Le privilège des grands, c'est de voir les catastrophes d'une terrasse.
Jean Giraudoux
Fukushima mon amour III
Les catastrophes nucléaires ont quelque chose de particulier : c’est qu’il n’y a nulle terrasse d’où on puisse les contempler en étant à l’abri.
Certes, les puissants de ce monde peuvent encore disposer, faute de terrasse, d’un bunker d’où ils seront en sécurité alors que le reste de l’humanité sera vitrifiée par l’apocalypse nucléaire.
Bien sûr, dans un abri atomique, on risque de ne pas voir grand-chose ; mais justement, qu’y aurait-il à contempler ?
Spontanément, on dirait que oui, il y a surement quelque chose à contempler : pour nous, une catastrophe nucléaire, ça doit ressembler peu ou prou à ce qu’on voit sur cette photo d’Hiroshima le 6 août 1945. Une explosion apocalyptique avec un nuage gigantesque, que personne n’avait encore jamais vu jusqu’à ce jour.
Même Tchernobyl n’avait pas dérogé à cette règle : là, ça avait sévèrement pété, propulsant des débris radioactif jusqu’à 3000 mètres d’altitude.
- Et puis voilà Fukushima.
Ici, pas d’explosion, ou si peu (1) ; la catastrophe nucléaire est faite de suintements contaminés, d’éructations pestilentielles, qui empoisonnent lentement et silencieusement tous les éléments environnants : l’eau de la mer, la haute atmosphère et même la terre dans ses profondeurs.
En sorte que s’il n’y a nul endroit où l’on puisse se dire à l’abri, il n’y a non plus rien à voir. Ici, plus de Jugement dernier, plus de trompettes ni de cavaliers (2), mais un désastre feutré et lent qui nous enveloppe silencieusement de son linceul…
Notre monde est un monde sans Dieu, et donc sans colère de Dieu – mais qui a inventé une nouvelle forme d'Apocalypse.
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(1) Oui, il y a bien eu une explosion (cf. post d’il y a deux jours), mais absolument minable.
(2) Voir la gravure de Dürer, ici.
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