Friday, May 08, 2009

Citation du 9 mai 2009

"Posso palpare la signora?" (Est-ce que je peux palper la dame ? »

Silvio Berlusconi (1)

Allez un peu de légèreté pour le pont du 8 mai, histoire d’oublier que contre vents et marées on est en train de préparer le pique-nique, au lieu d’aller vertueusement travailler.

« Est-ce que je peux palper la dame ? Et de lui poser la main sur l’épaule… » raconte le journaliste.

En plein dans les crises qui nous étouffent et nous obsèdent, je trouve ces histoire de dames italiennes plutôt rafraîchissantes.

Quoi donc ? Une main sur l’épaule – même pas aux fesses ? On en fait des histoires pour pas grand-chose…

Et puis, que dire d’un chef d’Etat qui a suffisamment d’humour pour surjouer le personnage que les médias lui ont fabriqué ? Mettre les rieurs de son côté, n’est-ce pas justement la meilleure défense ?

Alors, c’est vrai que Silvio Berlusconi n’est sûrement pas un saint, et qu’on peut supposer que les jeunes filles, même très jeunes, font partie de son ordinaire. Mais en l’occurrence, la sonnette d’alarme a été tirée pour rien du tout.

Comme j’imagine que les Italiens ne sont pas plus bégueules que nous, il faut bien supposer que l’effarouchement suscité soit d’abord une attaque politique.

Et là, je suis un peu déçu : au lieu de la légèreté annoncée, nous voici dans un triste bourbier où la vertu des femmes n’est plus vantée ni défendue pour ce qu’elle est, mais comme un moyen – un simple moyen – d’abattre les hommes.

Décidément la politique, ça pourrit tout.


(1) Récit : « C'était le 25 avril dernier à Bazzano, dans la périphérie de L'Aquila. Le chef du gouvernement italien effectuait une visite dans les ruines du tremblement de terre. Il n'y aurait sans doute rien eu de particulier à raconter si le représentant des autorités locales photographié aux côtés de Silvio Berlusconi avait été un homme. Mais Lia Beltrami est une femme. Au moment de prendre la pose, le septuagénaire lance: "Je peux palper un peu la dame?", et de lui poser la main sur l'épaule. » (Lire ici – voir la vidéo ici)

Thursday, May 07, 2009

Citation du 8 mai 2009

Un travail réglé et des victoires après des victoires, voilà sans doute la formule du bonheur.

Alain – Propos sur le bonheur


8 mai 1945, commémoration de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie (1).

La commémoration des Victoires m’a toujours parue une bêtise, même si elle est enjolivée de mention du genre « Victoire sur le fascisme, sur la barbarie, etc… »

1 - Constatons que la victoire est toujours aussi la défaite d’autres êtres humains, et que l’allégorie peinte par les frères Le Nain illustre bien cette réalité : par de victoires sans cadavres.

2 - On peut aussi rappeler que certaines victoires ont été acquise à des prix tellement exorbitants qu’elle ne valaient guère mieux que des défaites : telles sont les « victoires à la Pyrrhus ».

3 - Commémorons le sacrifice de ceux qui ont péri dans l’affrontement, puisque l’allégorie des frères Le Nain pourrait aussi être interprétée comme montrant une victoire juchée sur le cadavre du combattant qui l’a acquise,

4 - et puis rappelons-nous qu’aucune victoire n’est définitive, et qu’elle n’a de sens que d’ouvrir à d’autres combats et d’autres victoires espérées.

des victoires après des victoires, dit Alain, et c’est bien dit.

Mais bien sûr, il s’agit de victoires sur soi-même.


(1) Rappelons que les Algériens commémorent également le 8 mai 1945, qui chez eux est aussi le jour du massacre de Sétif. Pas de quoi pavoiser…

Wednesday, May 06, 2009

Citation du 7 mai 2009

Il y a des cases dans le cerveau, avec inscriptions : A étudier au jour favorable. - A n'y penser jamais. - Inutile à approfondir. - Contenu non examiné. - Affaire sans issue. - Trésor connu et qui ne pourrait être attaqué que dans une seconde existence. - Urgent. - Dangereux. - Délicat. - Impossible. - Abandonné. - Réservé. - A d'autres ! - Mon fort. - Difficile, etc.

Paul Valéry – Mauvaises pensées et autres

Les conseils de La Citation du jour.

Aujourd’hui : Faire l’inventaire de son cerveau, comme on fait l’inventaire de sa chambre à coucher ou d’un placard. Nous sommes ici dans l’observation objective de soi-même.

On remarquera que Valéry évoque principalement les affaires classées sans issue (un peu comme les X files du F.B.I.). Faisons comme lui, et recensons tout ce que nous avons rencontré un jour et puis abandonné.

Je vous suggère donc de faire ce que Valéry propose : inventorier le contenu de votre cerveau – ou de votre vie – comme s’il s’agissait du grenier de la grand-mère avant de vendre sa maison. Des affaires qu’on trie pour savoir ce qu’elles sont sans perdre son temps à s’émouvoir sur les souvenirs.

Remarquons aussi qu’il ne s’agit pas d’un examen de conscience – aucune évaluation, aucun regret, aucun remord. Nous sommes en dehors de la mauvaise ou de la bonne conscience, comme si il y avait bien plus important à faire que de porter un regard larmoyant sur soi-même.

… Plus important et surtout plus urgent : il y a en effet des affaires à traiter. Que sont-elles ?

Sans doute pouvons nous les imaginer à partir des affaires déjà traitées, qui sont contenues dans les cases ad-hoc du cerveau. Il y a écrit dessus : Tout ce qui arrive quand la tendance est favorable – Ce qu’on peut approfondir – Ce dont le contenu peut être compris – Affaire avec issue, – Trésor qu’on peut atteindre dès cette existence, etc…

Et après ? Hé bien, libre à vous de compter les cases de votre cerveau pour voir de quel coté il y en a le plus, si c’est du coté des affaires délaissées ou du coté des affaires traitées.

Mais je vous conseillerai de voir plutôt du côté des affaires à traiter : il y en a bien assez pour occuper le reste de votre vie.

Tuesday, May 05, 2009

Citation du 6 mai 2009

Les mensonges en politique, puisqu’ils sont souvent utilisés comme des substituts de moyens plus violents, peuvent assurément être considérés comme des instruments relativement inoffensifs dans l’arsenal de l’action politique.

Hannah Arndt – La crise de la culture, chapitre VII (Vérité et politique) p. 291 (1)

Le mensonge est à la politique, ce que le Taser est à la police : une arme non létale – une moindre violence.

… Et c’est à nous, nous les enfants des Lumières, nous qui avons appris la démocratie auprès de Condorcet, nous qui avons cru que l’instruction publique en mettant à l’abri de l’ignorance protégeait aussi de la tyrannie, c’est donc à nous qu’on dit ça ?

Notez, si effectivement pour faire de la politique il faut avoir un arsenal de moyens, si la violence est à la base de l’efficacité politique, alors oui, le mensonge est un moyen de gouverner comme un autre, pas plus immoral qu’un autre en tout cas. Sommes-nous complice de ces mensonges, en sommes-nous seulement victimes ? Car après tout, s’ils nous évitent la violence, pourquoi pas ?

En réalité, il y a deux évaluations différentes du mensonge en politique :

- l’une consiste à se placer dans un rapport moyens-fins : si les fins sont bonnes et si les moyens sont efficaces, alors les mensonges peuvent être considérés comme étant bons.

- l’autre considère les valeurs comme intangibles : le mensonge est une injure faite à la personne d’autrui à qui nous avons le devoir de dire la vérité.

La seule question est alors de savoir : qu’est-ce qu’on perd en ignorant la vérité ?

Platon nous dit que les hommes qui sont soumis à leur sensualité préféreront ignorer la vérité si c’est la condition de leur jouissance, comme le pourceau qui gloutonne dans la fange pendant qu’à coté on affûte le couteau pour le saigner. Voyez dans l’Allégorie de la caverne, le sort qui est réservé au philosophe qui redescend dans l’ombre pour révéler la vérité à ses anciens compagnons (2).

Kant ajoutait que c’est à la morale de dire ce que vaut la vérité, et non pas à des individus soumis à leurs appétits sensuels.

Mais il constatait que dans ses rapports à la morale, la politique devra encore pour assez longtemps se passer de des impératifs de celle-ci, du moins tant que la moralité de l’humanité n’aura pas atteint un niveau suffisant (3)

… Séquence nostalgie : Il y a deux ans, oui, deux ans déjà, place de la Concorde, au soir de son élection, Notre-Président s’adressait à tous les français, et d’abord à ceux qui ne l’avaient pas élu. Et voici ce qu’il leur disait : « je ne vous trahirai pas, je ne vous mentirai pas, je ne vous décevrai pas. » (4). Il parlait du plein emploi et du pouvoir d’achat.

Si nous lui accordons la pureté des intentions, alors sa seule erreur est d’avoir parlé au futur.

Sinon, c’est une faute


(1) Hannah Arendt a écrit aussi un petit ouvrage sur le mensonge et la violence, à propos des mensonges du Pentagone concernant l’efficacité des bombardements sur le Nord Vietnam, ainsi que sur leur innocuité pour les populations civiles. On nous a refait le coup avec les armes de destruction massives de Saddam Hussein, sous le regard étonné du monde entier.

(2) Voici ce que dit Socrate : Et si quelqu'un (= le philosophe) tente de les délier (= ses anciens compagnons toujours prisonniers de la caverne) et de les conduire en haut (=vers la contemplation de la vérité), et qu'ils le puissent tenir en leurs mains et tuer, ne le tueront-ils pas ?

Il est vrai qu’il affirme quelques lignes plus loin que celui qui connaît la vérité n’a surtout pas l’envie de faire de la politique :… ne t'étonne pas que ceux qui se sont élevés à ces hauteurs ne veuillent plus s'occuper des affaires humaines, et que leurs âmes aspirent sans cesse (517d) à demeurer là-haut. Cela est bien naturel si notre allégorie est exacte. C'est, en effet, bien naturel, dit-il.

Mais ça, c’est une autre histoire…

(3) Projet de paix perpétuelle, Appendice I

(4) Voir la vidéo ici, à 4’18’’

Monday, May 04, 2009

Citation du 5 mai 2009

De la faculté de prévoir (praevisio).

[…] Vivre au jour le jour (sans prévoir ni se préoccuper) ne fait pas grand honneur à l'entendement humain ; c'est le cas du Caraïbe qui le matin vend son hamac et le soir se désole de ne savoir où dormir pendant la nuit.

Kant – Anthropologie du point de vue pragmatique, § 35


Analyse de Kant dans ce §35 :

1 – « Il y a plus d'intérêt à posséder cette faculté que toute autre, puisqu'elle est la condition de toute pratique possible et des desseins auxquels l'homme applique l'usage de ses forces »

2 « La prévision empirique est l'attente des cas similaires et ne requiert pas une connaissance rationnelle des causes et des effets »

3 – « les hommes, mal au courant des précautions à prendre en chaque saison [du fait des caprices du climat], [sont] obligés d'avoir recours à l'entendement pour être prêts à toutes les éventualités. »

Que reprocher à celui qui, comme le Caraïbe ne prévoit rien du tout et se contente de vivre au jour le jour, comme la cigale de la fable ?

On peut lui reprocher de négliger ce qui sous-tend toute action humaine, à savoir que le temps humain est un aller-retour entre le présent, le futur du projet et le passé de l’expérience vécue.

On peut donc lui reprocher de ne pas tirer parti de ce trésor que constitue l’expérience vécue. Elle est le seul bien que l’âge permette d’atteindre, au point que les anciens, trop vieux pour agir, sont encore utiles aux plus jeunes pour éclairer de leurs souvenirs les situations qu’ils rencontrent pour la première fois.

Et enfin, on peut reprocher au Caraïbe de ne pas faire grand honneur à l'entendement humain. Car la prévision appuyée sur la seule expérience est très insuffisante : Kant prend ici l’exemple de la prévision climatique. L’expérience ne va pas plus loin que le calendrier des paysans qu’on trouvait alors dans les almanachs. Il faut se préparer à bien autre chose qu’à avoir de la neige en décembre et du soleil en juillet. Et ça, c’est l’entendement humain qui nous y prépare, non pas en nous apportant une science que nous n’avons pas, mais en nous incitant à nous préparer à un avenir incertain. On ne peut rien contre les fléaux naturels, mais on peut au moins prévoir ce qu’il faut pour s’en protéger quand les signes de leur imminence seront là. La prévoyance, c’est ça.

Mais aujourd’hui, nous pouvons tranquillement vivre comme les Caraïbes : nos ministres veillent pour nous et stockent le Tamiflu au cas où…

Sunday, May 03, 2009

Citation du 4 mai 2009

La conscience ne vous interdit pas de faire ce que vous ne devriez pas, elle vous empêche de vous en réjouir.

Cleveland Amory


Curieuse citation : on aimerait la réécrire – La conscience même si elle ne peut empêcher qu’on fasse le mal, nous empêche néanmoins qu’on s’en réjouisse.

Admettons. Ça ne résout pas tout.

La conscience – entendons : la conscience morale – n’aurait aucun pouvoir sur ce qui nous détermine à agir ? Elle n’interviendrait qu’après coup, quand vient le temps des remords – ou des regrets.

- Mais alors, qu’est-ce donc alors qui nous empêche de mal faire ? La conscience morale, et les valeurs qu’elle réactive en nous n’aurait donc aucune fonction là dedans ? On serait honnête uniquement par peur du châtiment ? Ou parce qu’il y aurait un plus grand plaisir à faire le bien que le mal ? Ne serait-ce pas plutôt tout simplement l’amour ? Nous n’irions tout de même pas faire du mal à ceux que nous aimons ?

Voilà : il suffit donc d’aimer l’humanité en général, et le mal disparaît. Aimez-vous les uns les autres. Point-barre.

- Si c’est à ça que vous pensez, alors vous avez un besoin urgent de faire un petit tour du côté de la morale kantienne, c’est moi qui vous le dis…

Pour Kant, une action morale est une action qu’on accomplit par devoir et non par plaisir (1) ou par besoin, ou par tout sentiment qu’il soit de pitié, d’amour ou ce que vous voudrez. La conscience morale est la conscience du devoir qui m’est fait de respecter les valeurs de la raison, et rien d’autre.

- Et l’amour ? Qu’est-ce qu’il en fait de l’amour, Kant ? N’aurait-il aucune valeur ?

- Mais si, justement : à condition toutefois que ce soit l’amour pratique, celui qui seul a une valeur en morale et qui est en fait l'autre nom donné au devoir.

- Pratique ? Ça a quoi de « pratique » l’amour ?

- « L’amour comme inclination ne peut se commander ; mais faire le bien précisément par devoir, alors qu’il n’y a pas d’inclination pour nous y pousser, et même qu’une aversion naturelle et invincible s’y oppose, c’est là un amour pratique et non pathologique, qui réside dans la volonté et non dans le penchant de la sensibilité ; or cet amour est le seul qui puisse être commandé. » Kant – Fondements de la métaphysique des mœurs, I


(1) Comme on va le voir dans le texte cité plus bas, ce qui se fait par devoir obéit à un impératif pratique, alors que ce qu’on fait par sentiment résulte d’un penchant pathologique (ce terme n’ayant chez Kant aucune connotation péjorative : il s’agit seulement de ce qui est de l’ordre du pathos, c'est-à-dire de la sensibilité)

Saturday, May 02, 2009

Citation du 3 mai 2009

Il faut mettre de petits hommes dans les petits emplois : ils y travaillent de génie et avec amour-propre ; loin de mépriser leurs fonctions subalternes, ils s'en honorent. Il y en a qui aiment à faire distribuer de la paille, à mettre en prison un soldat qui n'a pas bien mis sa cravate, ou à donner des coups de canne à l'exercice ; ils sont rogues, suffisants, altiers, et tout contents de leur petit poste ; un homme de plus grand mérite se trouverait humilié de ce qui fait leur joie, et négligerait peut-être son devoir.

Vauvenargues – Réflexions et maximes

Bon, il est assez évident que cette citation de Vauvenargues liquide le principe selon le quel qui peut le plus peut le moins. Non : qui peut le moins est le seul à le pouvoir, et on doit lui rendre cet hommage, que cet emploi subalterne ne saurait convenir à un être mieux doté par la nature.

Je me faisais une joie de resservir cette citation pour illustrer le pantouflage, pratique dont on soupçonne certains de nos politiciens au rancart de faire usage pour se remplir les poches sans vraiment se fatiguer (1).

Oui mais voilà que je révise les définitions données sur le Net, qu’elles soient en français ou en anglais : et du coup je constate que le côté « fonction subalterne » disparaît au profit de la valeur « fonction dans une entreprise privée ». Le pantouflage correspondrait à un fonctionnaire qui opterait pour une carrière dans le privé et non dans le service public pour le quel il avait été pourtant formé.

Et puis je me dis : quand même, si on n’avait pas cet aspect enrichissement sans responsabilité, pourquoi irait-on pantoufler ?

Reste que Vauvenargues, sans même y songer nous donne une leçon d’humilité : les fonctions subalternes sont trop importantes pour les confier aux grands et aux puissants. Car de leur accomplissement dépendent beaucoup d’autres choses : il faut que « l’intendance suive » pour que les plans des grands stratèges aboutissent.


(1) Non je ne pense à personne, c’est juste une généralité – hélas !

Friday, May 01, 2009

Citation du 2 mai 2009

C'est la concurrence qui met un prix juste aux marchandises et qui établit les vrais rapports entre elles.

Montesquieu – De l'esprit des lois

En ces temps de crise, la notion de juste prix tend à s’effilocher. On voit en effet un peu partout des soldes, des promotions, des cadeaux, tels qu’on refuserait d’acheter si on n’avait pas un bonus avec.

Et voilà déjà que des esprits chagrins se mettent à surveiller les prix et à nous avertir à grands cris indignés : les distributeurs augmenteraient leurs prix juste avant d’annoncer une baisse, qui leur permet d’appâter le client sans que ça leur coûte un centime…

Le juste prix n’aurait donc pas d’existence ?

Hé bien si, au contraire – voyez la leçon donnée par Montesquieu :

1 – Il existe un juste prix des marchandises.

2 – Ce juste prix est fixé par le marché.

Tous les prix sont donc la conséquence du marché, et lorsque la demande diminue, les prix doivent baisser. Comme pour le baril de pétrole.

Répétons-le : tout ça c’est le juste prix, il existe et il n’y en a pas d’autres.

Et en particulier, pas le prix déterminé par le temps de travail (1).

Et le travailleur dans tout ça ? Lui qui pour vivre n’a que le produit de son travail, et dont les besoins sont fixés par la nature et non par les fantaisies du marché, que va-t-il dire ?

Hé bien il va relire Montesquieu, et comprendre que ce qu’il doit réclamer, c’est la libre concurrence, celle qui va maintenir au plus bas le prix du pain (ou plutôt : du Big-Mac), en même temps que son salaire va diminuer parce qu’il est mis en concurrence avec les marchés asiatiques.

Là, je vous laisse le choix de vivre comme un chinois ou de faire la Révolution. (2)


(1) Complément pour les curieux qui ne connaîtraient pas la modalité de la fixation des prix.

- Selon la théorie du marché, le prix n’est qu’un rapport et non une réalité matérielle. Rapport établi par le marché, il n’est juste que par la libre concurrence.

- Selon la théorie de l’équivalent-travail (voir Marx), le prix est un substitut qui renvoie à la quantité de travail cristallisée dans la marchandise.

(2) Troisième solution : ce sont les chinois, qui ont déjà fait la révolution, qui décident de vivre comme nous.

Thursday, April 30, 2009

Citation du 1er mai 2009

-->… pendant six jours, Dieu lui-même a "travaillé" à la création ; le septième, il s'est reposé et a remis désormais tout entre les mains des hommes. Le travail de l'homme et de la femme est la continuation et l'achèvement de la création de Dieu ; l'accomplissement de sa volonté.
Le travail – Fiche thématique du Secteur Paroissial de Bruay
1er mai, jour de colère et de protestation sociale ? Ou plutôt jour de prière et de remerciement du Seigneur ?
Oui, mes chers lecteurs, j’ai décidé en ce jour ou la Sociale descend dans la rue de donner la parole à ceux qui ont foi en Jésus Christ, ceux qui savent donner du sens à la vie quotidienne.
Donc, voici que le travail nous a été donné par le Seigneur et il nous met sur le même plan que Lui, là où nous pouvons poursuivre Sa tache, et être fier de nous comme nous sommes en admiration devant Sa création.
Alors certes, le Seigneur ne travaille plus depuis le 7ème jour, mais ce n’est pas pour se reposer : ce n’est que pour nous ouvrir la voie du paradis par le travail.
- Doit-on dire que le travail est une malédiction, et que le paradis est justement l’affranchissement de ses contraintes ? Mais non ! Lisez plutôt la fiche thématique :
Et la malédiction après la chute n'a pas pour objet le travail, ni d'ailleurs l'enfantement; les deux sont désormais la victoire douloureuse de la vie sur la mort.
Bref, vous n’aviez rien compris à la Bible, heureusement que les K-To de Bruay sont là.
Le travail est la victoiredouloureuse il est vrai – de la vie sur la mort.
La preuve : les retraités qui ne travaillent plus ne tardent pas à mourir.
[Si vous en connaissez qui vivent très vieux, méfiez-vous : ils doivent travailler au black]

Wednesday, April 29, 2009

Citation du 30 avril 2009

Le "déterministe" nous jure que si l'on savait tout, l'on saurait aussi déduire et prédire la conduite de chacun en toute circonstance, ce qui est assez évident. Le malheur veut que "tout savoir" n'ait aucun sens.

Paul Valéry – Regards sur le monde actuel

Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux.

Laplace - Théorie analytique des probabilités. (1812) (1)


rien ne serait incertain pour elle [l’intelligence omnisciente], l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux.

Selon le déterminisme, le passé, le présent et le futur sont solidaires parce que déterminés par des lois constantes qui gouvernent tout dans l’univers ; ils coexisteront aussi longtemps que les phénomènes, eux-mêmes.

Voilà donc ce qu’on attend de la science : qu’elle nous prédise ce qui va arriver, aussi sûrement qu’on pourrait prédire les mouvements d’un robot dont on aurait maîtrisé totalement la programmation.

C’est ainsi qu’on attend des spécialistes qu’ils nous disent quand et comment la crise va se résoudre, et si il vaut mieux investir dans la pierre maintenant ou dans 6 mois.

Autrement dit, on fait comme si on pouvait tout connaître. Et comme si « tout » était connaissable.

Valéry nous en avertit : « tout savoir » n’a aucun sens. Notre robot de tout à l’heure, admettons qu’il ait deux mouvements précis de possible – et deux seulement. Supposons maintenant que ces mouvements se déclenchent dans des situations bien spécifiques, mais que chacune de ces situations survienne de façon totalement aléatoire : pourrions nous prédire ce que va faire notre robot ? Nous n’essayerions même pas de le deviner, et nous estimerions ridicule de le faire.

On peut proposer d’aller plus loin : si l’avenir est inconnaissable, ce n’est pas parce qu’il est chaotique, c’est parce qu’il n’existe pas. Et ce qui sera, mais qui n’existe pas aujourd’hui, c’est très exactement ce qui dépend de notre liberté.

Et si la crise financière-économique-sociale-politique (ouf!) que nous traversons faisait partie de ces phénomènes dont l’avenir ne peut être prédit, parce qu’il n’existe pas?

Et si cela signifiait que cet avenir dépendait de nous ? Qu’il sera ce que nous en ferons ?

Ce serait intéressant si c’était vrai : parce qu’alors notre liberté étant proportionnelle à l’indétermination de l’avenir, notre responsabilité (issue des actes de notre liberté) serait proportionnelle à notre ignorance.


(1) Voir aussi Post du 5 juin 2007

Tuesday, April 28, 2009

Citation du 29 avril 2009

En général, si vous voulez créer quelque habitude, pratiquez ; si vous voulez ne plus l'avoir, cessez de pratiquer et habituez-vous plutôt à une autre pratique qui remplace la première. […] Il est impossible que les actes correspondants ne fassent pas naître des habitudes et des dispositions, si elles n'existaient pas auparavant ou, sinon, ne les augmentent et ne les renforcent.

Épictète – Entretiens

Ce que vous faites par habitude vous le devenez peu à peu : marathonien si vous courez régulièrement, lubrique si vous succombez au commerce charnel trop souvent.

Pour Epictète, non seulement la plasticité humaine existe, mais encore elle est sous la dépendance de notre volonté. Pour une fois qu’on ne peut reprocher aux stoïciens leur passivité, on ne va pas se priver d’en profiter.

Supposez que vous ayez l’intention de perdre de l’embonpoint. Vous avez un régime fait de carottes râpées et steak de soja. Mais vous fantasmez sur des pots de rillettes et des gâteaux au chocolat ? Dites-vous que ça ne durera pas et que bientôt vous rêverez de potage aux fanes de radis.

Et l’addiction, me direz-vous ? Epictète, il est bien gentil, mais il faut croire que de son temps, l’addiction, ça n’existait pas. Car aujourd’hui oui, ça existe. Et la volonté elle peut faire ses valises : elle ne sert à rien dans ce cas.

J’ai eu en commentaire d’un ancien post sur l’arrêt du tabac un monsieur qui est je crois coach en arrêt de fumer (qu’il me pardonne l’approximation éventuelle de cette formule). Il dit : pour arrêter de fumer, il ne faut pas faire appel à la volonté, mais stimuler un désir opposé. Arrêter de fumer doit faire plaisir (1). Dont acte.

Après tout ce n’est pas si opposé au stoïcisme. Déjà parce que c’est à peu près ce qu’on trouve dans le Traité des passions, et que Descartes n’est pas si loin du stoïcisme. Et puis de toute façon, en disant qu’on ne lutte contre une habitude qu’avec une contr’habitude, on ne sort pas du déterminisme de notre nature : on se contente d’en exploiter les contradictions.

Mais alors, voilà que notre croqueur de chocolat proteste : il n’y a rien en lui qui puisse s’opposer au délice du chocolat ?

Mais, mon ami, dites-vous que ce n’est qu’une habitude, et que comme toutes les habitudes, il ne dépendait que de vous de ne pas la contracter.

Fallait pas commencer.


(1) Ancien fumeur moi-même, j’atteste que je me suis arrêté de fumer au printemps, pour retrouver mon odorat affecté par le tabac et profiter du suave parfum des fleurs. Il est vrai que j’avais aussi le plaisir narcissique de me dire que j’avais été plus fort que la dépendance, ce qui est un peu contradictoire…

Monday, April 27, 2009

Citation du 28 avril 2009

La pratique du zapping procure au téléspectateur l'illusion de la sélection consciente, alors qu'il ne répond souvent qu'à des réflexes immédiats d'ennui passager.

Joël de Rosnay –Les dossiers de l'Audiovisuel

Le zapping, c'est à domicile et à volonté, le pouvoir absolu : régal des petits chefs, joujou des beaufs, revanche pour les humiliés, les sans-grade.

Bernard Pivot – Le Métier de lire

Cher lecteur, j’ai une question à vous poser : à supposer que j’aie supprimé le mot zapping de ces définitions, et que je vous aie demandé « de quoi parle-t-on ici ? », auriez vous retrouvé ce dont il était question ? Mieux – ou pire – auriez vous deviné qu’il s’agissait du même mot ?

Non sans doute : preuve s’il en fallait que le mot zapping est indéfinissable dès qu’on va le considérer comme signe de quelque chose, soit chez le téléspectateur, soit dans la civilisation contemporaine.

Alors, cherchons dans le dictionnaire :

1 - zap - Slang

v. zapped, zap·ping, zaps

v.tr.

1.

a. To destroy or kill with a burst of gunfire, flame, or electric current.

b. To kill or destroy as if by shooting.

c. To strike suddenly and forcefully as if with a projectile or weapon: "His . . . narrative runs marvelously on and on, zapping the reader with often surprising and . . . painful glimpses" Publishers Weekly.

d. To expose to radiation; irradiate: "perfect for those who can't bring themselves to zap food in a microwave" John F. Mariani.

2. To attack (an enemy) with heavy firepower; strafe or bombard.

3. To use a remote control device to switch (channels on a television) or to turn off (a television set).

v.intr.

--> Mon lecteur, je l’entends d’ici :

Hein? Quoi? Z’auriez pas plus simple ?

2 - Zapping

"C'est l'opération consistant à changer fréquemment de chaîne de télévision. Au sens strict, ce changement s'effectue pour éviter les écrans publicitaires. Cependant, on peut distinguer : le flipping, changer de chaîne en cours d'émission, et le switching, changer de chaîne en cours d'émission afin de regarder une émission préalablement choisie."

--> Non mais des fois, vous seriez pas entrain de vous moquer de moi ?

Encore plus simple SVP !

3 - n.m. zapping [zapiŋ] (mot angl., de to zap, zapper)

Pratique du téléspectateur qui change fréquemment de chaîne à l'aide de son boîtier de télécommande. Larousse Pratique. © 2005

--> Oui, mais, là, mon lecteur il est déjà parti.

Sunday, April 26, 2009

Citation du 27 avril 2009

Un escalier se balaie en commençant par le haut.

Proverbe roumain

Ça vous arrive de philosopher en faisant le ménage ? Non ? Jamais ?

Alors permettez-moi de vous suggérer de mieux balayer votre escalier, de prendre tout le temps nécessaire et même plus encore.

Car, dites-vous bien qu’un escalier est un lieu hautement symbolique, au quel se trouvent attachées toutes sortes de significations (1).

Et voici donc ce proverbe, issu sans doute de la sagesse des peuples, qui vous conseille de vous débarrasser des détritus en commençant par le haut. Le sens politique de cette remarque ne peut passer inaperçu, et aucune révolution digne de ce nom n’a oublié cette recommandation.

Rêvons un peu : essayons d’imaginer ce que deviennent nos dignitaires une fois balayés du pouvoir. Sont-ils supprimés, mis à la poubelle comme la poussière de l’escalier ? Ou bien, doit-on se contenter de leur faire descendre l’escalier en s’arrêtant à l’ultime première marche ?

Vous voyez où je veux en venir ? Non ? Alors rappelez vous la révolution culturelle chinoise : quand elle ne massacrait pas les intellectuels, elle les envoyait se rééduquer aux champs où ils devaient repiquer le riz, dans l’eau toute la journée sous la férule inculte d’un paysan-commisaire du parti.

Situation extrême ? Bon, mais pas tant que ça. Voyez nos ministres, voire même nos anciens présidents. Que deviennent-ils quand ils ont descendu les marches du pouvoir qu’ils avaient gravies du temps de leur splendeur ? Y a-t-il pour eux une vie après l’Elysée (2) ?

Moi, je ne crois que ce que je vois. Et je ne vois jamais aucun homme politique prendre vraiment sa retraite. Même sorti manu militari des allées du pouvoir, on le voit intriguer, se contorsionner pour revenir… même par l’escalier de service.


(1) J’aurais pu commencer par Descartes et son escalier de la méthode, qu’on doit monter marche après marche.

(2) Rappelons que dans la mythologie grecque, les champs Elysées sont le lieu où les gens vertueux goûtent le repos après leur mort.

Saturday, April 25, 2009

Citation du 26 avril 2009

…l'ennui est la prolongation dans le spirituel d'un vide immanent de l'être. En comparaison, Langeweile [l'ennui] est seulement une absence d'occupation.

Cioran – De la France [L'Herne, 96 pages] (Lire des extraits ici)

Qu’est-ce que l’ennui ? Ceux qui manquent d’imagination répondront : « c’est avoir du temps en trop ». Ceux dont la lucidité n’est pas émoussée, diront : c’est la prolongation dans le spirituel d'un vide immanent de l'être.

Autrement dit, l’ennui est métaphysique. Après l’angoisse, l’ennui est le sentiment métaphysique par excellence.

Selon Cioran, les français sont ceux qui ont le mieux perçu cette dimension (contrairement aux allemands), et qui en ont le plus clairement tiré la conséquence. Et le 18ème siècle est celui où cet ennui s’est élucidé le plus clairement, dans les salons où on cultive l’art de la conversation, comme celui de madame Du Deffand (1).

Le 18ème siècle nous dit Cioran, « c'est aussi le siècle qui s'est le plus ennuyé, qui a eu trop de temps, qui n'a travaillé que pour passer le temps. »

Alors bien sûr, il y a tous ceux qui disent que l’ennui est un luxe, qu’il n’affecte que les riches dont le temps n’est pas rempli par la quête de ressources pour vivre.

Le pessimisme de Cioran consiste à dire que cela ne change rien, puisqu’avec l’ennui nous nous situons au niveau de l’essence humaine.

Pour ce qui est de l’occupation besogneuse des pauvres, le fait qu’elle soit laborieuse ne change rien à la nature humaine : elle ne fait qu’en masquer la réalité. L’homme qui travaille pour vivre trouve dans cette activité un surplus qui est d’oublier son néant, exactement comme l’aristo qui discute futilement dans un salon doré. Que l’un gagne sa vie pendant que l’autre la dissipe n’est qu’une opposition d’apparence.

La seule différence est au niveau de la vie animale (la zoè de Foucault) qu’il s’agit ou non d’entretenir par son travail. Par contre la vie humaine (le bios pour rester dans la même référence) n’est que l’occasion d’éprouver le néant.

C’est ça le pessimisme.


(1) "Je ne trouve en moi que le néant et il est aussi mauvais de trouver le néant en soi qu'il serait heureux d'être resté dans le néant." Madame Du Deffand, citée par Cioran

Friday, April 24, 2009

Citation du 25 avril 2009

Le bois dont l'homme est fait est si noueux qu'on ne peut y tailler des poutres bien droites.

E. Kant – Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique. 6ème proposition

Nous sommes à la fin du 18ème siècle. Cette remarque désabusée, Kant la fait en songeant aux qualités qu’un chef d’Etat doit posséder pour exercer sa mission correctement : il ne doit pas avoir les défauts dont il doit protéger ceux qui l’ont choisi pour gouverner.

Faut-il y songer aujourd’hui encore avant de choisir nos élus ?

Il y a des degrés dans le pessimisme politique.

- Le premier degré est un simple scepticisme : du genre tous des incapables.

- Le second degré est anarchisant : tous des despotes à abuser de leur pouvoir.

- Le troisième degré est un raffinement par rapport à celui-ci, et c’est ce que Kant nous suggère.

Nous devrions nous demander non pas si nous avons confiance en ceux qui prétendent nous gouverner pour réaliser les promesses qu’ils nous ont faites, mais seulement pour nous demander s’ils ne vont pas commettre eux-mêmes les méfaits qu’ils sont censés pourchasser.

Comme emprisonner arbitrairement, voler dans la caisse, exproprier injustement, favoriser indûment leur famille ou leurs proches, etc.

Car si la nature humaine est incapable de produire ces êtres intègres qu’il faudrait pourtant avoir pour réaliser un gouvernement digne de ce nom, alors il n’y aura jamais de différence notable entre le voleur et le juge. Entre l’escroc et le percepteur. Entre le pécheur et le prêtre.

Bon... Reste que Kant voit dans les progrès inéluctables de l’espèce humaine ou de la civilisation, les conditions nécessaires pour redresser ce bois humain. Et il pense que ces progrès sont à son époque entrain de s’accomplir.

C’est ça l’optimisme.

Thursday, April 23, 2009

Citation du 24 avril 2009

L'égoïsme est cette loi de la perspective du sentiment d'après laquelle les choses les plus proches sont les plus grandes et les plus lourdes alors que toutes celles qui s'éloignent diminuent de taille et de poids.

Nietzsche – Le Gai Savoir

Pourquoi dit-on que l’égoïste est celui qui se regarde le nombril, si ce n’est parce que le nombril est cette partie de lui qui est la plus proche de lui-même ?

Nietzsche dit joliment que l’égoïsme et un loi de la perspective sentimentale qui accorde le plus d’importance à ce qui nous touche de plus près – j’entends quand à moi, ce qui nous ressemble ou nous concerne le plus.

Mais il nous dit encore que ce qui nous paraît le plus proche est en même temps le plus grand et le plus lourd. On devine que l’égoïste est handicapé par cet encombrant fardeaux qu’il constitue pour lui-même, un peu comme les danseurs de Zadig au sortir du corridor de la tentation, ce couloir obscur rempli des bijoux et de pierres précieuses (1).

Comme beaucoup, j’ai tendance à me méfier des évaluations à l’emporte-pièce, de ces clés qui ouvrent toutes les serrures. N’empêche que cette phrase de Nietzsche pourrait bien nous être utile si nous l’entendions comme une précaution à prendre.

Elle pourrait dire ça : méfions nous de ce qui nous parait grand et important dans la vie. Avant de consentir à nous en charger, vérifions si par hasard cette importance ne serait pas seulement une pesanteur stérile, quelque chose qui ne vaudrait que par rapport à cet égoïsme que nous rejetons pourtant.

Plus encore : demandons nous ce que nous allons être obligé de laisser sur le bord de la route pour pouvoir charger cet encombrant fardeau.

(1) Voltaire, Zadig – À lire ici, à écouter là – c’est le chapitre 14

Wednesday, April 22, 2009

Citation du 23 avril 2009

Sachez que le travail ... c'est la liberté..

.... la liberté.... des autres....

Pendant que vous travaillez, ....... vous n'ennuyez personne ......

Erik Satie – Écrits

- Quoi ? Encore une citation sur le travail ? Mais c’est une véritable obsession chez vous !

Vous n’avez qu’à y aller au travail au lieu d’en parler. Et comme ça vous nous ficherez la paix !

- Oui, je comprends votre colère, mais sans doute n’avez-vous pas lu attentivement la citation d’aujourd’hui. C’est que, justement, Erik Satie (au fait vous savez de qui il s’agit ? Non ? Alors lisez ceci… et écoutez cela) désigne le travail comme une activité absorbante, ce qu’on savait, mais surtout qui absorbe les débordements tyranniques – ou du moins toxiques – à l’égard des autres.

Le travail n’est rien d’autre qu’un absorbeur ; entendez que le travail nous débarrasse de quelque chose. Mais reste à savoir ce qu’il absorbe.

- Couramment et au moins depuis Marx, il est considéré comme ce qui absorbe la vie, c’est à dire la force vitale, ou encore plus simplement le temps de la vie.

- D’autres, plus moraux l’ont considéré comme étant ce qui absorbe la pauvreté, le vice, le péché.

- Certains ont insisté sur le fait que par le travail est un absorbeur de solitude : en travaillant nous entrons en relation avec le reste de la société : de ceux qui consomment ce que nous produisons à ceux qui travaillent avec nous.

Au fond, c’est là que se situe la pique de Satie : la solitude est une bonne chose, non pas en soi, mais parce qu’elle nous protège de la bêtise des autres.

Tuesday, April 21, 2009

Citation du 22 avril 2009

Autrefois, le chemineau faisait horreur ; le saltimbanque était méprisé : les sédentaires se jugeaient supérieurs aux errants. Aujourd'hui, l'homme immobile regarde l'homme bolide écraser sa volaille et disparaître dans une poussière de gloire.

François Mauriac – La Province, p.55 (1964)

La vitesse : voilà qui faisait encore rêver en 1964. Il y avait de la gloire à soulever la poussière de la route, quitte à écraser les poules.

Aujourd’hui, 45 ans plus tard, plus de poules sur le bord de la route, plus de poussière soulevée, plus de vitesse pour cause de réchauffement climatique, mais aussi plus de rêve.

Quand le Concorde a été mis au rancart, a-t-on regretté un avion qui volait à mach 2 ? Pas du tout : ce n’était plus alors qu’un bel oiseau.

Où sont donc les petits MG, et les Aston-Martin des années 60 où se pavanaient les play-boys de l’époque ?

1960 !... Années bénies où pour être marginal il suffisait de rouler en Coccinelle (qui planait à 110 Kms heures) ou en Deuche.

Plus de rêve… Ou peut-être, d’autres rêves ?

Qu’est-ce qui fait rêver les jeunes aujourd’hui ? Il ne m’appartient peut-être pas de répondre à cette question, mais j’ai bien le droit de la poser.

La voiture qui fait rêver aujourd’hui a des performances qui se mesurent en grammes de CO2 au kilomètre. Les super-ordis, les baladeurs MP3 qui font des perfs high-tech sont aussi ceux dont le recyclage est garanti, et dont la fabrication n’a pas contribué à détruire la forêt amazonienne.

Ne croyez pas que les quinquas qui courent après ce qui fait Bling-Bling soient dans le coup. Les jeunes, eux, ils savent que la mode, c’est de relier leur Rolex à des capteurs photovoltaïques.

Ça c’est tendance.

Monday, April 20, 2009

Citation du 21 avril 2009


Même ses amants, qui étaient les seuls à avoir le droit de murmurer son prénom, disent, depuis 2002 (allez savoir pourquoi ?!), Miss.Tic. "Il n'y a plus que le fisc et les flics qui connaissent ma véritable identité."

Véronique Cauhapé – Portrait (le Monde du 16 avril 2009

Photo Tina Mérandon pour le Monde

Miss.Tic, même ses amants ne connaissent pas sa « véritable » identité : quoi d’étonnant ? George Sand quand elle écrivait des lettres – et même à des intimes – signait George et non pas Aurore.

Moi qui ne suis ni flic ni percepteur je n’en sais pas plus que vous, mais au fond, quelle importance ? Je veux dire, s’agissant d’un artiste, comment l’identifier – s’il le faut – autrement qu’à son œuvre et rien d’autre. Que Picasso ne se soit pas vraiment appelé ainsi, mais plutôt Ruiz-Picasso, qu’elle importance (à moins qu’on ne pense que la psychanalyse ait quelque chose d’essentiel à dire sur ses tableaux) ?

Allons un peu plus avant dans la question de l’identité.

Croyez-vous vraiment Miss.Tic quand elle dit que ces fonctionnaires sont les seuls à connaître sa véritable identité ? Qu’est-ce donc que l’identité véritable ?

Pour vous, pour moi, c’est ce que mes intimes connaissent – et encore.

Et pour un artiste ? On a déjà répondu : la personnalité de l’artiste, c’est son œuvre, et c’est vrai. C’est vrai, mais c’est insuffisant. Car alors, il faut dire que lui-même, son corps, sa voix, les méandres de son existence – que sais-je encore ? – son aussi son œuvre (1)

Regardez la photo publiée par le journal : croyez-vous qu’un policier saurait en tirer une fiche pour les R.G. ?

Seulement, si on ne peut tirer de cette photo une fiche anthropométrique, il nous reste à y voir un portrait.

Et comme – coup de chance – nous ne sommes pas des policiers, ça nous va tout à fait.


(1) Sans vouloir faire étalage de pédanterie, on rappellera que faire de la vie quotidienne une œuvre d’art, c’était le vœu de Proust.

Sunday, April 19, 2009

Citation du 20 avril 2009

Nul ne peut par l'accumulation de tous les moyens priver l'autre de l'instruction nécessaire pour son bonheur; l'instruction doit-être commune.

Gracchus Babeuf Manifeste des Plébéien (1)

Et voici l’ancêtre du communisme, le fondateur du mouvement des Egaux qui prêche pour une instruction commune.

L’école communale serait donc ainsi appelée non seulement parce qu’elle est celle de la Commune, entité administrative, mais aussi parce qu’elle prodigue l’instruction en commun ?

Sans vouloir revenir sur le système opposé, à savoir le préceptorat, on peut se demander si cette idée de communauté éducative n’en a pas pris un sérieux coup dans l’aile aujourd’hui.

- L’idée de Babeuf apparaît relativement claire : il s’agit d’assurer l’égalité du savoir, que personne ne puisse se l’approprier au détriment des autres, comme le paysan illettré à qui on refuse ainsi l’accès à l’information qui lui permettrait de comprendre sa situation. C’était une revendication politique, mais qu’on retrouve aussi dans le domaine de la vie quotidienne. C’est ainsi que Condorcet exigeait de l’école qu’elle fournisse à chacun cette autonomie, comme par exemple d’être capable de vérifier la note de la blanchisseuse. Et ici même : l’instruction est nécessaire pour le bonheur de l’individu.

L’originalité, c’est que pour parvenir à l’égalité du savoir Babeuf réclame la communauté de l’instruction.

- Qu’en est-il aujourd’hui ? Il semble qu’on ait parfaitement appliqué l’idéal défendu par Babeuf : tronc commun des études de 6 à 16 ans.

Et pourtant il semble aussi qu’une pareille communauté ne soit pas exactement source d’égalité. Soit on veut marcher au pas des plus rapides, et alors on laisse en route les plus lents ; soit on fait l’inverse et on brime l’intelligence des meilleurs. Dans un cas on a inégalité ; dans l’autre injustice. Que la justice et l’égalité entrent en contradiction, voilà qui ferait retourner Babeuf dans sa tombe si jamais il l’apprenait.

Rassurons-nous : on va réconcilier les deux et vite fait encore. Il suffit d’un peu de pédagogie différenciée ici, de quelques heures de tutorat par là, et le tour est joué. A l’égalité du savoir se substitue l’égalité des chances. Et l’égalité des chances passe par la diversité des techniques. L’égalité républicaine ne recule pas ; elle se différencie.

A condition que ça marche.


(1) Sur Babeuf, voir ceci. Sur la Déclaration des droits de l’homme de 1793, qu’il tenta d’imposer, lire ici