Monday, January 23, 2012

Citation du 24 janvier 2012

… je suis convaincu que les progrès mal appliqués de la photographie ont beaucoup contribué, comme d’ailleurs tous les progrès purement matériels, à l’appauvrissement du génie artistique français, déjà si rare
Baudelaire – Le salon de 1859 (2 – Le public moderne et la photographie)Lien
Bien que Baudelaire ait accepté de poser devant l’objectif de Nadar (ci-contre), il exprime une méfiance très grande devant ce nouveau procédé qu’est (encore en 1859) la photographie (voir Annexe).
La crainte exprimée par Baudelaire est que la photographie apparaisse comme la rivale de la peinture, qu’elle puisse reproduire la réalité avec une exactitude que les artistes peuvent viser sans jamais l’atteindre. Qu’elle soit une copie « industrielle » de la nature, alors que l’art en serait la copie « manuelle ».
Bien entendu, ce qui est critiqué ici par Baudelaire ce n’est pas directement la photographie, mais son usage au service du naturalisme, de cette perversion de l’art qui en fait un sous-produit de la nature (1).
Mais quand on voit à quel usage Baudelaire réserve la photographie (voir texte en annexe), on se rend compte que l’archaïsme du procédé n’est en rien responsable de cette lecture de cette nouvelle technique. En effet, la photographie est selon Baudelaire un procédé mécanique, quelque chose qui vient après l’activité spirituelle humaine, autrement dit ce qui ne comporte aucune part de création. C’était d’ailleurs une opinion très courante à l’époque, qui voyait en la photographie la possibilité de représenter enfin la réalité telle qu’elle était sans les déformations liées à la subjectivité de l’artiste.
Inutile de dire qu’aujourd’hui nous voyons au contraire dans la photographie une nouvelle façon de créer une œuvre, et qu’elle ne peut de ce fait entrer en compétition avec la peinture. Tout juste a-t-elle délivré les peintres de l’obligation de rendre la réalité non pas telle qu’ils la voyaient, mais telle que tout le monde la voyait.
Mais ce texte de Baudelaire nous apprend tout de même quelque chose : c’est que devant une innovation technique, nous sommes désarmés : quel usage en faire ? Nous ne parvenons qu’à insérer cette nouvelle technique dans la panoplie des techniques déjà existantes.
Voyez par exemple le cinéma en 3D. Quel usage vraiment créateur faire de cette nouvelle capacité ? Tout ce que j’ai vu pour ma part, c’est qu’au moment des publicités, on arrivait à projeter l’image vers les spectateurs pour les impressionner. Faire flotter des fraises Tagada dans la salle : on n’a pas beaucoup progressé depuis que les frères Lumières projetaient le train arrivant en gare de la Ciotat sur les premiers spectateurs de leur cinématographe.
On pourra sans doute, dans un avenir rapproché, remplacer les fraises Tagada par une starlette aux gros nichons : ce n’est pas comme ça qu’on répondra à l’injonction baudelairienne d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire (voir texte joint).
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(1) Quelle est la valeur de l’art ? Le vrai ! répond le naturaliste. Le Beau ! répond Baudelaire.
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Annexe.
« Il faut donc qu’elle [la photographie] rentre dans son véritable devoir, qui est d’être la servante des sciences et des arts, mais la très humble servante, comme l’imprimerie et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature. Qu’elle enrichisse rapidement l’album du voyageur et rende à ses yeux la précision qui manquerait à sa mémoire, qu’elle orne la bibliothèque du naturaliste, exagère les animaux microscopiques, fortifie même de quelques renseignements les hypothèses de l’astronome ; qu’elle soit enfin le secrétaire et le garde-note de quiconque a besoin dans sa profession d’une absolue exactitude matérielle, jusque-là rien de mieux. Qu’elle sauve de l’oubli les ruines pendantes, les livres, les estampes et les manuscrits que le temps dévore, les choses précieuses dont la forme va disparaître et qui demandent une place dans les archives de notre mémoire, elle sera remerciée et applaudie. Mais s’il lui est permis d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute de son âme, alors malheur à nous ! » Baudelaire – Le salon de 1859

1 comment:

FRANKIE PAIN said...

merci de ce beau billet