Saturday, June 06, 2015

Citation du 7 juin 2015

Une femme infidèle, si elle est connue pour telle de la personne intéressée, n'est qu'infidèle : s'il la croit fidèle, elle est perfide.
Jean de La Bruyère – Les Caractères

« - Monsieur, votre femme vous fait cocu.
- C’est impossible monsieur : elle m’est totalement fidèle.
- Tenez, regardez cette photo prise sur la plage avec son chef de service.
- Oh ! La perfide ! Elle m’avait dit qu’elle partait en séminaire !
- Perfide ? Et alors ? Elle cherche bien naturellement à compenser vos mollesses de vieil abonné. »

Voilà : entre La Bruyère et nous la seule différence tient dans la dernière réplique. Après plus de trois siècles, on accepte maintenant l’idée que le droit des femmes au bonheur est inaliénable, et qu’il justifie le mensonge lorsqu’il est le seul moyen de l’atteindre.
- Quoi ? La perfidie ne serait plus un vice, mais un moyen normal pour atteindre ce à quoi nous avons droit ? Le bonheur légitimerait et la perfidie qui permet de commettre l’adultère – et le malheur auquel elle condamne  le mari cocu ?

Alors certes, La Bruyère ne nous invite pas sur cette voie. Il reprouverait d’ailleurs qu’on puisse s’y engager : un vice est un vice et les excuses qu’on en donne ne suffisent jamais pour déroger à ce principe.
Mais nous avons maintenant deux autres principes : selon l’un il faut se préoccuper d’abord de soi, et selon l’autre, le bonheur est la valeur suprême qui justifie tous les moyens utiles pour l’obtenir. En leur obéissant, serons-nous méchants ? Oui ? – et alors ? Croirons-nous qu’il existe un « régulateur » qui prive le méchant de bonheur ? Dirons-nous que cette femme qui s’envoie en l’air sans remords alors que son mari la croit en séminaire ne peut être heureuse, du moins qu’elle n’est pas digne de l’être ?
Ah ! – voilà un mot qui ne laissera pas indifférent les adeptes de Kant pour qui nous ne sommes jamais certains d’atteindre le bonheur et donc tout ce que nous pouvons faire est de nous rendre dignes d’être heureux. Méritons le bonheur, et après, laissons Dieu – ou le destin – faire son office.

La discussion est-elle close avec et argument ? Dirons-nous que la femme perfide a bien tort, parce qu’elle troque sa respectabilité qui institue son droit au bonheur pour un simple plaisir – même si c’est une jouissance ? D’ailleurs, savez-vous ce qui va lui arriver ? Son chef de service est entrain de l’exploiter sexuellement : il va la laisser tomber ; et quand elle va revenir chez elle, elle trouvera la porte close : le mari cocu aura fait changer la serrure.
Bien fait pour elle ? Peut-être, mais traduisons la question : ce malheur est-il justifié ?
- Répondre « oui » suppose que l’accès au bonheur soit subordonné à un quelconque droit. Mais, par exemple, accepterait-on de parler d’un droit "conditionnel" à la liberté, selon le quel on ne laisserait la liberté qu’à ceux qui ont fait la preuve qu’ils la méritaient ? Non, bien sûr.

- Alors, si on disait que tout être humain n’a pas à se rendre digne d’être heureux, parce qu’il a un droit imprescriptible à l’être ?

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