tel public (100000 exemplaires vendus à ce jour), parce
qu’il est violent et âpre et que ça ne ressemble pas du tout à un
bestseller !
Et voilà qu’ils me répondent : les gens achètent ce
livre parce qu’il ont vu à la télé (entendu à la radio) cet auteur raconter son
étonnante success story, et que les gens rêvent de vivre une pareille aventure
– ou du moins aiment à penser qu’ils sont dans un pays qui la rend possible.
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(1) Comme le précise Ouest-France, on est dans le cas
paradoxal d’un auteur qui publie sous un pseudo un roman dont le héros porte en
réalité son vrai nom. « Son nom est
désormais Édouard Louis. Celui d'un étudiant de 21 ans, brillant, raffiné,
parisien. Son nom de naissance, Eddy Bellegueule, lui rappelait trop son
enfance picarde, dans la misère sociale et morale. Dans un livre saisissant, il
raconte ce qui l'a amené à opérer une rupture radicale avec sa famille et son
milieu, qui l'ont exclu parce qu'il était différent. »
Edouard Louis va-t-il en finir avec Eddy Bellegueule ?
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