La même chose souvent est, dans la bouche d'un homme
d'esprit, une naïveté ou un bon mot, et dans celle du sot, une sottise.
Jean de La Bruyère /
Caractères
Le sens de notre conduite ou de nos propos dépend
essentiellement de l’interprétation qu’on en fait, il est au sens étymologique équivoque ; autrement dit on est
sot non pas selon ce qu’on a dit, mais selon la manière dont on est
perçu. Du coup, pour échapper à l’accusation de sottise, il suffit de ne pas
l’être – ou du moins de ne pas le paraitre. Disons mieux : une fois qu’on
a donné de nous une certaine image, tout ce que nous ferons sera porté au
crédit de cette apparence. Pour prendre un exemple contemporain de La Bruyère,
voyez monsieur Jourdain, le Bourgeois
Gentilhomme : il admire au-delà du raisonnable son « Maître de
philosophie », qui pourtant débite des platitudes et des sottises
La question qui se pose alors est la suivante : dans
l’interprétation de la conduite humaine, qui détient la vérité ? Supposons
deux amis discutant des propos entendus de la bouche d'un homme considéré par certains comme un homme d’esprit. L’un
dira que c’est une tirade digne de l’esprit de finesse qui sait prendre les
choses dans leur origine première ; l’autre que c’est une naïveté indigne
d’un homme mûr. Faut-il en tirer une conclusion sceptique ?
Voyez la polémique déclenchée par « Qui est Charlie ? », le livre
d’Emanuel Todd. Certains y voient une infamie destinée à discréditer la
sincérité de cet élan qui, le 11 janvier, a rassemblé les français autour de la
célébration les libertés républicaines. Emmanuel Todd, quant à lui, affirme qu'on a affaire à un rejet de l'islam, et que pour arriver à cette conclusion il s’est contenté de mener une enquête sociologique : si sa démonstration déplaît, elle n’en est pas moins exacte.
Je me déroberai à l’analyse des tenants et des
aboutissants de cette polémique. Mais je dirai quand même que s’il y a une
chose qu’on ne tolère pas, c’est d’être dépossédé de son pouvoir
d’interprétation de sa propre conduite – et de celle des amis avec qui on fait
bloc.
La finesse consiste à interpréter les critiques en les
intégrant dans la théorie : votre refus s’inscrit alors dans les résistances prévues par elle. Freud disait que la critique féroce dont la psychanalyse faisait l'objet résultait des mécanismes de défense de l’inconscient.
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