Saturday, June 20, 2009

Citation du 21 juin 2009

La raison est la plus grande des prostituées du diable… Par sa nature et ses procédés, elle est une prostituée nuisible, une prostituée mangée par la gale et la lèpre… Il faut lui jeter de la m… à la face afin de la rendre plus laide encore

Luther – Œuvres, édition de Weimar, tome LI, p. 126-129

La raison est la plus grande des prostituées du diable… Ça c’est de la haine ou je ne m’y connais pas : la haine de la raison, ce qu’on appelle depuis Platon la misologie (1).

Pourquoi tant de haine ? L’homme que les anciens définissaient dans leur sagesse comme « animal raisonnable », devrait-il pousser l’autodérision jusqu’à considérer que ce qui le caractérise le met en fait non pas au-dessus mais en dessous des animaux ?

Depuis longtemps, bien longtemps avant Luther, la révélation fut considérée par les Pères de l’Eglise comme le moyen, donné aux hommes par Dieu, de connaître ce que leur raison était impuissante à découvrir, et qui pourtant était nécessaire à leur salut.

Mais bien sûr, il fallait encore que la raison s’incline devant la révélation, qu’elle admette sa faiblesse et son incompétence.

Le domaine d’incompétence de la raison, selon Luther, est le domaine des fins dernières de la création, la valeur absolue pour la quelle le monde et l’homme ont été créés ; et c’est cela précisément que Dieu révèle à l’Homme. La raison ne peut quant à elle atteindre qu’au relatif, c'est-à-dire au comment et non au pourquoi. La misologie est alors l’attitude de l’homme religieux face à la présomption de la raison de parvenir à l’absolu, le dispensant de recourir à la Révélation ; présomption qui détourne l’homme de l’adoration de Dieu, et qui le précipite dans le péché – d’orgueil, mais pas seulement.

Il ne s’agit pas de vieilles histoires qui remontent au déluge. La question des fins dernières et celle du pourquoi des choses est bel et bien au cœur de nos problèmes.

Voyez la nature : nous savons qu’elle existe mais pas pourquoi elle existe. Ignorant le pourquoi, connaissant le comment on peut la mettre à sac sans vergogne : on ne va pas contre une valeur transcendante : puisqu’on ne la connaît pas, on peut faire comme si elle n’existait pas.

C’est ça la raison : la Dame Nature ne lui dit pas merci !


(1) Il ne peut rien arriver de pire à un homme que prendre en haine les raisonnements. Et la misologie vient de la même source que la misanthropie. Platon – Phédon, 89d

- Platon : la misologie est une erreur, une généralisation abusive, qui conclut de l’erreur de certains raisonnement à une incapacité générale de la raison à connaître. C’est alors qu’elle est une illusion identique à la misanthropie qui conclut de la corruption de quelques hommes à celle de l’humanité.

Tiens, la cadeau du dimanche : une référence à Kant. Dont voici un extrait :

En fait nous remarquons que, plus une raison cultivée s’occupe de poursuivre la jouissance de la vie et du bonheur, plus l’homme s’éloigne du vrai contentement. Voilà pour pourquoi, chez beaucoup […], il se produit pourvu qu’ils soient assez sincères pour l’avouer, un certain degré de misologie, c’est à dire de haine de la raison. Kant – Fondements de la métaphysique des mœurs, 1ère section.

- Kant : la misologie est une illusion naturaliste qui consiste à croire que le bon sens spontané est plus efficace que les raisonnements sophistiqués, du moins pour la poursuite du bonheur. La misologie consiste alors à solliciter la connivence entre les opinions.

Friday, June 19, 2009

Citation du 20 juin 2009

Tout créateur sort de la norme. Toute innovation est anormale.

Boris Cyrulnik – L'Ensorcellement du monde

- Dites donc, les Parents, votre gamin, là, il serait pas surdoué par hasard ?

- Lui ? Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? A l’école, on fait comme s’il n’existait pas ; il est toujours seul et il ne joue jamais avec les autres dans la cour de récréation. Et puis en classe, c’est un rêveur qui n’écoute pas ; ou bien, il fait autre chose que ce qu’on lui demande.

Mais qu’est-ce qu’on va pouvoir faire de lui ?

- Rassurez-vous, chers parents : les surdoués ne sont pas seulement ceux qui battent leur père aux échecs à 6 ans ou qui savent jouer Jésus que ma joie demeure à 2 ans et 8 mois (1).

Car, voyez-vous, les plus doués de nos contemporains sont de deux ordres : il y a ceux qui font marcher ce que d’autres ont inventé – ou qui inventent ce qu’on voudrait voir fonctionner. Et puis il y a ceux qui créent ce à quoi on n’avait jamais pensé, des ingénieurs de génie ou des artistes. J’ai toujours été déçu qu’Einstein ait été impliqué dans le projet Manhattan : non pas que ce fut un projet criminel, mais parce que le génial inventeur de la Relativité ne pouvait être aussi le technicien qui applique ses découvertes à une réalisation aussi prosaïque que la Bombe.

Revenons à nos bambins : voyez ce petit garçon. C’est bientôt Noël, et sa grand-mère lui dessine un paysage de neige avec des sapins sur une feuille pendant qu’il la regarde. Le dessin est terminé : il prend une gomme, efface les sapins et redessine par-dessus ceux qu’il préférait imaginer.

C’était pas le mieux pour recevoir de beaux cadeaux à Noël, mais ça permet d’espérer de devenir quelqu’un d’intéressant plus tard…


(1) Le surdoué de l’année il s’appelle Edwin, et son histoire est racontée ici

Thursday, June 18, 2009

Citation du 19 juin 2009

[...] le principal organe de la vision, c'est la pensée. On voit avec nos idées...

Boris Cyrulnik – Dialogue sur la nature humaine (avec E. Morin)

Mise à l’épreuve de l’affirmation de Cyrulnik : regardez cette image (commentée sur ce blog)



Que dit notre blogueur?

- si, si, toutes les lignes sont parallèles!

Que répond Boris ?

- On voit avec nos idées...

Bravo, Boris, bien répondu. Ne changez pas de lunettes, et n’incriminez pas votre écran d’ordinateur. Ce ne sont pas vos yeux qui vous jouent des tours, mais votre cerveau.

Justement que dit Sirine qui commente cette image sur le même blog ?

- je croi a ses illusion mai la quetion se pose pk le servaeu ne nous laisse pas voir l'image comme elle est reillement (Sirine le 04/06/2009) (1)
Ça, c’est la question qui tue. Parce que, si mon cerveau ne se fatiguait pas à rajouter des choses qu’il ne voit pas, ça ne serait pas plus mal…

Hein, Boris, qu’est-ce que vous répondez à ça ?

… Lui, je ne sais pas, mais moi, je dirai que cette erreur est le prix à payer pour la rapidité et le confort habituel de nos perceptions. Nous percevons les choses non pas point par point comme notre scanner qui analyse l’image à copier, mais par ensembles signifiants. Les psychologies de la forme (gestalt-théorie) nous l’ont expliqué il y a bien longtemps : le tout est plus que la somme des parties, et c’est ce tout que nous percevons… Même quand il n’est pas là, nous le voyons quand même par habitude, et parce que cette habitude est la condition de la vision courante.

En toute rigueur, on devrait douter que les maisons dans la rue soient des vraies maisons, plutôt que des façades pour un décor de cinéma. Mais là, nous serions comme ces fous dont nous parle Descartes (2)…

(1) Traduisons : Pourquoi le cerveau ne nous laisse pas voir l’image comme elle est réellement ?

(2) « …ces insensés de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile qu'ils assurent constamment qu'ils sont des rois lorsqu'ils sont très pauvres; qu'ils sont vêtus d'or et de pourpre lorsqu'ils sont tout nus; ou s'imaginent être des cruches ou avoir un corps de verre. Mais quoi ? ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant si je me réglais sur leurs exemples. » (Méditation première)




Wednesday, June 17, 2009

Citation du 18 juin 2009

Au petit matin devant un crème / Nous pourrons parler de notre vie / Laissons au tableau tous nos problèmes / Mais oui Mais oui l'école est finie.

L'école est finie by Sheila (Texte + vidéo)

Petit message de réconfort à tous les candidats du bac – L’école a ça de bien : c’est que ça peut finir. Et que, quand ça finit, c’est les vacances, la plage, les filles (ou les garçons) et tout ça…

Oui, vous qui ouvrez ce message en sortant de l’épreuve de philo, rassurez-vous : tous vos problèmes resteront dans l’école, et lorsque vous en sortirez, ils y resteront, prisonniers du tableau.

Oui, mais me direz-vous tout ça, c’est vieux, très vieux. C’est ringard, très ringard. Les choses ont bien changé depuis l’époque de Sheila…

Par exemple, Notre-Président milite pour que les établissements scolaires restent ouverts pendant les vacances pour que les jeunes continuent d’y trouver les salles pour se réunir, un préau pour faire de la musique, un gymnase pour le sport. Bref : il veut que les établissements scolaires deviennent un lieu de vie. Que les jeunes se l’approprient pour leurs loisirs aussi.

Faire la teuf au bahut ? Vous y croyez vous ?

Pour me renseigner j’ai bien cherché sur le Net, et j’ai trouvé ça.

Alors, oui, les jeunes américains commencent en faisant la fête dans leur highscool. Mais comme vous le constatez ça dégénère vite.

Là aussi, l’école est finie.

Tuesday, June 16, 2009

Citation du 17 juin 2009

Votre souhait n’est-il pas de vous fondre le plus possible l’un avec l’autre en un même être, de façon de ne vous quitter l’un l’autre ni le jour ni la nuit ?

Platon – Le banquet (192d)

Fusion – Confusion

Miss.Tic




Nous ne reviendrons pas sur le platonisme missticien, par contre nous souhai-terions discuter la conjonction entre la fusion et la confusion.

Que l’amour soit fusionnel, qui en douterait ? Et même le soin pris par Platon d’attribuer à Héphaïstos, le Dieu forgeron, la proposition d’unir les amants par fusion (et non soudure, notez-le) donne à cette union le caractère d’une révélation.

Oui, mais cette fusion est-elle confusionnelle ?

1 - Et d’abord, quand cette fusion s’opère-t-elle ?

Héphaïstos nous donne une indication : il s’agit de l’amour fusionnel, c'est-à-dire d’un stade du sentiment amoureux.

Mais bien sûr, le pochoir de Miss.Tic donne à penser autre chose…

Vous l’avez compris : la fusion amoureuse est avant tout orgasmique.

Pour nous en convaincre (à supposer qu’il y ait des incrédules ???), il n’est que de lire le livre de Michel Koch, Piété pour la chair (1) : « L’effusion inaugure la fusion, l’institue. L’explosion de l’orgasme s’épanouit en éblouissement, efface les limites »

Donc, fusion = confusion par effacement des limites ?

Pas si vite ! L’auteur poursuit : « Fulgurant, radieux, éphémère, cet effacement singulier ne conduit pas les êtres à la perte irréversible de leur singularité mais, dans les limites de sa localisation temporelle, il consomme la fusion. »

Pour lui, ce n’est pas la fusion qui est confuse, mais la notion.

2 - Car : qu’est-ce que la fusion fusionne ?

Notre auteur nous en avertit : il convient de ne pas confondre la fusion des amants et la fusion des gamètes – qui peut s’opérer en même temps.

J’ai comme le sentiment que la fusion missticienne n’est pas la fusion des gamètes…


(1) Si vous cherchez une lecture torride pour l’été, je vous recommande cet ouvrage. Il est édité par lignes. On se réfère ici au passage intitulé justement Fusion, p. 296-299. Même en ne lisant que les citations rapportées ici, on aura compris que l’auteur est un disciple de Bataille.

Monday, June 15, 2009

Citation du 16 juin 2009

Si on n'annonce pas de désastre, personne n'écoutera

Sir John Houghton, premier président du GIEC (et 95 citations sur le réchauffement climatique)

Aussitôt après la tribulation de ces jours-là, le soleil s'obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées.

Et alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l'homme ; et alors toutes les races de la terre se frapperont la poitrine ; et l'on verra le Fils de l'homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire.

Evangile de Matthieu 24,29-30

Alors voilà : après avoir fait crever les pandas, on fait crever les ours blancs. Quant à l’ours brun des Pyrénées, je vous en parle même pas. Et les baleines à bosse ? ET…

Séquence aveu : oui, je l’avoue, les prophéties de Yann Arthus Bertrand (1) me cassent les pieds, avec sa façon de nous dire : De toutes façon, c’est trop tard pour sauver la planète, mais faites quand même quelque chose – Vite !

L’évangile de Matthieu éclaire notre lanterne : pour annoncer le Messie, il faut d’abord créer le chaos. La catastrophe doit être là pour que l’attente du Sauveur soit à son comble.

Voyez les campagnes électorales, voyez comme les alarmes pleuvent de tous cotés : la France court à sa perte, seul le candidat Machin-Truc-Muche peut redresser la situation…

Il y a en effet quelque chose de salvateur dans les discours des cassandres de l’écologie (et je ne mets pas dans le lot notre cher Dany – Da-ny ! Da-ny !) : c’est qu’ils nous permettent de fixer quelque part nos fantasmes de culpabilité. On est toujours coupable, vous savez :

- coupables d’avoir déçus nos maman-papa

- coupables d’avoir fait mourir le petit Jésus par nos péchés

- coupables d’avoir oublié de refermer le robinet pendant qu’on se lavait les dents.

- coupable – vous surtout ! – d’avoir laissé tourner le moteur de votre 4x4 plus d’un quart d’heure, juste sous ma fenêtre.

Va falloir que ça change…


(1) Cliquez ici pour voir le film

Sunday, June 14, 2009

Citation du 15 juin 2009

Je ne crois pas qu'une grande chose puisse être faite sans une certaine forme d'intuition. On ne construit pas une maison en entassant des pierres au hasard. De même on ne construit pas une théorie scientifique par une succession d'opérations logiques élémentaires choisies au hasard. Il faut bien qu'il y ait une idée directrice, un plan initial.

Paul Lévy - Quelques aspects de la pensée d'un mathématicien

Parler du rôle de l’intuition dans la découverte scientifique…voilà un sujet bien austère mais qui doit vous rappeler quelque chose…

Réfléchissez bien ?

Et ça ? Ça ne vous dit rien ?

Mais, oui, bien sûr : le pommier ! Newton !

Si Newton n’avait pas eu un pommier sous les yeux – à ce qu’on dit, au bout de son jardin – il n’eut pas su trouver la théorie de la gravitation (1)

Bon, soyons un peu sérieux.

Et être sérieux en l’occurrence, c’est prendre au sérieux cette anecdote comme étant un peu plus qu’une anecdote.

Supposons qu’en effet la chute d’une pomme soit une observation suffisante pour déclencher le processus de réflexion décrit fort plaisamment ici.

Faut-il pour autant considérer que notre auteur (Paul Lévy) ait raison en disant que cette intuition est utile – voire même nécessaire – pour comprendre la théorie achevée ? Ça se saurait.

Et s’il s’agit de dire que Newton avait déjà à l’état d’éléments disparates ce qui va constituer sa théorie de la gravitation, et que leur mise en ordre vient d’une observation de la nature, alors il faudra m’expliquer pourquoi en recevant la pomme sur la tête il se demande pourquoi ce n’est pas la lune qui lui est tombée dessus…

On se rappelle peut-être que définissant le génie, Kant disait que l’artiste seul avait du génie parce qu’on était incapable de reproduire son œuvre, quand bien même on aurait tous les éléments qui lui ont servi. Et qu’en revanche, le scientifique, fut-il aussi important que Newton ne pourrait être un génie parce qu’on est capable de refaire le cheminement de sa théorie dès lors qu’il l’a publiée.

En réalité, il faudrait diviser le jugement de Kant : certes la théorie de la gravitation achevée peut être comprise et recalculée par quiconque s’y applique. Mais par contre le processus de l’invention, celui qui consiste à passer des phénomènes terrestres – la chute de la pomme – à ceux qui opèrent dans l’espace – l’orbe de la lune – relève du génie, puisqu’on peut tant qu’on veut se farcir des coups sur la tête, ce n’est pas pour autant qu’on va inventer quelque chose de nouveau.


(1) Voici le récit dans Wikipedia.

« Voici un témoignage venu bien plus tard, en 1752, de son ami William Stukeley citant une rencontre d'avril 1726 avec Newton: "Après souper, le temps clément nous incita à prendre le thé au jardin, à l'ombre de quelques pommiers. Entre autres sujets de conversation, il me dit qu'il se trouvait dans une situation analogue lorsque lui était venue l'idée de la gravitation. Celle-ci avait été suggérée par la chute d'une pomme un jour que, d'une humeur contemplative, il étais assis dans son jardin." »

Et plus sérieusement ici

Et Gotlieb ? Ici.

Saturday, June 13, 2009

Citation du 14 juin 2009

Une guerre est juste quand elle est nécessaire.

Machiavel

Le bac de philo pointe son nez à l’horizon, et je n’ai même pas trouvé de revue donnant les sujets qui vont tomber : faut-il que la philosophie ait cessé d’intéresser les jeunes…

Je vous propose tout de même pour vous préparer à l’examen, un des poncifs de la philosophie-au-bac, un des sujets de dissert archi convenu en philosophie morale et politique :

- Y a-t-il des guerres justes ?

Il pourrait bien tomber celui-là ? Vous croyez pas ?

…. Bof….

Je vois que ça ne vous passionne pas plus que ça.

Alors, tient, tant qu’on y est, je vous propose le sujet tel qu’on pourrait l’imaginer si – invraisemblable ! – on en venait à réformer l’épreuve de philosophie du bac !

- Vous répondrez en 750 mots à la question « Y a-t-il des guerres justes ? » en vous appuyant sur le jugement de Machiavel : «Une guerre est juste quand elle est nécessaire. »

Voilà, je vous souhaite bon courage et je ramasse les copies dans 2 heures.

Friday, June 12, 2009

Citation du 13 juin 2009

Pour prévoir l'avenir, il faut connaître le passé, car les événements de ce monde ont en tout temps des liens aux temps qui les ont précédés. Créés par les hommes animés des mêmes passions, ces événements doivent nécessairement avoir les mêmes résultats.

Machiavel

Encore Machiavel, mais cette fois pour montrer comment les idées évoluent.

On a récemment évoqué le maillon manquant dans l’évolution des primates entre les singes et les lémuriens. Hé bien ici on a un texte qui est le maillon manquant entre la conception anhistorique de la destinée des hommes et la conception historique de l’évolution des sociétés humaines.

Et voici comment :

- Que les évènements qui surviennent soient issus du passé et non pas fondés par l’action des grands ancêtres tels que décrits pas les mythes, voilà à coup sûr une idée moderne, bien dans une conception humaniste.

- Mais que l’histoire ne soit qu’un répertoire d’exemples répétables d’actes illustres et de leurs conséquences inéluctables, voilà qui contredit cette modernité en nous renvoyant à une lointaine mythologie.

Car les historiens sont les premiers à dire que le passé ne se répète pas, et que tel évènement qui revient cycliquement produira à chaque nouvelle occurrence des effets différents, parce que situé dans un contexte lui-même différent. La crise de subsistance de 1788 est une crise appartenant au cycle des crises d’ancien régime. Oui mais, alors que d’autres crises semblables n’avaient engendré que quelques jacqueries, celle-ci fut l’un des détonateurs de la révolution de 89.

Pourtant nous sommes bien tentés de faire la même réflexion que Machiavel : notre crise n’est elle pas une réplique de la crise de 29 ? On a cru tellement à sa réitération possible que nos gouvernants se sont précipités pour renflouer le système bancaire afin d’éviter le krach qui eut lieu à cette époque.

C’est sûr que, si l’on doit donner raison à Machiavel, c’est bien dans le domaine des sciences humaines là où la prévision est possible. Et l’économie entre évidemment dans ce cadre. Mais ça s’arrête là : dès qu’on entre dans le contexte social ou politique, les conséquences des évènements économiques cessent d’être prévisibles.

Et tant mieux.

Car ça veut dire que l’avenir nous appartient.

Thursday, June 11, 2009

Citation du 12 juin 2009

Gouverner, c'est faire croire.

Machiavel

Merveille des citations… (1) Tout dire en quatre mots, être capable depuis ce lointain 15ème siècle de prédire la société du spectacle, le bling-bling, les discours au 20 heures et les descentes tonitruantes dans les quartiers avec 20 caméras et une forêt de micros…

Gouverner, c'est faire croire. Oui, mais faire croire à quoi ?

Question naïve, que nous devrions rougir d’avoir posée : sa réponse est en effet la suivante : croire à tout ce à quoi nous croyons quand nous apportons notre assentiment à un homme politique.

Et bien sûr, ce n’est pas forcément nocif : la sage décision, la prudente gouvernance, la réforme hardie mais indispensable doit s’accompagner de l’assentiment du peuple et pour cela il vaut mieux lui faire croire que c’est pour son bien plutôt que d’employer la force.

Mais on pourrait aussi dire que si l’on fait le bien du peuple, on ne voit pas pourquoi il faudrait de la rhétorique et du spectacle. Augmentez le SMIC et les retraites, assurez la véritable gratuité des soins, la pérennité du service public, et je vous garantis que les discours et l’argumentation seront tout à fait superflus.

Ce que pense Machiavel, c’est que cet idéal de gouvernance ne tient pas, parce que les hommes sont insatiables – ils n’auront jamais assez – et que les gouvernants le sont aussi à leur manière – ils veulent avec avidité toujours plus de pouvoir et pour plus longtemps. En sorte que le conflit entre gouvernant et gouverné rebondit en permanence, et que l’art politique est en effet un art du semblant, parce que dans l’imagination, tout et permis, même l’avenir radieux.


(1) En vérité je ne suis pas tout à fait sûr que Machiavel ait réellement dit ça: le Net colporte cette phrase en la lui attribuant, mais ça ressemble plutôt à un résumé de sa doctrine qu'à un extrait véritable. Là encore, si quelque a la référence je suis preneur.

Wednesday, June 10, 2009

Citation du 11 juin 2009

Le bonheur n'est pas de chercher le bonheur, mais d'éviter l'ennui. C'est faisable avec de l'entêtement.

Gustave Flaubert - Lettre à Louise Colet - 31 Août 1846 (1)

Voilà encore une leçon de pessimisme comme nous les affectionnons à La Citation du jour : le bonheur n’existe pas, seul existe un moindre malheur.

Et encore un des poncifs de la même Citation du jour : l’ennui doit être pris au sérieux – ici : parce qu’il fait obstacle à un certain confort de vie.

Reste la question : comment éviter l’ennui ?

Si, comme nous l’avons déjà expliqué, l’ennui est un sentiment métaphysique, éprouvé dans le face à face avec soi-même, alors tout ce qui nous détourne de nous-mêmes est de ce point de vue profitable.

On peut consulter Kant là-dessus : L’homme doit être occupé de telle manière qu’il soit rempli par le but qu’il a devant les yeux, si bien qu’il ne se sente plus lui-même et que le meilleur repos soit pour lui celui qui suit le travail.

Travaillez : si ce n’est pas pour gagner plus ce sera pour vous ennuyer moins. D’ailleurs la prison n’est-elle pas une punition, non seulement parce qu’on est privé de liberté, mais encore condamné à l’inaction ?

Le seul souci, c’est qu’on est en plein dans le divertissement que condamnait Pascal : c’est là où le bât blesse. Le travail si vertueux aurait malgré tout un côté vicieux ?

Il est vrai que les moines – du moins certains d’entre eux – ne travaillaient pas et que la prière était leur seule activité.


(1) J’ai relu la lettre de Flaubert, et je n’y ai pas trouvé trace de cette phrase, pourtant répertoriée dans de nombreux sites sous cette date. Quelqu’un aurait-il la référence exacte ?

Tuesday, June 09, 2009

Citation du 10 juin 2009

Sur les flots, sur les grands chemins, nous poursuivons le bonheur. Mais il est ici, le bonheur.

Horace - Epîtres

Matisse – Le bonheur de vivre (Fondation Barnes – Philadelphie)

Il est ici, le bonheur nous dit Horace : il aurait pu dire en même temps où il était quand il a écrit ça ; ça nous aurait rendu service.

Heureusement, on a Matisse :

- De la musique, de la danse, de l’amour… et des femmes !

Et puis, vivre nus. Le vrai bonheur pour Matisse, exclut le vêtement, même si certains pisse-froid considèrent la nudité comme signe de bestialité (1).

Je laisse à chacun le soin de faire son petit marché du bonheur là-dedans : je prends ça, je laisse ça, etc..

Je remarquerai qu’il n’y a pas une silhouette de ces gens heureux qui semble travailler : par de gai forgeron qui fasse tinter son marteau sur l’enclume, par un maçon qui maçonne en chantant, pas un laboureur qui fasse vibrer l’air de ses appels pour stimuler l’attelage.

- Si nous étions Matisse, quel tableau ferions-nous aujourd’hui ?

Un terrain de camping (naturiste évidemment) ? Une plage vue d’un peu plus près que dans le tableau avec ses parasols et les fesses bronzées fumant sous le soleil ? Une belle décapotable ? Une terrasse de café à l’heure du pastis ?

Mais non. Aujourd’hui, Matisse n’aurait plus besoin de nous expliquer ce que c’est que le vrai bonheur : les pubs Loto sont là pour ça.

Voyez ici – Et si ça ne suffit pas, ici aussi.


(1) La nudité, c'est pire qu'indécent, c'est bestial ! Le vêtement, c'est l'âme humaine.

Michel Tournier – Le fétichiste (Le Coq de bruyère). Voir commentaire

Monday, June 08, 2009

Citation du 9 juin 2009

La bêtise ne franchit jamais les frontières ; là où elle met le pied, se trouve son territoire.

Jaroslaw Iwaszkiewicz – l’été à Nohant (Théâtre)

Qu’on jette un coup d’œil sur l’enquête menée par la Citation du jour sur la bêtise, et on sera vite persuadé qu’elle est perçue comme un vaste territoire, qui s’étend à perte de vue depuis la frontière qui nous sépare d’elle jusqu’aux confins de l’horizon.

Car, vue de la non-bêtise, la frontière existe bien. La non-bêtise réside dans la conscience que la bêtise est d’un autre monde. Mais alors, qu’est-ce qui distingue la bêtise de la non-bêtise ? Ne s’agit-il pas simplement de la perception d’une frontière justement, à savoir que ceux qui sont bêtes sont simplement ceux qui sont de l’autre côté de la frontière (les Belges pour les Français, les Français pour les Anglais, etc.). Moyennant quoi, ce sont toujours les autres qui sont bêtes et jamais soi-même ?

Notre citation nous apporte quand même une idée de plus : là où la bêtise met le pied, se trouve son territoire. La bêtise ne tremble jamais ; elle est toujours sûre de son bon droit (1) ; elle exige même que vous soyez en accord avec elle, parce que, – Z’êtes d’accord avec moi, n’est-ce pas, M’sieur, c’est bien sûr

Elle est toujours chez elle.

La frontière qui nous sépare de la bêtise n’est donc pas celle de l’opinion qui consisterait à dire : les gens sensés pensent comme moi, les autres sont des crétins.

Cette frontière est celle de l’autocritique, de la vérification, de la confrontation cherchant à valider notre point de vue. C’est donc le retrait et l’examen qui permettent d’éviter la bêtise.

--> Les non-bêtes sont donc des gens qui se demandent si par hasard il ne viendraient pas de dire une bêtise.


(1) J’aurais pu citer cette réplique attribuée à Michel Audiard : « Les cons, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît. »

Sunday, June 07, 2009

Citation du 8 juin 2009

Les feuilles / Qu'on foule / Un train / Qui roule / La vie / S'écoule.

Guillaume Apollinaire – Automne malade

Savez-vous pourquoi je ne suis pas devenu prof de littérature ?

Parce qu’il fallait expliquer les poèmes comme celui-ci.

Faites donc l’expérience : recherchez ce poème dans Google et regardez le résultat : vous allez avoir une floppée de commentaires, les uns développés, les autres sous forme de fiches ou de tableaux.

Non seulement l’émotion se sera bien sûr envolée, mais encore vous allez vous demander si, de commentaire en commentaire, on parle bien du même poème…

Et puis, il faudrait aussi expliquer les « nixes nicettes aux cheveux verts» de la deuxième strophe, qui donnent lieu à des commentaires plus savants les uns que les autres (1).

Comme s’il ne fallait pas en rester à la musicalité de ces mots…

Pas convaincu ? Bon. Prenez donc les six derniers vers donnés ici en citation.

Moi, j’entends le bruit du train qui roule dans ces vers syncopés de 2 syllabes chacun. Et vous ? Vous entendez plutôt un tic-tac d’horloge, le rythme obsédant du temps qui passe ?

Mais, si ça se trouve vous entendez non pas 6 vers, mais 3 (Les feuilles qu'on foule / Un train qui roule / La vie s'écoule.), et vous allez avoir quelque chose de plus tragique dans l’esprit. Et du coup vous allez ressentir ça comme un haïku à la française (2).

Qui a raison ? Personne ? Tout le monde ?


(1) Moi, j’ai trouvé ça :

- Les "nixes", sont les nymphes des eaux de la mythologie germanique et scandinave, dont la plus célèbre est sans doute la Lorelei.

- Nicette est le féminin de nicet, dérivé de l'adjectif nice.

Nice avait deux sens : niais, pas dégourdi, comme Perceval le Nice, le naïf, mais aussi joli, mignon.

La nixe est nicette au second sens, et l'adjectif est déjà employé par Ronsard

(2) Et non plus comme un « alexandrin vertical », formule aussi pédante que creuse trouvée au hasard des commentaires.

Saturday, June 06, 2009

Citation du 7 juin 2009


Le diable se cache dans les détails.

Vieil adage

Aujourd’hui, pas de commentaire, des travaux pratiques :

J’avais il y a plus d’un an consacré un Post au tableau de Fragonard intitulé le verrou, en suivant une œuvre de Miss.Tic.

Je ne m’étais alors intéressé qu’à la partie droite du tableau là justement où se trouve le fameux verrou.

Mais une exposition qui a lieu en ce moment à Paris (1) nous invite à réévaluer un certain nombre de chef-d’œuvres, moins connus qu’on ne le croyait : il s’agit débusquer des images qui sont cachées en eux. Et non pas qu’elles soient comme un rébus à déchiffrer, comme les tableaux si célèbres de Arcimboldo.

Il peut s’agir en fait de détails qui restent anodins tant qu’ils sont vus dans le contexte d’ensemble de l’image, mais qui prennent une toute autre dimension s’ils sont réévalués séparément.

Regardez cette reproduction du tableau de Fragonard (cliquez sur l’image pour mieux en voir les détails):

Et voyez maintenant cette analyse découverte dans le passionnant ouvrage de D. Arasse :

« Déplacés loin de la tête du lit, les oreillers se dessinent peu à peu pour faire surgir le profil d’une poitrine féminine qui s’enfoncerait dans l’ouverture rougeoyante de la draperie du fond et, en s’entrouvrant, les plis de cette dernière font deviner une secrète intimité, augurer la figure d’une sexe féminin. Au premier plan du lit, rendu visible par le rejet de la couverture, l’angle satiné du drap évoque une cuisse et un genou habillés du même tissu que le jupon de la jeune fille… » D. Arasse – Le détail, pour une histoire rapprochée de la peinture. 376


(1) Images cachées Galeries nationales – Champs-Elysées75008 Paris

Friday, June 05, 2009

Citation du 6 juin 2009

Cette apparence de verisimilitude qui les faict prendre plustost à gauche qu’à droicte, augmentez la ; cette once de verisimilitude, qui incline la balance, multipliez la de cent, de mille onces ; il en adviendra en fin, que la balance prendra party tout à faict, et arrestera un chois et une vérité entière.

Montaigne, Essais 2, 12 – Apologie de Raymond Sebond

Hier, j’ai utilisé le concept de verisimilitude sans prendre garde qu’il était peut-être inconnu de mes lecteurs. Ils ont pu croire qu’il s’agissait-là d’un mot barbare, étranger, importé de l’anglo-saxon par snobisme – du franglais comme on aimait dire du temps d’Etiemble.

Hé bien pas du tout : voyez ce texte de Montaigne.

Scepticisme. S’agit-il toujours de gens hésitant ou refusant de prendre parti dans toutes les circonstances de la vie ? Ou au contraire des gens qui agissent contre le bon sens en disant que celui-ci n’est pas plus vrai que le parti inverse, un peu comme on le raconte de Pyrrhon, qui était près à se jeter dans un précipice en disant qu’après tout il n’est pas sûr qu’il existe ?

Hé bien, non. Le sceptique est celui qui distingue entre la vérité et le parti à prendre dans la vie. Le fait que la balance penche d’un côté plutôt que de l’autre ne change rien à l’exactitude de la pesée, mais simplement que la balance est plus ou moins sensible.

Entre l’homme qui hésite perpétuellement à agir et celui qui s’engage il n’y a pas forcément une différence de savoir. Peut-être même que celui qui fonce est plus ignorant que l’autre.

L’oscillation de l’incertitude indique simplement que nous ne sommes pas capable de décision, mais non pas que la circonstance soit spécialement douteuse.

Allons plus loin : ce que suggère Montaigne, c’est que la vérité dépend non de la réalité des choses mais de la décision de la désigner comme telle.

Modernisons l’exemple de Pyrrhon risquant la chute dans le précipice : vous avez des gens qui montent dans un avion en disant qu’après tout il n’est pas certain qu’il va exploser en vol.

Reste que selon Montaigne, la sagesse eut consisté à rester sur le tarmac (1)


(1) Montaigne conclut en effet le passage cité ainsi : « Et la plus sure assiette de nostre entendement, et la plus heureuse, ce seroit celle-là, où il se maintiendroit rassis, droit, inflexible, sans bransle et sans agitation. »

Thursday, June 04, 2009

Citation du 5 juin 2009

To win, the “yes” needs the “no” – to win, against the “no”.

Jean-Pierre Raffarin – (Au sujet du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen)

Cette citation, l’une des plus célèbre sans doute de Jean-Pierre Raffarin est souvent incompréhensible faute d’une ponctuation correcte. Mais à l’écoute, et on peut le vérifier sur cette petite vidéo, il n’y a pas de doute : le oui et le non doivent s’affronter pour que le oui puisse l’emporter sur le non. Pas de vérité sans preuve – et la meilleure preuve est la réfutation de l’opinion opposée.

- Permettez au Poppérien que je suis de protester. Cette méthode permet de montrer que la thèse examinée est provisoirement vraie, tant qu’on n’aura pas trouvé une réfutation plus décisive. On ne possède pas la vérité, mais seulement la vérisimilitude.

Mais après tout qu’importe ? Popper parlait de science et notre Jean-Pierre parle politique : ce qui compte c’est simplement que sa thèse l’emporte sur la thèse adverse, et pour cela, qu’elle paraisse vraie est largement suffisant.

On est dans l’art de la conviction et non dans celui de la science.

Les philosophes connaissent bien cette alternative : depuis Platon elle permet d’opposer une certaine forme de pouvoir politique, celui des sophistes, au pouvoir de la science mûrement démontrée, celle du philosophe – celle de Socrate.

Imaginons : nous sommes sur l’Agora, Socrate est assis sur une marche. Vient à passer Jean-Pierre Raffarin.

- Socrate : Où vas-tu si pressé mon bon Jean-Pierre ?

- J-P Raffarin : Socrate, sache puisque tu le demandes, que je vais à l’Assemblée persuader les citoyens de conclure une alliance avec Corinthe.

- Socr : Pourquoi donc Corinthe ? Les corinthiens sont-ils plus vertueux que nous ? Vont-ils nous apprendre à devenir meilleurs que nous ne le sommes ?

- J-P Raf. : Quel enfant tu fais Socrate ! Ignores-tu que nous sommes en conflit avec Sparte, et que les Corinthiens possèdent beaucoup de trirèmes pour lutter contre nos ennemis ?

- Socr. : Par le chien ! Je savais bien tout cela, mais mon bon, je croyais que les élus du peuple étaient ceux qui possédaient l’art de rendre les hommes plus vertueux.

- J-P Raf. : Tu n’y es pas du tout Socrate. Notre art est celui de remporter la victoire dans le combat. Et ce qu’il nous faut aujourd’hui, c’est vaincre les spartiates.

- Socr : Et pour ça tu comptes sur les Corinthiens ? Et si ces gens étaient corrompus jusqu’à la moelle ? Et si ils étaient des ennemis de la démocratie ?

- J-P Raf.: To win against the Spartiates, strength is better than truth and equity.

Wednesday, June 03, 2009

Citation du 4 juin 2009

Parmi les choses répandues au hasard, le plus beau : le cosmos. L'harmonie invisible plus belle que la visible. Nature aime se cacher.

Héraclite

Héraclite, le philosophe obscur comme on aimait à le nommer dès l’antiquité est pour nous, collecteurs de citations un exemple à méditer. Car son œuvre intégralement perdue ne nous est connue que par les citations qu’en ont faites ses contemporains. Ce qui explique sans doute l’obscurité de ses pensées. Que resterait-il de nos auteurs si nos citations seules devaient servir à les connaître un jour – je veux dire : si on devait reconstituer leur pensée en mettant bout à bout ces fragments ? Voilà une responsabilité dont nous n’avons que faire, et après tout c’est aussi bien (1).

Pour comprendre le paradoxe de cette citation, il faut se rappeler que le mot grec « cosmos » a signifié l’ordre, l’ordonné, avant de désigner le ciel visible.

Le cosmos œuvre du hasard ? L’harmonie du ciel, invisible et cachée ? Comment comprendre cela ?

Et s’il est vrai que les étoiles se meuvent de façon ordonnée, il ne faut pas oublier que les astres, terme signifiant d’abord ce qui est errant, ne paraissaient pas dans leur déplacement obéir à un ordre quelconque. Le mouvement de la lune si proche de nous, ne peut être prévu qu’à grand coup d’équations mathématiques, au point que les musulmans faisaient et font encore appel à des astrologues pour ordonner le début du ramadan.

Mais surtout, les constellations n’existent que parce que notre imagination a voulu y voir des formes familières, comme on devine des visages ou des paysages dans les nuages. D’ailleurs la plupart de ces formes du ciel n’ont même plus de sens aujourd’hui, étant issues de mythes ou de légendes familières dans l’antiquité seulement.


(1) Dans le même ordre d’idées, supposez qu’on ne retrouve de J-P Raffarin que les raffarinades ? J’y reviens demain.

Concours : les résultats

D'abord continuer, ensuite commencer.

William James

Les commentaires reçus :


1

"D'abord" et "ensuite" sont les temporisateurs; je gère mes priorités "d'abord" ceci "ensuite" celà...question de pure logique...sans choix...comme une évidence..."D'abord continuer" comme le dit la chanson on a pas assez d'essence pour faire la route dans l'autre sens..."ensuite commencer" comme le dit le proverbe "mille pas commence par un seul"...et c'est le serpent qui se mord la queue...ou l'éternelle question de qui est apparu en premier la poule ou l'oeuf..."d'abord je continue" oui mais il y a bien fallu que je commence...d'abord...donc cette proposition est plus (à mon sens) une proposition de temporisation des actions qu'une proposition de vérité absolue...

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2
Dans cette citation, la logique semble inversée. Toute action doit être commencée pour pouvoir être continuée. Pourtant non, pour William James, il faut d'abord continuer. Continuer quoi? Et commencer quoi? Cela ne semble pas avoir d'importance. Continuons donc...
Alors dans quel sens l'auteur utilise-t-il le verbe "continuer"? Dans ce contexte, le plus naturel me semble continuer sa vie. Il faut se pousser à continuer de vivre pour pouvoir avoir des projets, quels qu'ils soient. En extrapolant, continuer serait donc se pousser soi-même à poursuivre ses actions pour pouvoir en commencer d'autres.
Pourtant, depuis toujours, nous sommes en activité. A la naissance nous crions, pleurons, grandissons etc... Toute action est la conséquence logique d'une action précédente ou d'un désir initié par nos actions ou celles de notre entourage. En résumé, toute vie est une série d'actions (ou d'inactions mais c'est égal).
Et d'ailleurs, c'est peut-être cela que l'auteur cherche à souligner : le cycle de la vie. Où commence-t-il et où termine-t-il? Pourquoi dirions-nous que l'on commence une action avant de la continuer? Nous continuons bien quelque chose en permanence. L'éternel paradoxe de l'oeuf et de la poule.

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--> J’ai tardé à publier les commentaires reçus et j’en suis désolé.

Je ne vais pas commenter ces commentaires, j’observe qu’ils portent la trace d’une réflexion et comme tels ils nous intéressent.

Quelques remarques :

- D’abord, tout effet suit sa cause, et il nous est impossible de penser une cause (un commencement) qui suivrait ses effets (continuation). Seuls les physiciens peuvent faire des calculs où le rebond peut précéder le bond.

Mais comme il y a plusieurs types de causes, on peut en trouver un parmi qui pourrait suivre son effet.

- Telle est bien la cause finale, qui indique pourquoi on fait telle chose (comme dit Aristote, le désir de toucher le loyer est la cause finale qui explique la construction de la maison).

Donc, on pourrait dire qu’on fait d’abord quelque chose sans savoir pourquoi, et que ce n’est qu’après l’avoir terminé, ou au moins avancé, qu’on découvre la raison pour la quelle on peut être satisfait (ou mécontent) de notre action.

Le sens est ce qui vient après. La valeur également.

D’ailleurs c’est peut-être ce que voulait dire James, puisque le pragmatisme (doctrine qu’il défend) affirme que la valeur d’une idée ne tient pas dans la théorie qui la développe mais dans les effets qu’elle permet d’obtenir.

Tuesday, June 02, 2009

Citation du 3 juin 2009

Un monarque a souvent des lois à s'imposer ; / Et qui veut pouvoir tout ne doit pas tout oser.

Corneille – Tite et Bérénice (Acte 4, scène 5)

Comme le notera Montesquieu, le différence entre le monarque et le despote est l’existence de lois fondamentales. Si le monarque s’engage au moment de son sacre à les respecter, le despote quant à lui n’en connaît pas d’autres que celle de son bon vouloir.

Mais c’est dans la seconde partie de la citation que l’essentiel nous est dit : qui veut pouvoir tout ne doit pas tout oser. Comment pouvoir tout si l’un n’ose pas franchir les limites ? Paradoxe qui comme souvent n’est qu’une invitation à la réflexion.

Car en fait, quand on dit : tout pouvoir, on présuppose les limites. On ne peut agir qu’en s’appuyant sur des données sur des lois, sur des êtres. Quiconque veut bondir doit prendre appui sur le sol, et c’est la bêtise de la colombe qui lui fait croire qu’elle volerait bien mieux dans le vide (selon l’image mille fois rabâchée de Kant).

On ne peut donc tout pouvoir sans exercer ce pouvoir dans un cadre bien précis, avec des moyens prédisposés. Vouloir outrepasser ces limites, c’est faire comme la colombe dont on parlait il y a un instant : on se casse la figure.

D’ailleurs, c’est un des ressorts du tragique : lorsque le héros doit affronter une limite, il la fait voler en éclat. Il ose outrepasser les lois de son pays (Antigone), ou celles de la morale et de l’humanité (le Caligula de Camus)

Il s’aventure donc dans une zone où la vie humaine ne peut se développer, là où aucune règle – du moins aucune règle admise dans le monde actuel et réel – n’existe plus. Mais en même temps, l’impuissance est la rançon de son audace.

Qui ose tout ne peut rien.


Monday, June 01, 2009

Citation du 2 juin 2009

La République, c’est un équitable partage entre les enfants de la France du gouvernement de leur pays, en proportion de leurs forces, de leur importance, de leurs mérites, partage possible, praticable, sans exclusion d’aucun d’eux, excepté de ceux qui annoncent qu’ils ne veulent la gouverner que par la révolution.

Thiers

Thiers fait du gouvernement de la République une activité qui, comme n’importe quelle autre, dépend des compétences et du talent de chacun. Ce faisant, il cautionnait le suffrage censitaire qui voulait que l’exercice du droit de vote soit subordonné à la possession de biens qui venait en valider l’existence.

La démocratie était alors non pas que chacun ait le droit de choisir par le suffrage universel celui qui va exercer le pouvoir en son nom, mais seulement que les lois s’appliquent à tous sans distinction. Mais, si les uns avaient le droit de vote, les autres non : c’étaient alors des citoyens passifs.

Bien entendu, même ces lois pouvaient dépendre de la situation sociale des gens : quand on disait qu’il fallait protéger la propriété privée, ou bien réduire les droits de succession, il est évident que le petit peuple n’était nullement concerné par ces lois, qui pourtant s’appliquaient à lui aussi.

Mais en réalité, l’hypocrisie de Thiers tient au fait que le gouvernement, dans ce qu’il a d’essentiel, à savoir la souveraineté politique, ne se partage pas (1). Il en résulte que soit un monarque l’exerce personnellement, soit un corps politique l’incarne collectivement.

Que ce souverain choisisse de déléguer telle ou telle prérogative à qui que ce soit en raison de son talent ou de son mérite, ne change rien à l’affaire. Il garde en effet le pouvoir de le révoquer à tout moment.

On voit que prétendre mettre des conditions à l’exercice de ce pouvoir, c’est se placer au-dessus de lui, c’est donc lui refuser d’être souverain.

On y reviendra, mais en attendant, notons que l’exercice du droit de vote garantit à chacun d’être reconnu comme souverain (en tant que membre). Il a le droit alors de contrôler les gouvernants, et de réclamer leur destitution en cas d’incompétence.

A moins d’admettre que le souverain règne mais ne gouverne pas ?

Ça aussi on y reviendra.


(1) J’entends bien que Montesquieu a fait la théorie du partage des pouvoirs, mais en réalité il y a toujours eu un conflit entre eux pour la prédominance de l’un sur l’autre. Et aujourd’hui encore où l’on voit l’exécutif ronger les prérogatives du législatif… voire même du judiciaire.