J’ai longtemps pensé, déclare Prométhée, que c’était là que se distinguait l’homme des animaux. Une action gratuite… Comprenez-vous ?... l’acte… né de soi… donc sans Maître ; l’acte libre ; l’acte autochtone ?
Gide – Prométhée mal enchaîné (1899)
Gratuité II
[Gratuit – Qui ne repose sur rien, qui n'est pas fondé, justifié.]
Combien de fois est-on revenu sur l’acte gratuit gidien, avec ce Lafcadio qui assassine un petit vieux uniquement pour se prouver qu’il est possible de faire ça sans raison… et puis on en reste là. Rien n’en subsiste dans la pensée sauf l’exemple qui n’éclaire finalement rien du tout.
Je préfère quant à moi remonter à cette version de l’acte gratuit qui émerge dans Prométhée mal enchaîné, ouvrage méconnu de Gide.
L’acte gratuit n’est pas seulement un acte libre ; il est aussi un acte autochtone. Ça on ne vous l’avait pas dit, n’est-ce pas ?
L’histoire de la philosophie nous livre en effet le mythe des autochtones, dans la République de Platon, où les citoyens d’Athènes sont dits « autochtones » parce que leurs ancêtres sont nés du sol même de la cité. Pour un tel homme, être autochtone, c’est être parfaitement homogène à la nature de la Patrie, et pour une idée – ou pour un acte – c’est se confondre avec la nature de l’être qui la conçoit. Comprenez-vous ?... l’acte… né de soi…
L’acte gratuit n’est donc pas essentiellement un acte immotivé, c’est simplement un acte qui apparait comme une excroissance de celui qui l’accomplit – et c’est ce sens qu’il convient de donner à la liberté (1). S’il paraît non justifié, c’est simplement que pour lui, la question du Pourquoi ? n’a pas de sens.
Un exemple ? Montaigne à la question : « Pourquoi Etienne de La Boétie était-il mon ami ? » Répond : « Parce que c’était lui ; parce que c’était moi. »
L’amitié : quel plus bel exemple d’acte autochtone trouver ?
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(1) Liberté au sens moral donc, et non liberté comme libre-arbitre.
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