[Seigneur], faites que je me considère en cette maladie comme en une espèce de mort, séparé du monde, dénué de tous les objets de mes attachements, seul en votre présence pour implorer de votre miséricorde la conversion de mon cœur ; et qu’ainsi j’aie une extrême consolation de ce que vous m’envoyez maintenant une espèce de mort pour exercer votre miséricorde, avant que vous m’envoyiez effectivement la mort pour exercer votre jugement (1).
Blaise Pascal – Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies
On admet que ce texte a été écrit par Pascal en 1659, soit 3 ans avant sa mort, due probablement à un cancer de l’estomac.
La prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies apparait souvent comme la bigoterie ridicule d’un grand esprit qu’on suppose gâté par la maladie. Enfin, je dis que ça apparaît comme ça à ceux qui ne l’ont pas lue, car pour les autres, ils auront reconnu la rigueur et la profondeur coutumières à Pascal.
D’abord, observons que Pascal ne demande pas à Dieu de lui révéler le sens de sa maladie – ça il le connait : la maladie (il s’agit même plutôt de l’agonie) sépare le moribond du monde des vivants (séparé du monde, dénué de tous les objets de mes attachements) et elle préfigure la mort dont elle est en quelque sorte une répétition générale.
Ce que Pascal demande à Dieu comme une grâce, c’est la conversion de son âme aux vertus chrétiennes, afin que sa maladie soit une période qui lui permette enfin de les exercer. On est donc dans la perspective de la Contreréforme catholique, qui voit dans l’agonie la belle mort qui permet à l’âme de se repentir de ses péchés et de s’élever progressivement jusqu’à Dieu. C’est ça, le bon usage des maladies.
- Aujourd’hui, valoriser cet « en-deçà de la mort » paraitrait bien étrange ; nous qui dissimulons la mort au fond d’un hôpital comme chose obscène, comment pourrions-nous envisager les moments qui la précèdent comme des moments privilégiés où un maximum de conscience est un maximum de chance ? D’ailleurs, lorsqu’on sent que le sort du mourant est scellé, tout le monde le fuit – ou tout le monde le nie.
On dira que de toute façon, le monde actuel qui a perdu toute trace de spiritualité serait bien embarrassé de ce moment qui précède la mort : quel bon usage pourrions-nous en faire, nous qui ne croyons plus au salut ?
Quoique… Je crois me rappeler que Marie de Hennezel a écrit quelques livres pour répondre justement à la question du bon usage de la maladie mortelle. Preuve que la question devrait encore être posée.
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(1) On l’aura compris, le jugement dont Pascal parle ici est la décision par laquelle l’âme se retrouve au paradis ou en enfer.
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