Nizan – Chiens garde, 1932, p.15. (1)
Que n’a-t-on dit de Bernard Henri-Lévy (alias B.H-L) à propos de son influence sur les autorités françaises dans le déclenchement des opérations militaires en Lybie ? Combien ont dénoncé ses foucades d’intellectuels et sa prétention orgueilleuse à se parer des plumes du paon, alors qu’il n’aurait été tout au plus qu’une petite mouche du coche ?Pourtant voilà quelqu’un qui a utilisé sa notoriété d’intellectuel (2) pour appeler à la mobilisation au côté des rebelles libyens. Il l’a fait, et même si aujourd’hui on crie à la manipulation de la part des islamistes, il n’en reste pas moins qu’on a pu alors épargner pas mal de vies innocentes.
Revenons à la citation de Nizan, qui nous interroge plus généralement sur la fonction des intellectuels (en l’occurrence : les agrégés de philo) : gardez-vous, nous dit-il, de croire que ces gens sont « ès-qualité » des terre-neuves ou même des personnes respectables.
Admettons qu’ils ne le soient pas : mais faut-il le leur reprocher, comme si ils trahissaient leur fonction naturelle ? Ou bien faut-il dire : ces gens sont comme tous les autres, il y a la même proportion de saints et de filous que partout ailleurs…
Mon expérience des agrégés de philosophie c’est que souvent ils sont complètement fermés à la vie politique – voire même à la réalité quotidienne – et que les imaginer soutenant le pouvoir par intrigue est proprement hilarant.
Un souvenir : nous sommes dans un village de vacances, entre philosophes rassemblés pour un colloque (sur la citoyenneté je crois). Au petit déjeuner, nous discutons du cogito : je sais que ça parait être caricatural, mais c’est comme ça. Mon voisin, un spécialiste d’histoire de la philosophie, ouvre son yaourt. Tous en polémiquant à propos de Descartes, il verse hardiment le contenu du pot de yaourt dans sa tasse de café, dont bien sûr il avait oublié l’existence.
Comment voulez-vous que des gens comme ça puissent être des chiens de garde de la bourgeoisie ?
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(1) « En avril 1932, Nizan publie chez Rieder Les Chiens de garde, féroce pamphlet contre la philosophie universitaire de l’époque. Il y dénonce avec violence les philosophes en place, « chiens de garde de la bourgeoisie » qui, face aux ravages provoqués par la crise économique, aux exactions et à la violence de la colonisation, à la montée du fascisme en Europe, ont choisi de se taire plutôt que d’agir, au nom de l’Esprit et des valeurs abstraites et éternelles qui dissimulent la réalité. » A lire ici
(2) J’en vois qui font la moue : un intellectuel, ça ? Je rappelle que Sartre était l’objet de pareilles moqueries, comme si l’auteur de l’Etre et le Néant ne pouvait être un vrai philosophe.
2 comments:
Je vais donc me la jouer à la Simone ...;-)
"On ne nait pas philosophe on le devient."
Et, qu’est-ce que le philosophe en dit?
Bien évidemment, si un philosophe fait dans la politique... l'aurait pas le temps de retourner un manteau de connaissances, un peu comme les curés... pour preuve, ces derniers, on les a séparé de l'état !!!
:-)
F'(FLYNONT)
"On ne nait pas philosophe on le devient."
- Bien sûr qu'on ne nait pas philosophe, mais tout le monde ne le devient pas.
Je ne crois pas qu'on ait réussi jusqu'à aujourd'hui à établir l(origine psycho-sociale de "philosophes" (du moins ceux qui ont décroché leurs diplômes ad-hoc).
Mais Didier Eribon a écrit un livre (intitulé "Retour à Reims") où il explique que la classe sociale dont il était originaire (père ouvrier, mère ménagère) croyait que la philosophie (et la culture qui va avec) était non seulement inaccessible aux gens qui en faisaient partie, mais aussi que pour eux c'est notoirement inintéressant (c'est-à-dire "chiant" comme on dit maintenant).
Eribon explique qu'il s'est lancé dans des études de philosophie précisément pour tourner le dos à ses origines et pour leur échapper.
Bon, il a mal tourné : il est devenu prof de sociologie à Amiens..
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