Friday, June 19, 2015

Citation du 20 juin 2015

Le français de certaine école contemporaine est une langue morte.
Victor Hugo – Cromwell (Préface) – Citation complète en Annexe
Que ceux qui se mobilisent et pétitionnent contre la suppression de l’enseignement des langues mortes telles que le latin et le grec se méfient : n’oublient-ils pas de prendre aussi la défense du français ?
On proteste vigoureusement contre l’abandon de l’étude du grec et du latin au collège. Mais la raison qu’on en donne doit être énergiquement soulignée : pour qui n’entend ni le latin ni le grec, c’est le français lui-même qui devient une langue morte. D’ailleurs on le dit souvent : la pratique de la période cicéronienne est indispensable pour suivre jusqu’au bout la moindre phrase de Descartes (1) –  et on aurait raison d’ajouter des orateurs comme Jaurès.
- Bon. On admet. Reste que la pratique approfondie du latin et du grec a été abandonnée depuis longtemps, et les enfants qui l’étudient aujourd’hui ne sont souvent même pas capables d’arriver au bout d’une phrase de Jules César – quant à en tirer parti pour la pratique du français, n’en parlons pas.
Cette crainte de perdre la pratique du français en même temps que celle du latin est-elle donc excessive ? On remarque quand même que parfois le français est bel et bien incompréhensible pour les français eux-mêmes. Que pour cela il n’est nul besoin d’avoir recours aux ouvrages d’autre fois – quand les langues mortes étaient encore pratiquées. Il suffit d’ouvrir les ouvrages de certains écrivains, et qu’il n’est nul besoin de recourir à Proust pour avoir la preuve que nos ouvrages de littératures sont composées dans une langue qui dans l’immédiat nous échappe.
Pour comprendre ce dont on parle, ouvrons un ouvrage beaucoup plus récent et lisons ce texte de Claude Simon :
« La mort fut certainement instantanée. L’armée était alors en pleine retraite après la défaire de Charleroi et le corps fut abandonné sans sépulture à l’endroit même où il  gisait, peut-être toujours adossé contre l’arbre, le visage caché par une nappe de sang gluant qui peu à peu s’épaississait, obstruant les orbites, s’accumulant sur la moustache, s’égouttant de plus en plus lentement sur la barbe drue et carrée, la tunique sombre. Avant de le laisser derrière eux, son ordonnance, ou celui de ses officiers à qui avait échu le commandement de la compagnie, eut cependant soin d’emporter la plaque de zinc de couleur grisâtre attachée à son poignet et portant son nom ainsi que son numéro de matricule. Cette plaque fut plus tard envoyée à la veuve en même temps que les jumelles et une citation du mort à l’ordre de l’armée suivie peu après par l’attribution de la croix de la légion d’honneur décernée à titre posthume. » Claude Simon – L’acacia.
Voilà ce que je veux dire : ce texte n’est pas inintelligible à une lecture attentive. Mais ce qu’il recèle de sens est porté par le style, la structure des phrases, le souffle qu’il faut pour les lire jusqu’au bout. Autrement dit, il faudrait considérer qu’il a été écrit dans une langue étrangère qu’il faut apprendre en lisant pour comprendre.
Je me résume : tout ouvrage français, un tant soit peu littéraire, a été écrit dans une langue étrangère – langue qui n’est pas sans rapport avec le latin et le grec.
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(1) Exemple : « Le troisième (précepte), de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés ; et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres. » –  Discours de la méthode seconde partie.
--> Rappelons que Descartes écrivit le Discours de la méthode en français pour qu’il fut intelligible par tous (même par les femmes disait-il)


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Annexe

« Il en est des idiomes humains comme de tout. Chaque siècle y apporte et en emporte quelque chose. Qu’y faire ? Cela est fatal. C’est donc en vain que l’on voudrait pétrifier la mobile physionomie de notre idiome sous une forme donnée. C’est en vain que nos Josué littéraires crient à la langue de s’arrêter ; les langues ni le soleil ne s’arrêtent plus. Le jour où elles se fixent, c’est qu’elles meurent. — Voilà pourquoi le français de certaine école contemporaine est une langue morte. » Victor Hugo

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